Je l'entends, j'entends sa voix, elle paraît paniquer ? Ce n'est que de l'eau ? Est-ce elle que j'ai aussi entendu se débattre ? Je me fais la réflexion que l'eau a toujours fait partie de ma vie, enfant j'ai grandi en bord de mer, nous nagions sans doute avant même de marcher, il paraît que les très jeunes enfants n'ont aucune appréhension... Bien sûr il a été impossible de le vérifier avec les filles, Edith me prenait pour un fou, je voulais noyer mes gamines !

- Viktor ? Viktor ?! Viktor !!!

Pourquoi est-ce que je me préoccupe d'elle ? Si je rentre seul personne ne s'en étonnera ? Je pourrais sans problème tenter de me sortir de là sans elle ! Après tout, si elle n'avait pas appuyé... mais c'est moi qui avait idée que ces encoches feraient lever le mur. C'est pour que je rattrape Edith qu'elle a mis la main dedans ! Je secoue la tête ! Non ! Je ne peux pas me permettre l'empathie ! Elle est malade, elle est cloîtrée dans le Centre parce qu'elle est dangereuse, pour elle-même ou pour les autres !

Dangereuse ? J'entends ses cris, elle est proche de l'hystérie, elle a peur à en crever ! Ai-je peur ? Je ferme les yeux -bien inutilement, on n'y voit goutte- mais c'est ma façon de faire le point, ça l'a toujours été. J'ai froid, mes vêtements trempés me collent à la peau, ils pèsent une tonne. À ce que je sens, je suis sur un rebord qui fait environ cinquante centimètres de large, de l'autre côté, il n'y a plus d'eau mais pas de sol non plus, et pas de mur ? Je m'allonge avec d'infinies précautions et tente de faire tomber mon bras pour voir si je touche ?  Dans le noir, je n'ose pas tenter de mesurer plus avant la profondeur du vide que je sens. Je me relève tout aussi prudemment et je tâte machinalement mes poches... Là, j'ai un sursaut ! Ma lampe de poche ! Je la sors pour essayer d'y voir plus clair... mais le choc a eu raison d'elle ! Elle n'éclaire plus rien, de dépit je la jette à mes pieds et ai la surprise de la voir tomber bien proprement au milieu de l'étroite bande de béton.

Est-ce juste un muret qui retient l'eau dans son logement, ou bien un truc style barrage de centaines de mètres de hauteur ? Je n'en sais rien. La solution est donc, pour la rejoindre, ou de nager dans le noir total, ou... pire encore, de suivre debout en équilibre instable le chemin que représente le muret ? Instable ? Oui, je n'ai jamais su marcher droit dans  l'obscurité. Pourquoi s'est-elle débattu ? Y a-t-il quelque chose dans l'eau ? D'ailleurs : qui s'est débattu, ou quoi ? Est-ce elle ? Ou je ne sais quelle créature qui a jailli et provoqué sa panique ? Je préférerais nager... mais si il y a quelque chose de menaçant au fond il est hors de question que j'en prenne le risque. Elle m'a entendu puisqu'elle a capté mon prénom, je me mets donc à crier aussi, peut-être pas une bonne idée si nous ne sommes pas seuls ?

- Tu vois quelque chose là où tu es ? Continue de parler, pas la peine de crier, et fais attention ici le muret  donne sur du vide ! C'est pareil pour toi ? Tu as pu atteindre le bord aussi ?

Mais pourquoi suis en train de lui raconter tout ça ? « Fais attention » ! si elle tombait j'aurais idée de la profondeur du trou ? Je saurais si c'est un muret d'un mètre de haut ou un abîme sans fond comme le gouffre dans lequel nous sommes tombés pour arriver jusque là ? Je dois la retrouver, ça s'impose à moi et j'en fulmine de rage ! Pourquoi ! Pourquoi me casser la tête avec cette femme ? À quoi va-t-elle me servir ?

J'ai un flash rapide, je suis dans le salon, impeccable comme toujours, coiffé, vêtu, avec soin et un goût certain, une courte barbe bien rasée... les filles sont sur le canapé et regarde une rétrospective Disney. Encore un sujet de discorde entre leur mère et moi... Je voulais en faire des personnes indépendantes et capables de raisonner par elles-mêmes, elle me rétorquait que tous les enfants connaissaient les dessins animés de Disney et qu'à les en priver je n'obtiendrais qu'un résultat : les couper de leur tranche d'âge et de la société. Elle ne cessait de me répéter que je voulais marginaliser mes enfants, que j'étais possessif et invasif, en dernier, elle avait même fait part à ses parents de soupçons... J'étais un père incestueux, ou si ça n'était pas fait elle craignait que ça n'arrive... C'est ce qu'elle a raconté au juge et la cause de mon interdiction de les voir !

