Dans son tailleur aux couleurs de la compagnie aérienne, Maggie Stevenson accueillait toujours les passagers avec son rayonnant sourire, même après quinze ans à exercer ce métier. Aux portes du Boeing 777 en direction d’Honolulu, elle marquait chaque entrée dans le monstre d’aluminium par un « Bienvenue à vous » tout en désignant l’allée sur sa gauche. Derrière ses lunettes de soleil, il put la voir plisser légèrement ses yeux en amande à sa venue et il la vit hésiter alors qu’elle prononça son habituel « Bienvenue à vous » qu’elle ponctua d’un « Monsieur le sénateur ». Wyatt retira la monture noire de son nez et lui rendit son sourire avec tout autant de chaleur, puis posa son index sur ses lèvres, lui demandant de garder le silence sur sa présence ici. Un petit clin d’œil et reposa ses lunettes de soleil sur le nez, baissa légèrement la tête, comme s’il cherchait désespérément le numéro de son siège sur sa carte d’embarcation, alors qu’il s’avançait jusqu’à la première classe de l’appareil. Un regard pour les allées, puis finit par trouver son siège et baissa son regard sur ce dernier et resta interdit en constant qu’il ne serait pas seul pour le voyage. Wyatt retira lentement ses lunettes de soleil de son nez alors qu’il envisagea un mauvais tour de son esprit résultant d’un manque de vacances évident. Un « Excusez-moi » le tira de sa torpeur et il s’avança pour laisser passer les passagers qui faisaient la queue derrière eux. Il se recula d’un pas ensuite « Johanne… » rétorqua-t-il presque dans un murmure, puis se mit à sourire avec douceur « Tu… Tu es différente ». Un regard pour l’hôtesse de l’air dont la présence laissait sous-entendre que l’avion n’allait pas tarder à décoller, et déposa son bagage à main dans le porte-bagage au-dessus de leurs têtes, puis prit place sur le siège voisin à celui de son ex-femme « Je suis surpris de te voir ici… » avoua-t-il alors qu’il attacha sa ceinture devant le signal lumineux qui l’exigeait.

Quatre ans… Cela faisait quatre ans que Wyatt avait signé les papiers du divorce, mettant ainsi fin à dix-sept de relation et quinze ans de mariage. Cela s’était imposé à eux comme une évidence après toutes les épreuves qu’ils avaient traversé ensemble et qui n’avaient fait que les détruire, sans jamais parvenir à se reconstruire. La mort de Marcus, la tentative de suicide de Johanne, puis s’en était suivi une carrière omniprésente qui dictait leur quotidien de telle sorte que ça ne faisait que croitre le mal-être de son épouse… Wyatt ne pouvait tolérer de faire davantage de mal à celle qu’il aimait plus que la vie elle-même et avait donc pris les devants en signant les papiers du divorce un soir de semaine. La vente de leur demeure avait suivi deux mois après leur déménagement, permettant ainsi à ce dernier d’acquérir à nouvel appartement dans le centre de Manhattan, ainsi qu’un second à Washington après l’annonce des résultats qui le nommait sénateur de l’État de New York pour les six prochaines années. Au sommet de sa réussite de sa carrière politique, Wyatt eut quelques difficultés à accepter son divorce avec Johanne. Pus d’une fois, il s’était retenu de vider une bouteille de scotch pour oublier, se rappelant de la promesse qu’il lui avait fait un soir, dans leur salon. Sans ces paroles, il aurait sûrement sombré. Il mit plus d’un an à accepter que Johanne ne ferait plus partie de sa vie et deux ans avant d’accepter de sortir de nouveau. Sa position rendait les relations personnelles difficiles. Il n’était jamais certain de la sincérité des femmes qu’il rencontrait. Était-ce pour sa position ? Son argent ? Comptaient-elles crier au scandale sexuel à l’issue de leur aventure ? Cela avait donc limité le champ des possibles. Claire avait tenté de trouver le positif dans cet aspect-là. Il avait plus de temps à mettre à disposition de ses obligations professionnelles. Et voilà que cela faisait quatre ans qu’il ne s’était pas autorisé de vacances. Il avait donc décidé de s’autoriser deux semaines à Hawaii, loin de la mairie de New York et du Sénat. Loin de toute cette effervescence politique. Néanmoins, il ne s’était pas attendu à se retrouver nez à nez avec son ex-femme quatre après leur divorce, et sur le même vol en direction d’Honolulu…

