Démon, c'est ainsi que l'on m'appelle. Personne ne me ressemble et je vis dans ma chambre, dans la cave de Mama. Depuis toujours, elle me marchande pour les lubies d'humains lors de soirées privés. Je me plie à ses ordres, ne connaissant rien d'autre, cherchant l'amour maternel et l'affection des humains que je croise. Tant d'année se sont écoulés, je cherche toujours a savoir ce qui ce passe de l'autre côté de ces murs. Les livres ne suffisent plus à apaiser mon besoin de liberté. Depuis peu, Mama a engager une domestique si différente des autres. Aksana.
Un soupir alors que le corps ploie vers l’avant, que les doigts défont le piège pour récupérer le lapin prisonnier. Une caresse sur le doux pelage de l’animal mort, comme un au revoir timide et peiné. Maintenant, il était capable de briser la nuque de ses proies, même si cela lui avait donné des haut-le-cœur au début. Mais cette fois-ci, il n’avait pas eu à le faire. Une part de culpabilité qui le tiraille, en se disant qu’il aurait pu abréger les souffrances de la petite bête. Retirer le filet, l’installer de nouveau comme Aksana lui avait appris. Main géante qui saisit le futur repas alors qu’il se dirige en dehors de la forêt. Le pas est lent, mesuré. Trop lourd pour un être si habitué à être discret, sur ses pattes félines qui s’enfoncent dans la mousse et les fougères sans prêter attention aux éclats qui lui sont parfois douloureux. La nuque ployée vers l’avant, tel Atlas qui soulève le poids du monde, cette façon dont les ailes traînent à l’arrière, cape de cuir boueuse et malmené, de grandes tachent bleuter marbrant la peau là où elle était brisée. Souffrance presque intenable que subit le Gris, une peine immense qui ne cesse de s’alourdir dans sa poitrine, tire sur les épaules qui tremblent sous l’effort. La respiration brûle dans les poumons, les muscles qui se tétanisent par spasmes chaque minute passée. Epuisé le Titan, de lutter chaque seconde contre la douleur, contre son propre corps. Avancer, un pas après l’autre, seulement parce qu’il savait qu’il allait être attendu. Les jours se sont succéder et pourtant il ne se sentait pas mieux, tel une lame qui jamais ne cesse ses va-et-vient et entaille toujours plus le film fin de la patience.
Le bruit presque tapageur de ses ailes raclant le bois, délogeant des pierres. Comme s’il avait couru une éternité, le Gris respire fort, manque de chuter alors qu’il se rattrape contre le tronc d’un arbre. Nouveau soupir. Puis quelque chose qui l’alerte. Se redresser brusquement en chassant au loin la douleur, les oreilles pointues qui se relèvent alors que les yeux d’Opale balayent le sous-bois à la recherche…. De quoi ? Il ne savait pas. Mais il se sentait observé. Comme s’il était un papillon que l’on pouvait attraper. La sensation d’être tel le lapin qu’il tenait dans sa main, de ne plus être le plus gros mammifère dans les environs. Un frisson qui agite sa longue crinière d’encre ou les nœuds commencent à s’accumuler. Rester là, plusieurs minutes, l’œil alerte et la mine inquiète. Pourtant, il n’y avait rien. Alors il reprend sa route, en se disant que la fatigue pesait trop lourdement sur sa conscience. Cela l’inquiète, mais il ne formule pas ses pensées. À quoi bon ? C’était peut-être ça la normalité. Vivre, c’était aussi sentir ce poids lourd dans son corps, peut-être que le prix de la liberté, c’était la souffrance dans chacun des muscles de son dos. Il devait juste se fortifier, devenir enfin quelqu’un et non plus cette créature insouciante coincée dans sa chambre. Une main aux griffes qui repoussent qui frottent le ventre affamé, froisse le tissu contre sa peau. Cligner des yeux alors qu’il observe cette matière contre lui. Jamais encore il n’avait porté de vêtements, il n’y avait que son pagne et ses chaînes qui l’habillaient depuis toutes ces années, aussi il était mal à l’aise à sentir quelque chose frotter son épiderme sans cesse. Une caresse sur ses poignets bleuit par l’ancien passage des menottes épaisses, lui rappelant sans cesse son ancienne vit, son ancienne condition. S’il avait pu subir cela sans rechigner, ce n’était pas des vêtements qui doivent l’arrêter. Mais l’impression d’enfiler un costume et d’être un autre le taraude.
Le soleil était bas à l’horizon, laissant bientôt la place à la nuit tant attendue. Encore trop peureux pour oser sortir lorsque les rayons dorés se déversent sur la Terre, trop inquiet d’une combustion instantanée pour vaincre ses cauchemars. Aksana ne sortait pas, lui-même se devait de suivre le même chemin, non ? S’avancer un peu plus vite. Il se savait attendu. La cabane s’érige en un repos salvateur, les contours de la Malhar se dessinant par la fenêtre abîmée. Une fois entrer, il ne dit rien, se contente d’observer cette femme qui se tient tordu derrière un simple sourire, derrière une chevelure tirée sur le côté. Cela le peine, lui écrase un peu plus le cœur. Tenter tant bien que mal de la rassurer, de déposer de doux baisés sur sa cicatrice encore fraîche, d’adoucir les arêtes coupantes de l’âme de son Aimée. Il aurait tant aimé que son amour suffise à l’apaiser, mais plus il essayait, moins elle était réceptive. L’éloignement était-il toujours à l’horizon ? Cela lui donne un frisson, manque de l’étouffer.
