Le Wisconsin. Bon sang, elle ne s’attendait pas vraiment à y habiter de nouveau un jour. Quand elle était partie pour New York, quand elle avait découvert la vie dans la grosse pomme, elle s’était promit qu’elle n’en partirait jamais. Et maintenant… Ce n’est pas qu’elle déteste Madison, mais c’est… différent. Très différent du rythme de vie qu’elle a pris pendant ses années New-Yorkaises. Mais, sa mère et son beau-père étant partis vivre en Europe, elle n’avait pas vraiment d’autre choix. C’était ça ou rester seule à New-York, et ses parents n’étaient pas vraiment partants pour ça, malheureusement pour elle. Pas avec son accident, en plus, et la nécessité de ménager son épaule. Enfin, maintenant qu’elle est en rééducation, elle est un peu plus libre mais quand on est fille unique, le moindre accident peut prendre des proportions énormes.  Si Philipp n’avait pas insisté pour la raisonner ces six derniers mois, peut-être même que sa mère ne serait pas partie, alors qu’ils préparaient ça depuis un an.

Ce soir, tout juste revenue depuis une semaine, elle allait sortir. Profiter de son vendredi pour se changer les idées. Avec un peu de chance, elle trouverait un coin aussi sympathique qu’à New-York ? Peu importe. Elle a trop besoin de s'évader, même si ce n'est que temporaire. Alors elle se prépare rapidement,enfilant une robe noire, près du corps, ne sachant pas encore si elle ira seulement dans un bar ou se risquera à aller en boîte ce qui, avec son épaule et les mouvements de foule n’est peut-être pas l’idéal. Mais au cas où…

Sortie de chez son père, elle erre dans les rues de Madison, cherchant un endroit à sa convenance, jusqu’à finalement pousser les portes d’un bar d’où s’échappe un peu de musique et, à priori, un peu d’ambiance. Tout ce dont elle a besoin pour oublier sa frustration et ses tourments ce soir, même si elle se contente de rester seule à une table à siroter un verre.

S’avançant dans le bar, Nelly s'installe finalement au comptoir, commande un soda et se laisse aller, pensive, à profiter de la musique. On lui sert son verre et, s’accoudant au comptoir, elle fait doucement tourner la paille dans son verre de soda avant de la porter à ses lèvres, la mordillant un peu en même temps qu’elle observe les locaux, son regard s'arrêtant sur une table où trois amis partagent un éclat de rire au même moment.

- Tu sors avec nous ce soir ?

Qu'on te demande alors que tu venais de poser tes fesses sur le banc des vestiaires. Une jambe sur l'autre genoux, tu étais en train de défaire un de tes patins en regardant les deux joueurs devant toi, levant un sourcil interrogatif à leurs égards. Tu te redresses en posant ton pied à terre en les observant. Sortir avec eux après un entraînement voulait tout et rien dire à la fois. Cela pouvait aller de la simple soirée en bar à boire quelques verres, à jouer au billard et fléchettes à finir en boîte de nuit après un barathon et voler des cadis pour faire une course sur un parking vide.

Tu inspires doucement en secouant la tête.

- C'est quoi la douille ?

Ils se regardent un instant entre eux avant de revenir vers toi. Cette fois, ils sont cinq à s'agglutiner autour, comme des fourmis sur un morceau de sucre. Tu grimaces, te sentant légèrement acculé et poses ton dos contre le mur derrière toi. Ils finissent pas reculer, ne laissant que l'instigateur de tout ça rester face à toi, comprenant ta réaction.

- Y a rien ! Juste nous, un bar et l'envie de fêter la saison qui arrive. Y reste plus qu'toi, Capitaine !

Tu passes une main sur ton visage en soupirant. Tu pourrais refuser, bien sûr. Ils ne t'en voudraient pas. Mais en vérité, depuis que tu a été nommé capitaine, force est de constater qu'ils se sont calmés avec leurs bizarreries pour s'amuser et leurs blagues de mauvais goût. Tu baisses la tête, comme si tu étais en pleine réflexion. Tu souris un peu, entendant leurs murmures, l'impression de t'avoir froissé, vexé ou autres, presque conscient que tu refuserais. Mais aller. Pourquoi pas. Tu redresses la tête en leur adressant un vrai sourire et c'est l'euphorie dans le vestiaire. Tu pouffes un peu.

- Je reste pas longtemps, ok ?


Pas longtemps hein ? Au final, il n'en restait plus que trois à tables et c'était deux anciens et toi. Les autres étaient déjà parti à coup de c'est trop tard, ma copine m'attend etc… les bières vides sur la table rendent compte que la soirée avait été plutôt bonne, à coup de deux par personnes en moyenne. Toi, tu carburais au sucre, ice tea en prédilection. Tu avais horreur de l'alcool, ça aidait un peu, mais t'étais aussi dans l'euphorie du moment, à rigoler avec eux comme un dindon. Vous aviez même atteint le point godwin sans le vouloir. À ce moment-là, tu te mets à boire pour te calmer, jetant un oeil vers le comptoir.