Je reviens à moi, si je me souviens de cette scène c'est que l'extrait présentait un personnage, je ne sais plus lequel, en proie au doute et à la tentation... Il avait son bon génie, blanc et ailé à sa droite, et son diable interne à sa gauche, rouge et noir doté d'une queue fourchue et de cornes...J'en suis là... J'ai dans la tête le bien et le mal qui se concertent : dois-je ou pas secourir Saiorce ?

Je doute, je me remets en question, j'ai tour à tour des envies de me débarrasser d'elle puis des pulsions qui me poussent à la prendre sous mon aile ! Qu'est-elle ? Que suis-je ? À part cette aventure qu'est-ce qui nous lie l'un à l'autre ? Rien. Je ne sais d'elle que ce qu'elle m'a montré. Non, pas elle... le miroir que nous avons traversé, en la mettant en présence de son mari, de sa fille m'a raconté une partie de sa vie comme il lui a dévoilé que j'étais séparé et en manque de mes filles ?

J'ai eu beau lui dire de continuer à parler je n'entends plus rien ? Puis... je vois quelque chose. Dans le noir, une sorte d'ectoplasme blanc, luminescent et semi transparent flotte ? Je manque tomber de ce fichu rebord ! Dans l'incertitude de ce qui l'a fait m'appeler avec une telle terreur dans la voix je n'ai pas osé me remettre à l'eau... Une chose flotte, j'ai l'impression que c'est haut dans le ciel, que dis-je ! Il n'y a pas de ciel ! Je deviens fous ! Des voix, des visions, des sensations de présence inexpliquée. C'est ça, je deviens fou !

Je répète encore, bêtement, dans un besoin de me rassurer : - Tu vois quelque chose là où tu es ? Tu voix cette chose, là, ce truc qui flotte dans l'air ?

J'avance encore de quelques pas précautionneux, si je nage bien je n'ai jamais brillé par mon sens de l'équilibre, la poutre était une discipline qui m'épouvantait ! Là, je suis sur une poutre sans fin, plus large que celles des cours de sport, mais dans l'obscurité complète et entourée d'une eau peuplée d'être inconnus et menaçants d'un côté et d'un trou dont j'ignore la profondeur de l'autre !

Je distingue une silhouette ? Ça y est ? Je l'ai retrouvée ? C'est vague, un contour, immobile ?

- Saiorce ? C'est toi ? Ne bouge pas, j'arrive.

Ça ne répond pas ? Est-elle frappée de mutisme ? Elle criait tout à l'heure ?

Les dés ?:

Le ventre de la blonde se contractait par spasmes tandis qu’à quatre pattes contre l’invisible sol irrégulier et râpeux, elle crachait de ses poumons toute l’eau qu’elle avait avalée. Elle en oublia momentanément jusqu’à la voix qu’elle venait d’entendre. L’avait-elle seulement vraiment entendue ou était-ce simplement une illusion supplémentaire de son esprit ? Elle n’était pour l’instant pas en mesure de répondre, tout occupée à vomir l’eau noirâtre de l’étendue qui avait tenté de l’aspirer vers le fond.

A bout de souffle, Saoirce se redressa avec difficulté, s’efforçant de calmer sa respiration et son cœur qui tambourinait violemment contre ses côtes. Tous ses membres supérieurs tremblaient, comme tétanisés. Par le froid. Par l’erreur. Du dos de la main, elle frotta ses yeux qui la brûlaient et réalisa avec stupéfaction que le halo lumineux était toujours présent. Il était là, à la fois si proche et si lointain. Dans une obscurité aussi compacte, il lui était impossible de déterminer avec précision la distance à laquelle elle se trouvait. Abby.

Soudain, une autre voix éclata dans son cerveau. Ou dans la grotte. Réverbérée par le caverneux écho des lieux où elle se trouvait, elle avait du mal à en trouver l’origine précise. Elle se tourna, de part et d’autre, mais tout était si sombre. Elle espérait que ses yeux ne tarderaient pas à commencer à s’habituer aux ténèbres pour qu’elle puisse tenter de distinguer quelque chose.

- Viktor ? Appela-t-elle encore, s’efforçant de ne pas crier.

Cette fois-ci, la voix de l’homme lui était parvenue avec moins d’écho.

- Je suis… commença-t-elle, encore un peu essoufflée.