Une main qui vient frotter une énième fois le visage aux traits tirés. Cela lui arrivait sans cesse désormais, de se perdre dans ses pensées qui se dispersent avec parfois une violence terrifiante. Depuis que la fêlure est apparue, cette fameuse nuit au lac, il était moins stable car il avait pris conscience de la fragilité de certaines choses. Cela l’angoisse, lui donne des crises ou il semble manquer d’air la nuit, une sueur froide coulant le long de son dos. Il savait que son Etoile sans était rendu compte, comment il pouvait en être autrement ? Il s’agitait, toussait et grelottait comme s’il manquait de se noyer une nouvelle fois. Cela le hante, lui mord l’esprit sans crier gare. Mais il lui était impossible de dévoiler tous les pans sombres de son cœur à la bleuter qui le suis et le soutient. Il avait perçu sa faiblesse, son égarement. Cette façon de se tenir, tendu comme un arc et dissimulant les stigmates de leurs échappés en se camouflant. C’était comme s’il devait retenir le vent entre ses doigts, il tente, s’acharne, donne toute son énergie, mais c’était vain.
Déposer la proie sur le sol, bientôt, il faudrait la vider et retirer sa peau. Mais l'odeur de la viande sur le feu attire son attention, son ventre qui gargouille bruyamment qu'il tente de faire taire d'une main crispée. Pourtant, la salive emplit la bouche, recouvre les papilles alors que le nez se plisse presque pour mieux capter chaque note parfumée. Quelque chose en périphérie l'apostrophe, cherche à le détourner des reflets dorés de la nourriture. Vaguement, il tourne la tête sans quitter du regard la broche, trop captivé par sa propre faim pour se soucier d'autre chose. Puis une voix lui chatouille les tympans et il réalise que c'est Aksana qui l'interpelle, s'approchant de lui avec quelque chose dans les mains.
Culpabilité qui l'étreint aussitôt alors qu'il s'assoit sur le sol d'un air penaud. Hocher la tête avant de tendre son aile, une grimace découvrant ses crocs, un grondement de souffrance résonnant dans sa poitrine. La pointe violacée de l'aile est tendue face aux mains de son amie, mais il n'ose pas regarder. Il lui était toujours aussi difficile de se voir aussi amoindri, comme s'il était mutilé et réduit à néant en ayant perdu l'usage de ses ailes. Voir sa blessure lui était insupportable.
Les oreilles se redressent subitement en écoutant l'Etoile, parlant d'une présence rodant dans les bois. L'inquiétude brille dans les yeux d'argents alors qu'il s'agite. Un long soupir s'extirpe de sa bouche alors qu'il baisse la tête, d'un air coupable.
- J'ai aussi senti quelque chose tout à l'heure. Et non… Je ne sais pas comment faire. Je…De nouveau il remue sur place, poignardé par sa propre faiblesse. J'ai toujours dû me transformer pour avoir cette capacité. Mais avec mon aile … Je ne sais pas si je pourrais supporter la douleur.Regard fuyant, alors que la voix se fait murmure.Cela me fait peur.
Un regard vers ses griffes raccourcis. Pour la première fois de sa vie il les désire plus longues, plus acérés. Une vague qui monte en lui, un sentiment de protection qu'il n'avait connu à son paroxysme que cette nuit ou il s'était déchaîné. Cocktail étrange de l'ardeur et de la peur qui fouette son sang, cette envie de se terrer plus loin dans une cachette comme l'envie de découvrir ses canines et de se grandir pour devenir colossal.
- Où allons-nous aller ? Nous sommes trop proches de la ville, nous devons faire attention.
Et il ne se sentait pas capable de supporter une nouvelle bataille contre des Humains. Rien que d'imaginer leurs cris, leurs expressions, lui noue l'estomac. Où partir ? Ils n'avaient plus aucun repère, aucune habitation qui les attendait. Devaient-ils s'enfoncer dans la forêt ? Là où les bruits résonnent, ou des branches craquent sans apercevoir la moindre forme, des lumières tamisées qui rendent les ombres plus grandes, la solitude du lieu qui les enveloppe tout entière. S'ébrouer. Non, il ne devait plus penser ainsi. Désormais il devait devenir plus fort, ce n'était pas l'inconnu qui devait le bercer d'illusion et alimenter ses frayeurs d'enfants.
Tendre sa main et saisir celle de son Etoile, caresser du pouce cette peau tant aimée. Peu importe où ils iront, ils seront ensemble.
[/b]
Messages : 142
Date d'inscription : 13/05/2023
Crédits : by lola vagabonde
Univers fétiche : Fantasy
Préférence de jeu : Femme
Lulu
Mar 1 Oct - 15:42
Aksana
Est la descendance oubliée d’abominations morales, fruits maudits de malhars, le temps a ravi ses traits juvéniles, pour qu'elle devienne l'image fidèle d'une mère sans nom, égarée dans les ombres de l'abandon. Palpitant vacant qui ne demande qu’à ronronner sous la moindre caresse, mais les rares curieux craignent d'être engloutis par les ténèbres qui l'entourent. Ces malheureux ignorent que l’âme de l’orpheline brille d'une lueur douce, condamnée à suffoquer sous le poids des préjugés. Domestique qui frise l'esclavage sans même s'en douter, convaincue que, grâce à ses efforts infatigables, elle lavera l'honneur terni de sa lignée. Dévouée qui s'échine, jour après jour, entre les murs du manoir de Mama, la lueur d'espérance continue de briller dans ses yeux fatigués. Enfin, le monde m'offre une main secourable, une opportunité d'ériger la preuve que mon lignage n'est pas aussi vicié que l'insinuent les sinistres murmures. Mes mains, maculées du bleu de l'infamie, sont prêtes à démontrer au monde qu'elles ne furent point créées pour disséminer que mensonges et tourments. En ce sanctuaire, j'ai trouvé asile, un rayon d'espoir scintillant faiblement... Et une étrange compagnie, dont la singularité miroite dans le miroir de la mienne. S h e o g, est son nom.