Honolulu. La soleil, la plage de sable fin, le décor paradisiaque… Cela faisait deux ans qu’elle en rêvait, deux années qu’elle repoussait ce voyage. Mais aujourd’hui, elle venait de s’installer dans l’avion qui allait enfin l’emmener vers ce petit coin de paradis, loin de la ville et du travail. Johanne avait besoin de cette pause, prendre du temps pour elle et uniquement elle. Cela faisait deux ans qu’elle travaillait de plus en plus. Elle voulait lever le pieds, pendant deux semaines. Elle avait envoyé se faire foutre l’avis des gens. Tu ne vas pas partir seule quand  même ? C’est dommage que tu ne sois plus avec Zack. A deux la plage c’est mieux. Tu vas faire quoi là-bas toute seule ? Merde ! Justement, elle avait envie de se retrouver seule. Elle adorait son travail, mais le monde de la mode la fatiguait. Elle avait vraiment besoin de penser à autre chose. Alors elle avait joué la carte de l’inspiration. Ça va m’aider à imaginer la prochaine collection. Je vais faire de nouvelle rencontre. Je vais apprendre à surfer pourquoi pas ! Alors aujourd’hui, c’était tout sourire qu’elle avait répondu à l’hôtesse de l’air, et qu’elle avait prit place côté hublot.

Elle avait déjà le regard fixé dehors. Elle adorait le décollage, enfin voir que l’avion quittait le sol et montait à l’assaut des nuages. Mais elle fronça les sourcils en entendant son prénom. Tourna la tête, leva le nez et qu’elle ne fut pas sa surprise de voir son ex-mari planté au milieu de l’allée. Elle le trouva quelque peu vieillie. Même si ça lui allait bien. « -bonjour… » souffla-t-elle en ne sachant pas trop qu’elle attitude adopter. « -oh tu es… d’accord… » il était placé à côté d’elle… la vie avait le sens de l’humour… un léger sourire à l’hôtesse et elle répondit : « -pas autant que moi… » elle ne l’imaginait pas capable de prendre des vacances. A moins qu’il voyage pour le travail… mais elle en doutait.

C’était assez particulier de se retrouver à côté de lui dans cet avion. Mais elle décida de regarder à nouveau par le hublot, ne voulant pas rater le décollage. Ils auraient le temps de discuter durant le vol… même si elle s’était mit en tête de dormir le plus possible. 10h de vol c’était long… 10h bloqué l’un à côté de l’autre dans cet avion… oui, vraiment la vie avait le sens de l’humour. Johanne avait suivit la carrière politique de Wyatt, de loin. Heureuse pour lui lors de l’élection. Mais ils venaient de divorcer à l’époque, et elle n’avait jamais prit le devant pour entretenir des échanges, même bref par sms. Lorsqu’ils s’étaient quittés, elle avait besoin de se reconstruire. Wyatt l’avait compris, avait signé les papiers de façon presque soudaine. Ça avait été compliqué de quitter la maison, de le quitter lui surtout. Aujourd’hui, elle allait bien mieux. Il avait raison, elle était différente. La belle brune s’installa un peu mieux dans son siège une fois que l’avion eut décollé. Est-ce qu’ils devaient se faire la conversation ?  