Elle reprit une profonde inspiration.

- Oui, je suis au bord. Il y a des cailloux ici. Comme de la pierre de lave. C’est très abrasif.

Une vague odeur métallique au bout de ses doigts la laissa penser qu’elle devait saigner de quelque part. Elle ne doutait pas qu’elle avait dû s’écorcher de partout en rampant sur cette roche tranchante. Elle tendit les mains devant elle, une à hauteur de son visage et l’autre à hauteur de ses genoux. Son compagnon d’infortune avait parlé de muret et de vide de l’autre côté. La dernière chose qu’elle souhaitait était de découvrir qu’elle avait atteint l’endroit dont il faisait mention en basculant par-dessus le parapet. Aussi, elle tâtonna du bout des pieds et avança dans ce qui lui semblait être la direction de la voix. Bientôt, les grattons de pierre sous ses pieds nus cédèrent la place à une surface plus lisse mais pas glissante. La blonde était tellement concentrée dans sa tâche qu’elle en oublia de continuer à parler comme le lui avait demandé Viktor.
Soudain, une nouvelle fois s’élève, à peine plus qu’un murmure.

- Maman…

Abby ? Abby ! Elle l’avait entendue tout à l’heure. Comment avait-elle pu oublier la voix ? Elle avait écouté celle de l’homme et en avait jusqu’à oublié celle de sa fille ! Saoirce se retourna et vit de nouveau le halo, cette fois-ci plus brillant et lumineux. La forme n’évoquait pas celle d’une silhouette d’enfant. Elle était trop… géométrique ?

Saoirce fit un pas en avant et sentit une sorte de parapet au bout de ses doigts. Le muret dont l’homme avait fait mention. Alors, sans trop prendre d’élan et aussi précautionneusement que possible, elle escalada le rebord. A tâtons, elle essaya de percevoir où se trouvait l’autre bord. Le chemin était somme toute assez large, mais elle ne savait pas s’il était rectiligne ou s’infléchissait par endroits. Il valait mieux être précautionneux.

La voix de Viktor s’éleva encore, quelque part dans son dos. Bêtement, comme hypnotisée par ce qu’elle avait sous les yeux, elle opina du chef pour toute réponse. Oui, elle voyait parfaitement la chose qui flottait dans l’air. La chose d’où, elle était convaincue, émanait la voix de sa fille.

Soudain, juste derrière elle, elle entendit son nom. Elle ne parvenait toutefois pas à lâcher du regard l’auréole lumineuse qui lui faisait face. Ce ne fut que lorsqu’elle sentit un contact contre son épaule qu’elle sursauta et fit brutalement volte-face. De quel nouveau cauchemar s’agissait-il désormais ?

Face à elle, nimbé de la faible lumière qu’exhalait la source lumineuse, elle reconnut les traits creusés et fatigués de son compagnon d’infortune. Saoirce fit quelques pas dans sa direction et s’arrêta à quelques centimètres à peine de lui. Elle leva ses mains vers son visage et posa ses paumes contre ses joues mal rasées. Il était une vraie présence. Humaine et tangible. La seule chose qui lui donnait la conviction que tout ceci n’était pas uniquement une illusion tortueuse de son esprit. Sans demander son reste, la blonde lui sauta dessus et plongea sa tête contre son torse. Elle s’accrocha à lui comme un noyé à une bouée de sauvetage. Tous ses membres se mirent de nouveau à trembler violemment. De froid. De douleur. Il était vivant, chaud, et elle avait si froid.

Combien de temps resta-t-elle dans cette position ? Un instant ? Une éternité ? La lumière. Abby. Pourquoi sa voix et maintenant sa présence persistaient-il à la distraire de l’image de sa fille ? Elle se détacha finalement de lui, s’accrochant tout de même à son biceps comme pour s’assurer de rester ancrée à la seule chose ici qui lui semblait encore réelle. Son attention se reporta tout entière sur la source lumineuse. La source lumineuse qui lui semblait désormais si familière. Le miroir.

Une bouffée d’espoir monta en elle. La sortie ? Était-ce la fin du calvaire ? Pouvaient-ils cette fois-ci espérer sortir pour de bon ? Pouvait… elle ? Ils étaient rentrés à deux et voilà où le fait de s’être disputés le passage les avait menés.

Pile : Cette fois-ci elle devait s’assurer d’être la première – et la seule – à passer à travers le miroir. C’était sa survie qui en dépendait. Plus encore, sa liberté. Son besoin de liberté fut plus fort que tout. Plus fort même que le semblant d’affection qu’elle semblait développer pour son compagnon d’infortune. Une pulsion primale s’empara d’elle. Sans le moindre scrupule, Saoirce bouscula Viktor, le repoussant vers le bord du parapet, et fonça à toute vitesse vers le miroir.