L’aile brisée s’étendait vers elle, prête à être harnachée par son fragile attelage destiné à la soigner. Une lueur de doute flottait dans ses prunelles soucieuses, cette même incertitude qui, depuis leur arrivée ici, n’avait cessé de lui broyer la poitrine. Un poids lourd qui l’écrasait impitoyablement, plus encore depuis cette nuit maudite au bord du lac. L’impression d’être devenue une ombre parasite, sabordant la lumière et la vie de celui qu'elle aimait. Elle le voyait souffrir, jour après jour, nuit après nuit, déchiré à la fois dans sa chair et dans son âme. Elle n’était ni aveugle, ni sourde aux angoisses qui le rongeaient. Et étrangement, les douleurs qui l’habitaient, lui semblaient plus insoutenables que les siennes. Une souffrance qui s'établissait plus profondément dans ses chairs, que n'importe quelle terreur. Alors, dans un élan inquiet, elle s’était efforcée d'utiliser ce corps qu'elle haïssait plus que jamais, le rendant esclave à ce cœur, qui se mourrait de l'aimer. L'orpheline lui avait donné des tendresses, offert des caresses, des baisers, chaque fois qu’elle le pouvait. Lorsqu’il gémissait dans son sommeil, victime de ses cauchemars, elle s'empressait de l'enlacer, de le serrer contre elle, son corps froid aspirant à lui offrir une chaleur brûlante, rassurante. Et elle le gardait ainsi contre elle, en silence, jusqu’à ce que le matin vienne, et qu’il s’éloigne. À chaque réveil, elle caressait sa peau meurtrie, constellée de bleus, de baisers légers comme une pluie d'été, dans l’espoir, peut-être vain, d’alléger ses peines. Elle voulait qu'il sache que son amour pour lui n'avait jamais faibli, que cet amour immense emplissait son cœur à tel point qu'il débordait par chaque geste, chaque souffle. Elle touchait son corps avec plus de ferveur que n’importe quelle proie inanimée, plus de soin que lorsqu’elle manipulait les fils de laine pour lui confectionner des vêtements. Ses lèvres, lorsqu’elles ne prononçaient pas des mots maladroits, ne cherchaient qu’à le trouver, lui, à l'apaiser par de douces attentions. Plus que la nourriture ou même l’air, c’était lui qu’elles effleuraient, comme si chaque contact pouvait raviver une étincelle en lui. Son corps tout entier s’employait à toucher le sien plus encore que ne le faisaient les étoffes qui l’enveloppaient. La malhar espérait, avec une ardeur presque désespérée, qu’il percevait cet amour qui vibrait en elle pour lui. Elle espérait qu’il pouvait sentir, à travers ces gestes infimes, que malgré la noirceur des rumeurs qui la suivaient, elle parvenait, contre toute attente, à l’aimer. Monstre ou pas, elle voulait lui offrir un amour digne de ce nom. Se battre contre son passé, contre ses carences affectives qui avaient défiguré son enfance, pour que, malgré tout, il se sente aimé, soutenu, comme il le méritait. Toute son énergie, toute sa volonté, toute sa hargne, elle les investissait dans ces petites victoires, ces gestes quotidiens destinés à n’être qu’à lui, à panser ses plaies invisibles, à lui rappeler qu’il n’était pas seul, et que par-dessus tout, elle l’aimait. Mais parfois, dans ses yeux, elle croyait discerner le doute. N’était-elle plus suffisante ? Ne parvenait-il plus à percevoir tout l’amour qui incendiait son regard chaque fois qu’elle l'admirait ? Cette façon qu’elle avait de se jeter contre lui dès qu’il l’approchait, attirée comme un aimant vers lui, comme si son corps tout entier ne pouvait fonctionner qu’auprès du sien. Cette manière si intense qu’elle avait de l’observer, avec une urgence presque désespérée de le cajoler, de l’entourer de toute sa tendresse, jusqu’à ce que lui-même décide qu’il en avait assez. Et pourtant, malgré tout cela, le doute semblait persister dans ses yeux. Et elle le sentait comme un glaive invisible qui lui entaillait le cœur chaque jour un peu plus. Entendre ses souffrances, entendre la douleur résonner dans ses mots, c’était comme si on poignardait son propre cœur en écho. Que pouvait-elle répondre à cela ? Lui dire qu’il n’avait rien à craindre, puisqu’elle était là, qu’elle le protégerait coûte que coûte ? Pour elle, c’était une vérité indiscutable. Elle était prête à tout : à offrir sa chair, à supporter mille supplices, à traverser les flammes de l’enfer sans faillir, si cela pouvait lui garantir qu’il resterait en sécurité. Mais est-ce que lui, se sentait réellement rassuré par sa présence ?
— « Ça va aller », murmura-t-elle d'une voix douce, tout en se détachant de l’aile qu’elle soignait pour poser une main réconfortante sur son épaule.
En réalité, elle n’en était même pas certaine, être prête était une chose, réussir à le protéger en était une autre. Mais elle ne pouvait se résoudre à abandonner, à laisser la peur prendre le dessus. Si sa propre vie avait été en jeu, elle aurait probablement cédé depuis longtemps.