Presque affalé sur son bureau, sa tête prenant appui sur sa main, Wyatt avait regardé la montagne de paperasse dans le coin, puis s’était perdu dans les méandres d’internet. C’était ainsi, qu’un soir de semaine, accablé par la charge de travail, il avait réservé un vol aller/retour pour Honolulu. Une envie soudaine de vouloir arpenter de long en large les plages de sables blanc d’Hawaii. Voilà comment l’actuel sénateur s’était retrouvé dans le Boeing 777 en compagnie de nulle autre que son ex-femme. La Vie avait semblablement le sens de l’humour, et il n’était pas le seul à le penser en constatant la lueur de surprise qui illumina les prunelles sombres de Johanne. Il prit place sur le siège qu’il avait choisi au hasard le soir de la réservation « Oui… » tout en affichant une légère moue et attacha sa ceinture en esquissant un sourire à son ex-femme « Je me doute ». Wyatt la laissa contempler le décollage par le hublot alors que le concernant, il posa simplement sa tête contre son siège, non sans quelques regards pour l’extérieur, observant les ailes de l’avion remuer au grès du vent et des virages que prenait l’appareil. Un regard pour le signal clignotant qui indiquait que la ceinture de sécurité n’était plus obligatoire et détacha la sienne avant de se pencher dans le couloir pour repérer le personnel de bord. Il commençait à avoir faim. Il interpella une hôtesse passant par-là « Bonjour. Je voudrais savoir s’il était possible d’avoir une collation ? » « Bien sûr. Nous n’allons pas tarder à passer avec des rafraichissements et de quoi se substanter ». Il acquiesça en lui souriant et s’enfonça dans son siège, son doigt glissant le long de l’écran pour s’informer des films à voir. En réalité, il regardait la liste défiler sans vraiment y prêter attention. Il n’avait soudainement que Johanne à l’esprit et leur proximité n’arrangeait rien.

« Tu vas à Hawaii pour les vacances ? » demanda-t-il en tournant la tête vers elle alors qu’il délaissa l’écran face à lui, puis ajouta « Tu vas rejoindre quelqu’un ou… », puis remua négativement de la tête tout en reposant son index sur l’écran « Ce ne sont pas mes affaires » et continua d’arpenter la liste, encore et encore. « Vous souhaitez manger ou boire quelque chose ? » demanda l’hôtesse de l’air qui s’arrêta à leur hauteur « Je vais vous prendre un jus de fruits et des chips, merci ». Elle lui donna le tout avant de s’adresser à la femme à ses côtés, puis poursuivit sa route. Il tenta d’ouvrir son paquet de chips sans les éparpiller partout, et un sourire étira ses lèvres lorsqu’il y parvint, et en piocha une avant de tendre le paquet à Johanne « Tu en veux ? ». Il l’observa un moment avant d’ajouter « Tu veux que je te laisse tranquille, c’est ça ? » et mima une fermeture éclaire contre ses lèvres, puis se décida à lancer un film après avoir enfilé ses écouteurs.

Même avion, et place côte à côte… Hasard de fou. « -aucun souci… » avait elle répondu de façon un peu précipité en voyant la légère moue qu’il venait de faire. Elle n’allait pas demandé à ce qu’il change de siège. C’était une situation assez exceptionnelle, mais elle n’était pas non plus horrifié de le voir ici. Malgré le divorce et les années de distance, elle n’en était jamais arrivée à le détester. Elle eut envie de lui demandé s’il partait pour des vacances ou le travail, mais préféra regarder le décollage. Ils auraient bien le temps de parler… Heureusement qu’ils étaient en première classe. Il y avait un peu d’espace entre eux. Pas de possibilité que leurs mains ou leurs genoux se touchent. Elle devrait seulement le déranger si elle devait aller aux toilettes… ce qui n’était pas pour tout de suite. Johanne regarda la livre qu’elle avait prit pour le voyage, mais ne le toucha pas pour le moment.