Tu tombes sur un visage qui t'empêches de continuer à boire, un instant. Tu baisses ton verre, t'attardant sur elle… Tu souris en croisant son regard avant de regarder de nouveau tes coéquipiers. Tu essayes de ne pas détourner ta tête d'eux, mais ton cerveau hurle de te retourner de nouveau vers elle. Y a comme un ralentissement du temps, un flash, le coeur qui déconne et l'impulsion qui veut dire un truc digne des film hollywoodien, mais qui sait… Ça pourrait marcher. Tu demandes un serveur et murmure à son oreille, comme si tu ne voulais pas que les deux autres entendent.

Mais vu leurs états, ils oublieront demain. On te sourit et le serveur s'éloigne pour donner l'info au barista. Tu te pinces les lèvres, ayant hâte de voir la réaction de la jeune femme quand elle verra que ses consommations lui sont offertes. Tu peux faire ça ? Bien sûr.  Entre l'argent que tu ne comptes pas et le fait que ton frère soit propriétaire du bar où vous étiez… Ça aide un peu. Tu attends patiemment un nouveau jeu de regard avant de prendre ton verre et la rejoindre. Tu regardes tes camarades qui comprennent ta manœuvre et te sifflent pour t'encourager. Tu rigoles nerveusement et approches de la brune.

- Désolé pour eux, ils tiennent mal l'alcool.

Elle mordille la paille de son soda distraitement, le terminant avant même de s’en rendre compte, son regard s’étant perdu sur les tables du bar. Sur une, en particulier, à vrai dire, ou plutôt sur l’un de ses occupants. Instant suspendu, pendant lequel elle reste figée à le regarder, le jeune homme faisant de même, avant de se retourner vers ses amis sur un sourire. Nelly sourit en retour, un peu dans le vide, continuant de l’observer quelques instants après qu’il ait tourné la tête. Grand, musclé, définitivement sportif, taillé par la pratique d’elle ne sait quel sport. Définitivement son type. Définitivement le genre de garçon pour lui plaire, si le physique s’accompagne d’un bel esprit, d’un bon feeling.

Elle reporte son attention sur le comptoir quand elle réalise que son verre est vide. Pinçant les lèvres l’une contre l’autre, elle fait un signe au barista, ce dernier s’agitant derrière son comptoir pour shaker un cocktail, à priori. Elle descend sa main, attrape son téléphone et scanne le QR-code sur la table. Un cocktail, c’est bien. Elle ne boit jamais beaucoup d’alcool - vie sportive oblige - mais un petit, de temps en temps, pourquoi pas… Alors elle parcourt la carte, s’attarde sur les noms, fait son choix et lève de nouveau la main, prête à demander un White Russian. Le barman revient vers elle, prend sa commande, se lance dans la préparation et lui tend son verre rapidement. Elle pose un billet sur la table, qu’il ne prend pas, le refusant même, affirmant que la soirée est offerte. Elle s’étonne, fronce les sourcils, n’étant pas sûre d’avoir bien compris.

"- Offerte ?" demande-t-elle en fronçant les sourcils.

Mais l’homme ne répond pas, déjà appelé plus loin sur le comptoir pour servir deux pintes. Elle reporte son attention sur le verre devant elle, sans y toucher, promenant son regard sur la salle de nouveau, observant les visages aux alentours, jusqu’à revenir sur celui de l’homme de tout à l’heure qui la fixe à nouveau. Elle regarde son verre, puis lui encore une fois, comme pour le questionner silencieusement au travers de la pièce, alors même qu’elle aurait pu parier sur lui dès le départ. Et elle ne sait pas comment gérer cette information. Une part d’elle se sent flattée, elle l’admet. L’autre, celle qui a passé une partie de son existence à New-York, celle qui a fréquenté les élites New-Yorkaise et qui sait que parfois, les hommes qui paient des verres aux jeunes femmes dans les bars attendent quelque chose en retour, se sent gênée, craignant de potentiellement passer pour une profiteuse par après, selon l’évolution de la soirée. Après tout, ils ne se sont même pas parlé. Elle ne saurait dire si le feeling peut y être.

Quand elle regarde de nouveau vers lui, interpellée par les sifflements et les encouragements qui proviennent de ce coin du bar, le jeune homme s’avance vers elle, un verre à la main, finissant par l’atteindre en s’excusant pour le comportement de ses amis. Nelly secoue la tête devant son affirmation. Ce n’est pas comme si ce genre de comportements n'existait pas à New-York. C’est même encore pire. Plus il y a de monde concentré dans un même endroit et plus il y a de chances d’en croiser qui soient comparables à des animaux, n’est-ce pas ? La grosse pomme est idéale pour ça.

"- Je vois. Et toi ?"

Elle prend son verre et le porte à ses lèvres finalement, le fixant tandis qu’elle en prend une gorgée, avant de reposer celui-ci sur le comptoir.

"- Merci pour le verre."