— « Ce n’est qu’une question de temps... avant que tu guérisses de tes plus blessures », reconnut-elle. « Certaines ont déjà commencé à cicatriser, regarde... », elle désigna les plus petites plaies qui montraient de premiers signes de guérison.« Tu es sur la bonne voie »un sourire réconfortant, réchauffa ses lèvres légèrement violacées.
Mais lorsqu'il l'interrogea sur leur prochaine destination, son sourire s’évanouit. Elle-même ne savait pas encore où les mènerait leur fuite. Mais il était hors de question de le laisser dans l’incertitude, tout comme elle refusait de se laisser happer par le désespoir.
— « Je vais explorer la forêt ce soir… Voir jusqu’où elle s’étend, ce qu’on pourrait y trouver », dit-elle, consciente que son propre corps commençait enfin à guérir suffisamment pour se permettre de braver les kilomètres et les herbes folles. « Est-ce que ça te dérange de rester ici seul jusqu’à l’aube ? » demanda-t-elle, cherchant son regard.
Si cela l’effrayait, elle n’hésiterait pas une seconde à rester à ses côtés. Elle avait déniché un vieux fumigène parmi les affaires laissées dans la cabane abandonnée, et même à des kilomètres, elle serait capable de voir son appel à l’aide. Elle ne partirait pas sans s’assurer qu’il soit en sécurité. Elle ne partirait pas le cœur léger, mais elle n’avait pas le choix, que de parcourir les alentours, de trouver une solution à leur situation, même temporaire. Car comme Sheog l’avait souligné, ils ne pouvaient pas rester ici, ils étaient beaucoup trop proches des villes. Lorsque leurs mains se lièrent, sous l’impulsion de sa Lune, elle sentit ses oreilles frémir, comme caressées par une douce brise d’été. Et l’été, c’était précisément la saison qui prospérait dans sa poitrine dès qu’il la touchait, dès qu’il l’enlaçait, dès qu’il esquissait un sourire. Ces derniers temps, les tempêtes et la grisaille y avaient été fréquentes, mais elle n’avait jamais perdu espoir. Il suffisait d’un seul rayon de lumière pour percer les nuages sombres, comme en cet instant où leurs doigts se cherchaient et s’enlaçaient. Elle se demandait alors secrètement, s’il pouvait sentir, à travers ce simple contact, la chaleur qui s’épanouissait en elle. S'il décelait dans ses pupilles dilatées l’intensité de l’amour qu’elle lui portait. Elle se demandait s’il percevait le tremblement discret de ses lèvres chaque fois qu’il mouvait les siennes. Son affection pour lui ne s’était jamais tarie. Il était un océan immense, inépuisable, dont les vagues déferlaient inlassablement sur les rivages arides de son cœur, prêtes à les engloutir une par une.
— « Si rester seul te fait peur, je ne partirai pas », affirma-t-elle avec une douce fermeté.
Elle voulait qu’il sache qu’elle ne l’obligerait jamais à se plier à ses décisions, surtout lorsque ces dernières n’étaient pas toujours les plus sages. Mais en ce moment précis, elle ne voyait pas d’autre issue que d’explorer la forêt, malgré les dangers. Ils devaient trouver un refuge plus sûr, loin de la menace qui planait au-dessus d’eux, loin de tout ce qui pourrait les enchaîner à nouveau, ou pire encore, les séparer.
Messages : 194
Date d'inscription : 05/04/2023
Crédits : Pinterest
Univers fétiche : Fantasy - adulte - sombre
Préférence de jeu : Homme
Ezvana
Ven 4 Oct - 19:50
Sheog
Démon, c'est ainsi que l'on m'appelle. Personne ne me ressemble et je vis dans ma chambre, dans la cave de Mama. Depuis toujours, elle me marchande pour les lubies d'humains lors de soirées privés. Je me plie à ses ordres, ne connaissant rien d'autre, cherchant l'amour maternel et l'affection des humains que je croise. Tant d'année se sont écoulés, je cherche toujours a savoir ce qui ce passe de l'autre côté de ces murs. Les livres ne suffisent plus à apaiser mon besoin de liberté. Depuis peu, Mama a engager une domestique si différente des autres. Aksana.
Sentir le baume apaiser ses afflictions alors que la douceur de l’Etoile souligne sa cicatrisation plutôt rapide. Presque une fierté qui vient faire vibrer la pointe des oreilles, plisse les yeux d’argent et souligne leurs formes en amande. C’était grâce à elle qu’il arrivait à aussi bien s’en remettre et il lui était reconnaissant chaque jour. Pataud et maladroit, il tente de l’exprimer sans parler, mais cela ne lui a jamais été appris à travers ses livres ou les protagonistes se lancent dans de longs dialogues. Mais il avait compris le poids des mots et l’impact qu’ils pouvaient avoir sur l’esprit de la Féline, aussi, il prenait attention à ne pas la heurter. Après toutes ses épreuves, elle semblait aussi fragile que de la porcelaine fissurée. Mais à ses côtés, surmonter les tourments lui semblait plus facile.
Puis une annonce qui l’immobilise, le fige telle une statue grecque immortalisée dans le marbre. Le cœur qui fait une embardée, tambourine ensuite à ses tempes tel un tambourin infernal qui l’empêche de réfléchir correctement. Elle demandait s’il pouvait rester seul. Seul. Ici ? Au milieu de presque l’inconnu ? Et si quelque chose approchait ? Si un Humain se rendait compte de leurs présences ? Seul. Il devrait être alerte, se méfier de tout. De la moindre branche qui craque, de la moindre ombre dans la nuit. Et elle ? Elle serait où ? Loin ? Seul. Si elle était en danger ? S’il devait la secourir comme l’autre nuit ? En avait-il la force ? Vite, vite reprendre contenance, reprendre vie. Battre des cils et se redressant, faisant mine de réfléchir. Immobile la pointe de la queue, comme pensant des tonnes, c’est presque si un pied griffu ne marchait pas dessus pour bloquer les mouvements intempestifs. C’était tout un apprentissage de se contenir, de modifier une vérité. Ce n’était pas mentir n’est-ce pas ? C’était juste… Mettre du miel sur les angles anguleux.
- Non, je peux rester seul.
Lui-même est surpris par l’intonation de sa voix, bien plus calme que ne laisse présager ce tremblement qui parcoure sa peau tel un serpent froid qui menace de le mordre. Un sourire un peu crispé certes, mais qui arrive tout de même à étirer ses lèvres. Redresser un peu les épaules, ne fait pas bouger ses ailes dans son dos, faire bonne figure pour camoufler son angoisse. Il sentait au fond de ses entrailles la boule froide et luisante qui ne le lâchait pas, aurait pu brûler tout effort. Mais il avait dit qu’il devait grandir. Et bien que cette épreuve le tétanise, il ne pouvait pas se permettre de retenir Aksana qui dans sa bonté, le cajolerait pour apaiser ses craintes. Toutefois, un froncement de sourcil s’impose tout de même, jette une ombre sur ses billes d’opales. Prendre les mains dans les siennes et les presser doucement.
- Promets-moi de faire attention. Et si tu sens le moindre danger, utilise le fumigène. Je ferais en sorte d’arriver le plus vite possible. Et n’hésite pas.
Impossible de s’imposer, ce n’était pas dans son éducation, sa manière d’interagir, mais le sous-entendu serait tout de même compris. Il ne voulait pas qu’elle pense à bien-être et se retienne de le faire intervenir pour ne pas le blesser plus qu’il ne l’était déjà. Connaissant sa façon de voir les choses, elle serait prête à se sacrifier plutôt que de lui infliger ce déluge d’angoisse. Mais il refusait d’être un couard enfoncé dans le matelas miteux en sachant que son Aimée était en danger. Dorénavant, ils fonctionnaient à deux.
Se pencher et embrasser ce front couvert de mèche d’azur, y déversant toute la confiance qu’il lui accordait, sa chaleur qui l’accompagnera dans son périple nocturne. Attentionné le géant, qui refuse de manger la viande sur le feu, malgré le fait que son ventre gargouille, présentant sa propre proie comme une évidence : il avait de quoi se nourrir. Qu’elle prenne des forces, qu’elle emballe les restes pour plus tard s’il le fallait.
Faire taire son angoisse qui parfois abaissait ses longues oreilles qu’il redressait aussitôt, cette queue qui racle le sol et qui l’agace. C’était un nouvel apprentissage difficile à mettre en place. Ronger par l’incertitude, sa naïveté enfantine lui interdit de mentir et surtout pas à sa douce. Mais il avait retenu que parfois, il était des choses à garder pour soi, parce que cela pourrait faire du mal et blesser sans le vouloir la Bleuter. Mais il n’était pas Humain et il lui était moins aisé de camoufler ses ressentis, son corps s’exprimer à sa place, tel un animal qui ne peut faire semblant.
Alors quand vient les au revoir, il saisit ce bras, enserre ce corps contre le sien d’une pression un peu abrupte mais tellement sincère. Qu’elle sente son cœur battre à tout rompre dans sa cage thoracique, qu’elle aspire sa force pour s’enfoncer dans les ténèbres de cette forêt étrange. Qu’elle sache qu’il penserait à elle, même éloignée, même à l’autre bout du monde. Rien ne pourrait les séparer. L’embrasser, lui donner son souffle pour que ses poumons se gonflent à en faire craquer les vertèbres, imprimer sur ses lèvres son amour éternel et lancinant. Car lui aussi avait besoin de cela. Terriblement.
Impossible pour lui de rentrer et de ne pas regarder la Féline s’engager à l’orée du bois, de voir sa peau se fondre dans la pénombre tel un pelage de nuit. Et malgré ses yeux perçants, il la perd à un moment donné. Plus de mouvement, plus de présence. Plus rien. Un long frisson qui le fait s’ébrouer tel un chien sortant de l’eau. Passer la porte d’entrée et rester immobile, seul dans l’obscurité. La solitude lui pèse soudainement terriblement sur les épaules, curieusement comme une présence indésiré. La pièce lui semblait soudainement si étroite, à le faire s’étouffer. Un doigt qui accroche le rebord de son haut, le déforme un peu alors qu’il tire nerveusement dessus, comme pour desserrer le collier de cuir qui l’avait poursuivi pendant tant d’années. Les bras ballants, il ne savait pas quoi faire. Comment occuper son esprit et ne pas sombrer dans une peur dévorante ? Petits tremblements intempestifs au bout des doigts qui l’obligent à se mouvoir, à trouver quelque chose pour ne pas dériver vers ses pensées émotives. Rassembler du bois sec, actionner la pierre à silex pour démarrer un feu dans la cheminée. Une nouvelle chose qu’il a apprise grâce à Aksana. Une tendresse qui se lit dans ses prunelles à cette pensée, lui qui était tout d’abord effrayé par cet élément qu’il n’a jamais connu. Maintenant, il était capable de le faire naître ou de l’étouffer selon son bon vouloir à sentir les caresses chaudes contre son épiderme et illuminer la noirceur du monde. Puis l’incertitude chasse la quiétude, un froncement de sourcil plisse ce regard assombrit par la crainte. Se rassembler sur le matelas qui n’avait pas bougé depuis la soirée au lac, là en face de la cheminée. Rassembler ses jambes contre lui, les ailes pendantes misérablement sur les côtés de son corps. Observer la danse des flammes avant d’enfouir son visage contre ses genoux, de tenter de réprimer ses larmes qui viennent pourtant de réussir à franchir la barrière de ses cils. Un sanglot qui le transperce de part a en part, un gémissement étouffé qui sort de sa bouche. L’impression d’être de nouveau l’enfant que l’on a puni au fond de sa chambre, le corps constellé de lacération dû aux coups de fouets.
Combien de temps reste-t-il ainsi prostré ? Il ne savait pas vraiment. Suffisamment longtemps pour que le feu soit moins vif, qu’une douleur s’éveille dans son dos courbé. Un reniflement bruyant, une main qui essuie le passage des larmes, balaye un nez trop pris. Soupirer, longuement, jusqu’à vider ses poumons pour les gonfler à nouveau. Mâchoire qui se dessine alors qu’il serre les dents et qu’il se redresse. Il était un idiot à rester ainsi. Il avait promis à son Etoile qu’il ferait plus attention. À lui-même, qu’il deviendrait un adulte. Et on ne se terre pas comme un animal fragile quand on avait des responsabilités. Comment voir le fumigène s’il éclairait le ciel alors qu’il s'est blotti au fond de sa cabane ? Nouvelle angoisse qu’il tente de refréner, ses sabots martelant avec force dans son crâne.
Tout d’abord, préparer la nourriture qu’il avait ramenée. Le lapin ne devait pas être mort pour rien. Alors avec une habilité acquérir lors des derniers jours, il vide la proie, retire la peau qu’il garde de côté, aux cas où. Enterrer les viscères pour éviter tout prédateur néfaste, puis embrocher la viande et la faire tourner au-dessus du feu. L’odeur et la vue de son futur repas lui donnent l’eau à la bouche, arrivent à le sortir de sa léthargie et alors qu’elle est encore fumante, il l’arrache à coup de dent, savoure la sensation d’un estomac qui se remplit enfin et comble le vide intérieur. Il était plus facile de voir le bon côté des choses le ventre plein.
Éteindre le feu, voir le rougeoiement devenir cendre et ramener les ombres à l’intérieur du cabanon. Le laisser allumer, c’était prendre le risque que les flammes dévorent leur maison de fortune. Un pas lourd, qui fait craquer le parquet. Un autre plus assuré malgré la plante des pieds abîmés par la forêt. Une main sur le chambranle de la porte avant d’inspirer longuement et de sortir. L’herbe fraîche qui caresse ses talons, le vent qui s’enroule autour de son visage, soulève des mèches de cheveux. Et la tête qui se relève, ses yeux d’argent qui observent le ciel avec une passion dévorante, puise dans ce plaisir incommensurable qu’il avait découvert avec la liberté. C’était terrifiant un tel espace au-dessus de lui, ainsi qu’un pouvoir immense qu’il saisirait un jour de sa main tendue, de ses ailes déployées. Une force nouvelle qui se glisse tel du lierre dans ses membres, puise dans son énergie pour soulever les deux pans de cuirs lamentables pour les relever, juste un peu, pour ne plus qu’elles traînent lourdement sur le sol. Victoire douloureuse mais appréciable, qui fait battre le cœur un peu plus fort. Ce soir les étoiles et la lune seront ses compagnes. Et plus jamais il ne se priverait de leurs dansent dans le ciel, saisissant son indépendance précaire avec avidité.
Baisser les yeux, pour observer un peu l’horizon. Là. Des yeux. Cela reflète la lumière nocturne, l’observe sans bouger dans la pénombre des arbres. Réflexe d’une nature qui se développe chaque heure passé en extérieur, cette façon de relever la lèvre et de grogner, d’écarter les bras pour paraître plus imposant. Cette queue qui fouette l’air, les ailes qui s’étendent un peu plus. Une peur bleue qui glace sans sang, mais qui ne devait pas se lire sur son visage. Une fois, il était tombé sur un ours et c’est seulement cette manière de réagir qui lui avait épargné des blessures, ou pire, la mort. La créature ne bouge pas pendant de longues secondes, clignant à peine des yeux comme s’il était hypnotisé par le Gris. Puis un bruit dans les broussailles et il semblerait que la présence s’éloigne.
Intrigué, le Démon, qui délaisse aussitôt son attitude défensive, penche la tête sur le côté alors que mille questions le taraudent. S’il avait été seul, il irait peut-être même chercher qui était celui qui l’observait depuis trop longtemps. Mais il ne bouge pas, reste planté au milieu de l’herbe, le regard s’attardant sur l’horizon, attentif au moindre signe. Espérer du fond du cœur que tout allait bien pour son Etoile.
Messages : 142
Date d'inscription : 13/05/2023
Crédits : by lola vagabonde
Univers fétiche : Fantasy
Préférence de jeu : Femme
Lulu
Dim 6 Oct - 16:01
Aksana
Est la descendance oubliée d’abominations morales, fruits maudits de malhars, le temps a ravi ses traits juvéniles, pour qu'elle devienne l'image fidèle d'une mère sans nom, égarée dans les ombres de l'abandon. Palpitant vacant qui ne demande qu’à ronronner sous la moindre caresse, mais les rares curieux craignent d'être engloutis par les ténèbres qui l'entourent. Ces malheureux ignorent que l’âme de l’orpheline brille d'une lueur douce, condamnée à suffoquer sous le poids des préjugés. Domestique qui frise l'esclavage sans même s'en douter, convaincue que, grâce à ses efforts infatigables, elle lavera l'honneur terni de sa lignée. Dévouée qui s'échine, jour après jour, entre les murs du manoir de Mama, la lueur d'espérance continue de briller dans ses yeux fatigués. Enfin, le monde m'offre une main secourable, une opportunité d'ériger la preuve que mon lignage n'est pas aussi vicié que l'insinuent les sinistres murmures. Mes mains, maculées du bleu de l'infamie, sont prêtes à démontrer au monde qu'elles ne furent point créées pour disséminer que mensonges et tourments. En ce sanctuaire, j'ai trouvé asile, un rayon d'espoir scintillant faiblement... Et une étrange compagnie, dont la singularité miroite dans le miroir de la mienne. S h e o g, est son nom.
Ici-bas, au cœur des ronces et des fougères gigantesques, la pâle lueur lunaire semblait se dérober à la moiteur de l’air et au tapis mousseux. Le ciel, autrefois visible, était désormais dissimulé sous un dôme de branches torsadées, s’étirant au-dessus d’elle comme une nuée de bras osseux. La forêt vivait, s’éveillant à chacun de ses pas, tantôt agiles sur les chemins dégagés, tantôt maladroits lorsqu’elle se frayait un passage à travers les broussailles. Aksana percevait des bruissements furtifs, des froissements de feuilles et des craquements secs résonnant tout autour d'elle. On l’observait. Alors que cette certitude grandissait en elle, sa main, à peine cicatrisée, se resserra avec une vigueur fébrile sur le pommeau de sa dague. Peu après, une ronce érafla sa main, mais Aksana ne faiblit pas. Les épines avaient déjà déchiqueté le bas de sa robe grisâtre, ne laissant que des lambeaux recouverts de boue. Des feuilles s’étaient accrochées à sa chevelure autrefois soigneusement tressée, désormais défaites par les branches qui se prenaient régulièrement dans ses mèches décoiffées. Peut-être, songea-t-elle, ressemblait-elle enfin à l’une de ces créatures qui habitaient ces bois et dont l’étendue semblait infinie. Elle n’avait pas vu un chemin dégagé depuis des kilomètres, pas l’ombre d’une trace laissée par les hommes ou autres créatures bipèdes. La lumière même semblait avoir déserté ces lieux. Pire encore, au fur et à mesure de son avancée, la forêt devenait plus oppressante, les arbres se resserrant autour d’elle comme s’ils cherchaient à l'emprisonner.
Soudain, un son inattendu parvint à ses oreilles, et lui hérissa les poils. Ce n’était pas le sifflement du vent à travers les branches, ni le bruissement d’un animal dans les fourrés. Non, c’était un chant, doux, presque tendre, et qui provenait des hauteurs : un oiseau. Son cœur s’arrêta un instant, et ses prunelles, habituées à l’obscurité, se levèrent vers le ciel sans étoiles. Quelque chose avait changé. Un léger voile bleuté, à peine perceptible, teintait l’horizon. L'heure bleue. Les chants des oiseaux s’intensifièrent, comme pour la prévenir ; le jour approchait. Les rayons du soleil la trouveraient bientôt et brûleraient son derme fragile. Elle devait fuir. Vite. Malgré ses pieds engourdis par l’interminable marche dans la boue et les racines, Aksana se mit à courir, désespérée. Chaque pas lui parut trop lent, les ronces et racines, autrefois franchissables, semblaient se refermer autour d’elle comme la maintenir au piège. Elle trébucha sur une racine, maudissant sa propre inattention, mais se releva immédiatement, ignorant la douleur lancinante qui frappait son genou écorché et ses membres griffés. La cabane n’était plus très loin. Son cœur tambourinait non seulement sous l’effort, mais aussi sous le poids d’une angoisse croissante. Elle aurait dû prêter plus d’attention à l’heure. Lorsqu’elle aperçut enfin la silhouette familière de la cabane à travers les arbres, un soupir de soulagement s’échappa de ses lèvres. Pour autant, elle ne ralentit pas.
Mais à mesure qu’elle s’approchait, elle entendit quelque chose. Un son, mélodieux et lointain, qui ressemblait presque à un oiseau, mais non… ce n’en était pas un. C’était une voix, douce, presque chantante, des phonèmes inconnus. Son cœur, déjà affolé, manqua un battement. Elle s’arrêta net, ses muscles tendus, l’esprit soudain en alerte. Quelqu’un parlait, à voix basse, mais suffisamment distincte pour qu’elle ne puisse ignorer cette présence. La panique la submergea. Et si c’était un humain ? Sheog… avait-il réussi à s’échapper ? Jetant un coup d’œil inquiet vers la cabane, elle ne distingua personne à l’intérieur. Un frisson glacé lui parcourut l’échine. Elle se glissa silencieusement derrière les arbres, comme une ombre féline, jusqu’à ce qu’elle trouve enfin la source des murmures. Là, elle aperçut sa Lune, face à une autre silhouette, tout aussi haute, mais plus fine. Ce n’était pas un humain. Collée contre l’écorce rugueuse d’un vieux chêne, elle fit glisser sa dague entre ses doigts graciles, prête à l'attaquer.