Elle tourna la tête pour le regarder lorsqu’il lui posa ses questions. Une basique, l’autre à la limite de l’indiscret. Elle sourit. « -pour les vacances. Mise à part les voyages pour le travail, je n’en ai jamais fait pour la détente. J’avais envie de faire un break. » elle croisa les jambes et demanda à son tour : « - et toi ? » il voyait visiblement seul. Pas de garde du corps ou autres personnels. Un sourire pour l’hôtesse qui venait d’apparaitre. Elle commanda un jus d’ananas, remercia la jeune femme et jeta un regard en coin à Wyatt et son paquet de chips. Il n’avait jamais été doué pour ouvrir ces trucs. Elle sourit de nouveau. Un nouveau regard pour lui, puis pour le paquet de chips. Il enchaina la suite rapidement. Cela la fit rire intérieurement. Elle n’avait pas répondu qu’il mettait déjà ses écouteurs. Alors elle décida de prendre quand même une chips du paquet, et de lui sourire avant de prendre son livre.

Elle tenta de ce concentrer au mieux sur le livre, comme si l’homme qui se trouvait à côté n’avait pas partagé dix sept ans de sa vie. Mais c’était compliqué. Elle s’en rendit compte lorsqu’elle relu pour la cinquième fois la même phrase. Johanne décida de fermer le livre, le rangea et regarda de nouveau par le hublot.

La vie avait parfois un drôle de sens de l’humour. Qui aurait cru qu’ils se retrouvaient l’un à côté de l’autre, sur le même vol, alors que cela faisait quatre ans qu’ils menaient leurs vies chacun de leurs côtés ? S’il en avait été informé, Wyatt aurait sûrement réfléchit à deux fois avant de valider son vol pour Hawaii à cette date. Pas que ça le dérangeait de retrouver Johanne après toutes ces années… Seulement la page avait été difficile à tourner, et maintenant que c’était chose faite, il craignait que tous ses efforts tombent à l’eau soudainement, juste à cause de quelques heures de vol aux côtés de son ex-femme. Toutefois, aucun retour en arrière était possible et ils allaient devoir s’accoutumer avec les tribulations de la Vie. Wyatt tenta donc une approche en l’interrogeant sur son séjour à Hawaii et osa une indiscrétion concernant sa vie personnelle. Il nota l’omission sûrement volontaire de Johanne concernant sa situation maritale et l’accepta silencieusement. Il n’était plus en droit de savoir si elle fréquentait un autre homme ou non. Néanmoins, il émit un petit rire amusé en constatant qu’ils n’étaient jamais partis en vacances en dix-sept ans de vies communes. Ils avaient passé leur lune de miel chez eux, dans leur médiocre appartement à faire l’amour encore et encore, entrecoupé de sitcoms et de reste du buffet de leur mariage « On n’a jamais eu le temps de partir en vacances » constata-t-il sans se départir de son sourire avant de se prêter, lui aussi, à l’exercice « Des vacances également, que j’ai prises sur un coup de tête ». Chose qui ne lui était pas arrivée depuis des années. De se montrer aussi spontané dans son quotidien.

La discussion fut brève car le quadragénaire porta toute son attention sur le paquet de chips qu’il parvenait difficilement à ouvrir sans étaler les chips au sol. Une habitude chez le politicien qui redoubla donc d’attention pour l’ouvrir correctement, en proposa à Johanne lorsque ce fut chose faite. Avant même qu’elle puisse répondre, il mima une fermeture éclair, comme pour faire vœux de silence pour les prochaines heures du vol. Après tout, après toutes ces années, Johanne ne souhaitait peut-être pas converser avec son ex-époux durant ses premières vacances. Les écouteurs sur les oreilles, il esquissa toutefois un sourire alors qu’il la vit, du coin de l’œil, piocher dans son paquet de chips. Il se concentra ensuite sur le film, sans vraiment prêter attention au moindre dialogue et il s’en rendit compte lorsqu’il s’interrogea sur les raisons qui poussaient le héro à braquer son arme sur son coéquipier… Il osa donc un regard en direction de Johanne qui finit par délaisser son roman. Il patienta quelques minutes, puis retira ses écouteurs sans prendre le soin de mettre au pause au film « Tu vis toujours dans le même appartement ? » et porta sa paille à ses lèvres, inspirant son jus de fruit du coin des lèvres tout en l’observant, et s’en détacha en ajoutant « Tu restes combien de temps à Hawaii ? », puis chercha sa paille des lèvres, avant de s’en saisir de son autre main en se rendant compte qu’il était réellement maladroit lorsqu’il s’y mettait.

« -au départ nous n’avions pas l’argent pour, ensuite… on a jamais prit le temps, c’est différent. » parce qu’ils auraient pu le faire, décider de faire une pause, partir à l’autre bout du monde ensemble, rien que pour la détente. Mais ils n’avaient jamais prit le temps de planifier un voyage en couple. Ils avaient mis l’accent sur leur carrière, surtout sur celle de Wyatt, et puis… ils avaient décidé de fonder une famille. Et les soucis avaient commencé… la distance entre eux s’était créée, et aujourd’hui, cela faisait quatre ans qu’ils étaient maintenant divorcé. Et voilà qu’ils se retrouvaient dans le même avion, avec le même objectif. Prendre des vacances. Il était seul. Elle aussi. « -c’est bien… » cela ne pouvait que lui faire du bien en tout cas. Il semblait fatigué, il avait quelque peu vieillie aussi. La politique faisait vieillir les hommes plus vite. Sans doute le poids des responsabilités…

Impossible de se concentrer ou de se plonger dans son roman. Son esprit était distrait par la présence de Wyatt, là, juste à côté d’elle. Alors elle ferma le livre, et regarda de nouveau par la hublot. Elle le sentit bouger, mais ne tourna la tête que lorsqu’il prit la parole. « -non. J’ai déménagé depuis deux ans. » elle avait eu envie de choisir elle-même où elle vivait. L’ancien appartement avait été choisi par l’assistante de Wyatt. Il était spacieux, trop spacieux. Impersonnel également. Elle ne s’y était jamais sentit chez elle. Aujourd’hui son chez elle, était plus petit, plus cosy. Johanne s’y sentait bien. Bien mieux. « -deux semaines. Et toi ? » elle sourit en le voyant faire avec sa paille. C’était ce genre de détails qui l’avait séduite des années plus tôt. Pas l’homme politique. Mais l’homme simple et un poil maladroit. Celui qu’il ne montrait pas au public. Celui qu’il était vraiment.

« -je n’ai pas envie de parler travail, alors je vais te le demander une seule fois. Comment ça se passe pour toi ? » elle avait été heureuse et soulagée qu’il soit élu. Heureuse et soulagée également que leur divorce n’ait pas eu d’impacte négatif sur la candidature. Wyatt était un homme bien, qui savait faire son travail. Un homme dont les citoyens avaient besoin. Elle espérait qu’il soit épanouit dans ce qu’il faisait. Elle avait regardé sa carrière de loin. Simplement parce qu’au début, c’était trop dur de le voir à la télévision. Et puis ensuite, elle s’était forcée à se détacher de plus en plus, à tenter de ne plus penser à lui. Johanne avait surtout prit le temps de se reconstruire. Parce que c’était le deal… le divorce avait été prononcé pour cela. Pour son bien être personnel. Pour éviter qu’elle ne sombre à nouveau.

Le hasard faisait bien les choses. C’était l’adage. Est-ce que c’était notamment le cas aujourd’hui, alors qu’ils se retrouvaient quatre ans après leur divorce, l’un à côté de l’autre, dans le même vol pour Hawaii ? Seul l’avenir saurait leur répondre. Pour le moment, Johanne lui rappelait seulement qu’ils n’avaient jamais su prendre le temps pour s’aventurer dans une destination exotique lorsqu’ils en avaient eu l’opportunité, pour seulement se retrouver rien que tous les deux, coupés du monde extérieur. Wyatt baissa momentanément les yeux tout en acquiesçant, lui donnant raison, un maigre sourire aux coins des lèvres, puis releva ses yeux verts sur elle « Je le regrette ». Peu importe les années qui s’étaient écoulées depuis leur divorce, Johanne faisait partie intégrante de son passé, et il éprouvait toujours des regrets sur ce qu’il aurait pu faire pour sauver leur mariage, leur amour. Rien que de la surprendre avec des billets d’avion… Il aurait pu le faire, mais entre sa carrière et ce désir vain de fonder une famille, ils s’étaient perdus. Il s’était perdu. Aujourd’hui, Wyatt avait accepté la disparition de Marcus, son divorce, ses échecs, et s’était reconstruit seul. Mais se retrouver sur le même vol que Johanne faisait remonter quelques souvenirs, quelques émotions. Un sourire se glissa sur les lèvres du politicien alors qu’elle confirmait son choix de prendre des vacances « J’ai changé » souffla-t-il avant de porter son attention sur le film. Enfin, si l’on pouvait dire cela ainsi. Son esprit était focalisé sur la femme à ses côtés, et nullement sur les évènements qui se déroulaient dans le film.

Il finit donc par reprendre la parole, parce que Johanne l’intéressait bien plus que le film qu’il avait préalablement choisi sur la tablette. Son ex-femme avait déménagé « Toujours à Manhattan ? » demanda-t-il parce qu’il n’avait pas envie que la conversation cesse aussi vite. Ce fut pour cela qu’il se montra curieux concernant sa durée de séjour à Hawaii et il ne put cacher son sourire davantage « Moi aussi ». Wyatt trouvait cette coïncidence plus charmante que perturbante, alors qu’il se débattait maladroitement avec sa paille qu’il parvenait difficilement à porter à ses lèvres. Il s’aida donc de sa main et finit par aspirer le liquide sucré tout en fixant ce dernier se réduire à vue d’œil. Il reposa le verre à ses côtés tout en stoppant le film qui poursuivait seul de son côté. Un regard pour Johanne quand elle l’interrogea sur son métier dont, elle ne s’en cacha pas, elle ne souhaitait pas parler davantage « C’est éreintant, frustrant, mais intéressant ». Oui, c’était ainsi qu’il désignait son passage au Sénat. Il avait pris quelques rides ces quatre dernières années, témoignant de la charge mentale découlant de son poste. C’était frustrant de combattre pour ses principes lorsqu’ils ne correspondaient pas à l’opinion générale des autres membres du Sénat, mais il savourait également chaque instant. Sept ans dans une vie, c’était aussi long que bref. D’ici trois ans, de nouvelles élections auraient lieues et les interrogations se soulevées quant à sa candidature à ce moment-ci. Il ajouta « Et toi ? » alors qu’il piocha quelques chips.

Johanne avait sourit. Des regrets… ils en avaient l'un comme l'autre. « -tu ne devrais pas. A l’époque ça ne nous semblait pas essentiel. Et avoir des regrets n'aide en rien. » le passé était le passé. Ils ne pouvaient rien changer. Ils avaient vécu autrement, d'autre choses… mais elle trouvait cela positif qu'il ait décidé de s'accorder un peu de temps pour lui. « tu m'en diras tant… » raya Joe avec un sourire en coin. Elle avait du mal à imaginer cela. Maintenant qu'il était élu, elle l'imaginait plonger à longueur de temps dans son travail. Que celui-ci était toujours et encore sa priorité. En quoi avait il changé ? Cela l’intrigua. Mais elle ne poussa pas le sujet plus loin. Revoir Wyatt était déstabilisant. Il ramènait avec lui les souvenirs, les moments compliqués également. Johanne avait beaucoup travaillé sur elle pour éviter de sombrer à nouveau dans la dépression. Être assise à côté de lui la ramenait forcément à celle qu’elle était quatre ans plus tôt. Une femme fragile, à bout de souffle, à bout de force… elle aimait celle qu’elle avait fait revivre, elle aimait sa vie actuelle et voulait prendre garde à ne rien compliqué. Parce qu’elle n’était pas folle, elle savait parfaitement qu’elle ne l’avait pas oublié, et que ses sentiments pour Wyatt n’etaient pas morts. C’était d’ailleurs la raison de la rupture avec Zack. Lui avait beau l’aimer, ce n’était pas son cas.

« -Non, Williamsburg. » elle se sentait bien plus elle-même dans ce quartier. Il correspondait à son âme d’artiste. « -et de ton côté ? » Elle savait que la maison avait été vendu, elle en avait touché une partie des gains. Mais elle ignorait totalement où il habitait aujourd’hui. Il avait prit 2 semaines de congés, comme elle. Il ne manquait plus qu’ils se retrouvent dans le même hôtel ! Une partie de Johanne était heureuse de le revoir. L’autre… elle éprouvait une certaine forme de crainte. Elle avait prit ces vacances pour souffler, pas pour voir ressurgir le passé. « -frustrant ? Ça n’avance pas comme tu le voudrais ? » Elle avait souri au dernier qualificatif qu’il avait donné. Il semblait se plaire à son poste. Elle en était heureuse pour lui. « -moi ? Oh et bien les deux dernières collections ont eut beaucoup de succès. Actuellement je travaille sur une gamme de robes mariées et également sur un projet de collection pour les femmes rondes » idée venu d’un constat sur les mannequins des défilés. Trop d’os, pas assez de formes. Elle voulait changer ça.

Peu importe ce qu’elle pouvait lui dire, des regrets, il en avait. Il aurait aimé que leur mariage ne cesse pas, qu’ils puissent prendre cet avion en étant toujours marié l’un à l’autre. Il esquissa toutefois un petit sourire en rétorquant « Pourtant, ça nous aurait fait le plus grand bien ». Il le savait, et elle aussi sûrement. Maintenant qu’il avait fait le deuil de leur bébé et de leur mariage, Wyatt percevait la vie autrement. Il remarquait davantage ce qu’il aurait pu faire pour sauver son mariage, et l’homme qu’il ne souhaitait plus être aujourd’hui. Il avait changé. Même si Johanne ne semblait pas le croire lorsqu’il le lui en fit état « Tu ne me crois pas ? » répliqua-t-il en posant sa tête contre le dossier de son siège, tournée vers elle. Johanne avait peut-être fini par croire que le politicien avait anéanti définitivement l’homme dont elle était tombée amoureuse vingt ans auparavant, qu’il n’existait plus. Qu’il était maintenant seulement un sénateur froid et obnubilé par ses ambitions politiques. Une pensée légitime après la manière dont s’était clôturée leur histoire, mais il se sentait changé, différent de cet homme qui avait signé les papiers du divorce un soir de semaine, dans leur imposante demeure, rendant ainsi sa liberté à cette femme qu’il aimait plus que tout.

Un sourire se glissa de nouveau sur les lèvres de Wyatt alors qu’il se redressait légèrement dans son siège, picorant ses chips de temps à autre « Il est plus à ton image » constata-t-il avec douceur avant de répondre à sa question « J’ai trouvé un appartement à Manhattan, et un à Washington le temps de mon mandat ». Il ne souhaitait pas dépenser l’argent public en hôtel et repas luxueux. Il avait donc opté pour la location d’un appartement simple dans la capitale afin de se sentir chez lui lorsqu’il devait siéger au Sénat, mais son amour pour New York l’empêchait de couper entièrement le lien, et donc avait gardé un pied à terre dans la Grosse Pomme. Wyatt fut surpris de voir Johanne l’interroger sur sa carrière politique. Il ne savait que trop bien qu’elle avait en horreur ce milieu dans lequel il l’avait enfermé si longtemps « Mes principes ne sont pas toujours en adéquation avec ceux de mes opposants politiques ». Après quatre ans, il commençait à se faire une raison. Un seul homme ne pouvait pas tout changer en l’espace d’un seul mandat. La politique, c’était aussi une affaire de consensus, et parfois, c’était difficile pour Wyatt de l’accepter. Il n’allait pas épiloguer davantage sur ce domaine et préféra interroger son ex-femme sur son métier, sur l’avancement de sa carrière. Un sourire en entendant sa réponse. Il avait toujours éprouvé de la fierté pour son travail, pour ses projets, ses accomplissements « Comme toujours, tu bouscules les diktats de la société et tente de changer les choses… » répliqua-t-il en la couvant du regard avec tendresse. La voix de l’hôtesse de l’air lui fit tourner la tête vers son interlocutrice. C’était l’heure du déjeuner. Il choisi son menu, et laissa la jeune femme déposer le plateau devant lui. Wyatt souleva le couvercle et apprécia l’odeur agréable de sa truite meunière. Un sourire à l’attention de Johanne « Bon appétit », puis prit une bouchée avant de désigner son plat de la fourchette « Tu souhaites goûter ? ». Il prit quelques bouchées avant de s’essuyer la bouche de sa serviette, et porta son verre d’eau à ses lèvres « Tu as rencontré quelqu’un depuis notre divorce ? ».