Spoiler:

A mesure qu’elle approchait du miroir, la blonde réalisa qu’il ne renvoyait ni le reflet des ténèbres qui l’entourait, ni ne révélait un autre monde possible au-dessus. Sa surface ondulait comme la surface d’un lac sur lequel résonnerait l’écho de ricochets. La blonde s’arrêta le temps d’une respiration devant sa surface laiteuse et opalescente.

Pile 2 : Elle posa alors sa main sur le miroir mais rien ne se produisit. Elle pouvait sentir le contact froid et lisse de sa surface de verre poli. Pourquoi ne se passait-il rien ? Prise d’un accès de panique, de colère, de haine, la blonde se mit à tambouriner dessus en hurler. L’écho de ses coups et de ses cris se réverbéra dans les ténèbres ? Nooooon !

Spoiler:

Edith... Cette silhouette blottie contre moi que je ne vois pas mais dont émane malgré tout une odeur féminine invoque dans ma mémoire Edith. Pas l'Edith vindicative et furieuse qui m'a arraché le divorce, mes filles et tous mes biens en piétinant au passage les efforts d'une vie pour devenir quelqu'un et me sortir d'une misère noire financière autant qu'affective, non, Edith... Tandis qu'elle se serre contre moi, des souvenirs heureux me reviennent, l'université, une jeune femme rousse à l'aura magnifique faite de ces certitudes et de cette assurance que donnent l'argent et le pouvoir. Elle m'avait subjugué, telle une sirène chantant à un marin en passe de perdre son bateau l'attrait de la mort par noyade ! Comment ai-je pu, pragmatique et sérieux comme je l'étais me laisser prendre dans sa nasse ? J'aurais dû, dès la présentation à ses parents comprendre... ces gens là ne voulaient pas de moi et feraient tout pour me perdre, « sauvant » leur fille du déshonneur que signifiait son mariage avec moi. Je pense, je m'égare, je ne sais plus trop où j'en suis. Autour, les ténèbres, une odeur de fosse d'aisance, et là-haut, le miroir !

Elle se réchauffe à moi, se rassure. Et je suis là, comme un imbécile à laisser faire ! Qu'est cette femme ? Elle n'est rien, une aliénée enfermée à la demande de son époux ? Une cinglée qui voit sa fille partout ? Mais je la vois moi aussi ? J'ai vu cet homme et cette enfant ? Je me suis même colleté avec lui ?

Si j'ai appris une chose de la vie, c'est bien que les rêves sont faits pour meubler les nuits -éventuellement- mais que rêver éveillé fait mal, indescriptiblement mal... Pourtant, je m'attarde, je me laisse faire, j'en aurais presque les larmes aux yeux. Et si … si quelqu'un pouvait me permettre de repartir de zéro ? Recommencer une vie, moins faste, moins brillante, mais peuplée de présences aimantes ? Ne me suis-je pas trompé ? N'ai-je pas fait fausse route ? Je croyais qu'elle voulait la même chose que moi : la réussite, toujours plus d'argent, toujours plus de pouvoir, le regard envieux des autres, avec cynisme et détachement... Je me suis trompé, Edith voulait tout cela, mais à condition de n'avoir aucun ticket d'entrée ! Je pouvais -moi- me prostituer virtuellement ou réellement pour gravir les échelons mais être même regardée comme on observe une proie par un homme puissant mais pervers lui était insupportable ! Elle a beaucoup dit devant le juge, et chacune de ses paroles a été acceptée, sans même qu'on me demande d'expliquer ou qu'on me permette de nier ou nuancer ses interprétations !

Alors, pourquoi ne pas l'oublier ? Tout simplement parce qu'elle a obtenu la garde des filles ! En arguant qu'un homme capable de proposer une entrevue avec sa femme à son patron en vue d'une promotion.. pourrait aussi bien abuser ou vendre ses filles ! Je prends bien tardivement conscience qu'une famille, unie, réelle, était pour moi une réussite indubitable, presque autant que la richesse ou une position sociale enviable et haut placée...

Saoirce est toujours tout contre moi, je sais qu'elle est elle, et en même temps je ne veux pas l'admettre. Ma vie est fichue mais mes filles peuvent encore croire en moi ! Derrière ce mur que leur mère a fait tomber du ciel, elles étaient accessibles !