L’entité qu’elle observait avait un visage auréolé d’ailes diaphanes et soyeuses, rappelant celles des papillons. Certaines étaient plus longues et colorées que d’autres, et étaient toutes animées de battements légers, presque imperceptibles. Elles se déployaient autour de sa tête comme les pétales d’une orchidée, et derrière ses oreilles pendaient des appendices étranges, semblables à des pistils ou à des trompes d’insectes. Ses yeux, grands et sombres comme deux joyaux d’obsidienne, brillaient sous la lumière tamisée. Sa peau, couverte de fines écailles fragiles, renvoyait des reflets métalliques à chaque mouvement gracieux qu'il faisait. Enfin, il portait une tunique brodée avec une finesse rare. Aksana n’avait jamais vu pareille œuvre, même parmi les riches clients de Mama. Ses lèvres bougèrent, mais de l'endroit où elle se tenait, aucun mot ne lui parvint.
— « Chat nous a demandé de te les ramener pour que tu en prennes soin, Gris… »murmura l’entité en se courbant, déposant délicatement sur le sol une petite nuée de boules de poils sombres, telles des éclats de charbon.
Les petites créatures à peine capables de marcher avaient les yeux clos et miaulaient à l’unisson, suppliant, sans doute, pour des bras chaleureux qui les protégeraient du froid ambiant.
— « Nous vous observons depuis quelques jours, toi et ta sorcière malhar… Vous êtes mal en point, et pourchassés… Je peux vous offrir un abri qui vous protégera de la furie des hommes et qui vous permettra également, de panser vos blessures… »
Sa voix, étrange et cristalline, ne ressemblait à rien d’humain, c’était une mélodie plus qu’un murmure. Mais ce chant s’interrompit brutalement lorsqu’une silhouette jaillit derrière lui. Il eut tout juste le temps de se décaler, que la malhar bondit sur lui comme une ombre. Ses bras frêles, tremblants de fatigue et de peur, encerclèrent son cou avec fermeté. Elle le força à se pencher d’un geste sec, auquel il n’opposa aucune résistance. Ses yeux, grands ouverts, brillaient d’une terreur viscérale, tandis qu’elle glissait maladroitement la lame de sa dague contre sa gorge, raffermissant sa prise. Ses doigts griffus, parcourus de tremblements d’adrénaline, s'enfoncèrent dans ses écailles soyeuses.
— « Je ne vous veux aucun mal… », balbutia-t-il d'une voix vacillante.
La poigne d’Aksana se resserra encore, et elle sentit les battements affolés de son cœur résonner contre ses tempes. Personne, jusqu’à présent, ne les avait jamais aidés. Pire, chaque âme rencontrée n’avait fait que les meurtrir davantage. Comment aurait-elle pu le croire ? Et puis, ni elle ni Sheog n’étaient en état de se défendre. Lui non plus, d’ailleurs tant il tremblait comme une feuille au creux de ses bras. Indécise, la jeune malhar leva ses yeux hésitants vers l’Aimé. Que pensait-il, lui ? S’il désirait qu’elle relâche sa proie, elle le ferait. S’il craignait qu’elle la libère, elle… l’égorgerait ? Ses sourcils se froncèrent sous le poids de cette pensée morbide. Il serait son premier mort. Mais Sheog avait déjà tué pour elle, elle le ferait pour lui, sans une once d’hésitation. Lentement, la lame s’enfonça plus profondément dans la peau écailleuse du fée. Un filet de liquide bleu-vert, non pas écarlate comme le sang, mais semblable à de la lymphe d’insecte, commença à perler sur sa lame.
— « Je suis venu honorer la mémoire d’une amie… et vous offrir mon aide. » — « Vraiment ? Comment ? »répliqua-t-elle, méfiante, l’esprit en ébullition. — « Je suis un fée, et nous vivons dans un royaume parallèle, en meute. Là-bas, il n’y a pas d’humains. Uniquement des entités comme vous et moi, ayant trouvé refuge. » — « Et vous voulez qu'on aille là-bas ? Avec vous ? » — « Vous y serez soignés, nourris… » — « En échange de quoi ? » — « De rien. Absolument rien. Nous venons simplement en aide aux créatures esseulées… »
Peu à peu, la prise d’Aksana se desserra autour du pauvre fée terrorisé. La perspective de trouver refuge loin des humains, de mettre leurs corps et esprits meurtris à l’abri, était tentante. Mais sa méfiance demeurait, aiguisée comme la lame entre ses doigts. Il était hors de question de mettre en péril leur liberté, aussi précaire soit-elle.
— « J’ai des potions pour vous… Vous guérirez de vos blessures, retrouverez vos forces. Libre à vous ensuite de venir chez nous ou de poursuivre votre route… » — « Donne-les moi. Maintenant. »
Sans attendre, il fouilla les larges poches de sa tunique et fit tomber quelques fioles au sol, brillantes comme des éclats de lune.
— « Dès la nuit tombée, elles commenceront à agir… »
D’un geste sec, Aksana le relâcha, puis, avec la rapidité d’un fauve, elle se plaça devant Sheog, la lame tendue vers le fée. Celui-ci recula prudemment, s’enfonçant de nouveau dans l’obscurité de la forêt. La malhar, le bras encore tendu, sentit peu à peu une brûlure lui grignoter la peau. La lumière du jour. Elle ignora la douleur, observant sa peau noircir, jusqu’à ce que la silhouette du fée disparaisse complètement. Puis, rassemblant les fioles avec hâte, elle regagna la cabane, haletante… Une fois à l'abri sous le porche, ses yeux se posèrent alors sur les chatons, blottis aux pieds de Sheog, tous semblables à Chat. Était-ce cette entité qui lui avait ramené ces petites créatures ?