Partir en vacances ensemble… Joe sourit : « -oui sans doute… » il avait peut-être raison, s’accorder du temps de qualité ensemble, prendre le temps de déconnecter quelques jours, rien que tous les deux… ça aurait été bénéfique. Sauf qu’ils ne l’avaient jamais fait. Et que penser au passé ne changerait rien. Ils étaient divorcés depuis quatre ans, ils avaient refait leur vie chacun de leur côté. Même si aujourd’hui, c’était seul qu’ils prenaient l’avion. « -si… j’ai changé alors je ne vois pas pourquoi en quatre ans, tu n’aurais pas fait de même. » changé en bien ou en mal ? Avait-il appris de leurs erreurs ? Avait il prit le temps de soigner ses blessures ? Ce n’était pas en quelques heures de vol qu’elle pourrait le savoir. Mais elle espérait vraiment qu’il avait travaillé sur lui, autant que sur son programme politique.

Johanne lui avoua avoir déménagé. Brooklyn était un quartier qui lui plaisait. Depuis longtemps d’ailleurs. Elle s’y sentait plus dans son élément. « -exactement. » et puis en changeant d’appartement, elle avait mit de la distance avec le passé. Ça avait été bénéfique. Elle lui retourna la question : « -tu fais les aller retours ? » elle était étonnée qu’il ne se soit pas installé là-bas, délaissant Manhattan. Elle le questionna ensuite sur son travail, précisant qu’elle ne tenait pas à ce qu’ils parlent uniquement de ça. « -c’est ce qui fait l’intérêt du job non ? L’argumentaire, se battre pour tes idées, tentez de faire changer celles des autres. » mais elle se trompait peut-être. Même si c’était compliqué et complexe, elle savait qu’il aimait ça. « -chacun sa façon de faire. » s’amusa la jeune femme lorsqu’il parla de faire changer les choses. Ce n’était pas au même niveau. Et elle était bien plus libre dans son moyen d’expression.

Un sourire pour l’hôtesse, puis elle réceptionna son plateau. Un merci et elle versa la sauce sur sa salade. « -non, merci ça va. » souffla-t-elle lorsqu’il l’invita à gouter. Elle prit une gorgée d’eau, avant de répondre de façon posée : « -oui. » et d’ajouter : « -mais c’est terminé depuis quelques mois. » elle avait voulu tenter de reconstruire quelque chose avec un autre homme. Seulement… seulement elle était incapable de réellement aimer quelqu’un d’autre. Sa relation avait durée un an, et jamais elle n’avait pas un pas en avant pour que les choses avances. Ce voir de temps à autres, chez lui, chez elle. Mais elle n’avait pas vidé de tiroir pour lui, alors qu’il l’avait fait de son côté. Elle avait toujours refusé ses demandes d’habiter ensemble. Même rester plus de deux jours étaient impossible. « -et toi ? » forcement, elle voulait savoir également.