- Jusqu'où irais-tu si tu étais certaine qu'on te rende ta fille ? Qu'accepterais-tu ? Pour la revoir ? L'avoir à toi ?

Qu'ai-je à faire de son avis ? Là-haut il y a le miroir ! Il nous suffit de trouver comment l'atteindre et nous sortirons ! Elle m'oubliera aussi vite que je l'oublierai, nous ne nous serons jamais croisés, simplement, cette aventure m'aura ouvert les yeux : je survis, je végète, je suis capable de plus et de mieux ! Je regarde zvec avidité cet étrange chemin lumineux qui paraît continu mais est en réalité composé de dalles posées dans le vide, certaines largement espacées des autres qui nécessiteront un saut pour enjamber...

Le miroir, un court instant renvoie une image de chambre d'enfant dans laquelle une poupée est assise dans une chaise haute, l'émotion me saisit, je revois en pensée mes filles et leurs dînettes où la poupée Lila invitait ses amies ! Mais c'est le visage de cette femme ! cette blonde voleuse d'espoir qui se reflète ! Pourquoi ? Comment ! J'ai un frémissement de doute empli de jalousie...

Et puis...

Je ne sais ce qui lui prend, elle me repousse violemment !

Spoiler:

Saoirce tambourina et tambourina encore, telle une furie, à s’en briser la peau des articulations. Elle tapait de ses poings désormais sanguinolents contre la surface lisse et froide, n’y laissant pas même la moindre trace du sang qui la maculait pourtant jusqu’aux poignets.

Soudain, elle se sentit engloutie par l’obscurité. Ce fut seulement à cet instant que les mots de l’homme la percutèrent de tout leur sens. Ces mots qu’elle avait entendus mais qu’elle n’avait pas vraiment écoutés lorsqu’elle était encore dans ses bras. « Jusqu’où irais-tu si tu étais certaine qu’on te rende ta fille » ? Pourquoi cette question ? Pourquoi à ce moment-là ? Savait-il quelque chose qu’elle ignorait ? Faisait-il partie du test au fond ? Était-ce pour cela que le miroir avait refusé de s’ouvrir ? Parce qu’elle n’avait pas répondu à la question ?

Le rideau de ténèbres se leva. Le jour se fit de nouveau autour de la jeune femme. Ou plutôt une semi-pénombre aux relents blafards qu’elle ne connaissait que trop bien. Non. Ce n’était pas possible. Non, non, non. Pas là. Pas là. Pas là. Non. Elle ne pouvait pas avoir fait tout ça pour ça. Elle ne pouvait pas être de retour à son point de départ. Pas au Centre. Ce n’était pas possible. Ce n’était pas possible. Tout en elle hurla. Son corps entier fut secoué de violents tremblements. Elle n’avait pas imaginé tout ce qu’elle venait de dire. Viktor était là, à ses côtés. Viktor n’était pas le fruit de son imagination. Il avait vu tout ce qu’elle avait vu. C’était vrai. Tout était vrai. Elle ne pouvait pas être là.

Saoirce s’efforça de ralentir le rythme de sa respiration comme de son cœur qui tambourinait lui aussi furieusement dans sa poitrine. Elle regarda tout autour d’elle, comme pour essayer de vérifier qu’elle était vraiment là, vraiment de retour. N’y avait-il donc aucun signe qui indiquât qu’ils se trouvaient encore de l’autre côté du miroir ? Encore un autre test ? Une fausse salle qui représentait l’asile ? Il ne pouvait en être autrement. Les choses ne pouvaient pas se terminer ainsi. Non, ce n’était pas fini.

PIF – « Jusqu’où irais-tu si tu étais certaine qu’on te rende ta fille ? Qu’accepterais-tu ? Pour la revoir ? L’avoir à toi ? »

Était-ce un énième test ? L’ultime test ?

Le constat était aussi glaçant qu’il était évident pour elle : elle tuerait pour sa fille. Elle tuerait. Sa fille. Elle tuerait.

La blonde leva vers l’homme un regard carnassier. Sans l’ombre de la moindre reconnaissance à son égard, pour tout ce qu’ils avaient partagé, pour ce qu’il avait fait pour elle, Saoirce se dirigea droit sur lui. Les yeux injectés de sang, elle lui plongea dessus, telle une furie, armée de ses seuls poings sur lesquels n’apparaissaient pas la moindre de trace de la violence qu’elle avait déchaînée à l’encontre du miroir. Armée de ses seuls poings qui ne réclamaient désormais que du sang. Toujours plus de sang.

Spoiler: