Un silence de plomb les enveloppa de ses bras dès leur sortie du restaurant, et cela, jusqu’à leur retour chez eux où ils se séparèrent, trouvant refuge chacun dans une pièce. Il avait choisi la cuisine pour déguster une dernière tasse de café avant de rejoindre les bras de Morphée l’espace de quelques heures, pendant que Johanne s’était enfermée dans son bureau, qui avait été également la chambre de leur fils durant de longs mois. Alors qu’il avait bu la moitié du breuvage brun, il s’avança jusqu’au seuil de la porte de ce bureau dans lequel il n’était jamais parvenu à entrer, poussant seulement la porte pour entrevoir Johanne, classant tout un tas de photographies. Des photos d’eux deux, heureux plus que jamais. Son épaule contre le chambranle de la porte, sa tasse entre ses doigts, Wyatt fut surpris de la question de sa femme. Il la fixa un instant, déglutissant avec difficulté. Le sujet était toujours sensible, peu importe le temps qui s’écoulait. Pendant quelques secondes, il hésita donc à prétexter sa fatigue pour quitter la pièce, mais se résigna. « Oui… » fut sa réponse et retourna dans la cuisine pour déposer sa tasse contenant encore ce café importé de Colombie qui stagnait dans le fond. Il n’en avait plus envie soudainement. Wyatt refit le même chemin jusqu’au bureau de sa femme, restant interdit sur le seuil, ne parvenant toujours pas à entrer dans la pièce qu’il observa en détail. Ils avaient aimé peindre les murs de cette chambre, emplis d’espoir et plus heureux que jamais à imaginer leur future vie à trois. En tant que futur papa, il s’était plu à parler à ce petit-être grandissant dans le sein de sa mère. Ils comptaient les jours avant son arrivée. Cet enfant tant désiré. Wyatt se rappela du casse-tête que cela avait été de monter le lit, jurant plus d’une fois face à la complexité de la notice, se disant qu’un matelas à même le sol n’était peut-être pas une si mauvaise idée finalement. Johanne était alors arrivée dans la pièce, lui avait sourit tout en caressant son ventre qui peinait encore à s’arrondir, et l’avait embrassé. Peu à peu, ils étaient parvenus à faire de cette chambre vide, un cocon prêt à accueillir leur bébé. Ils venaient de terminer de poser les derniers tableaux lorsqu’ils apprirent que leur bébé était mort dans le ventre de sa mère. Il avait cessé de respirer… En rentrant de l’hôpital, Wyatt avait passé des heures dans cette chambre, à pleurer la perte de ce dernier…

Une larme coulant sur son visage l’extirpa du fil de ses pensées. Le quadragénaire l’essuya vulgairement et posa son regard sur Johanne « Je me demande parfois à quoi il ressemblerait s’il avait vécu. Je l’ai toujours imaginé avoir tes yeux et ma tignasse. Il aurait aussi eu ton rire, cristallin et résonnant dans la maison comme une douce mélodie… Il aurait été imprudent aussi, insolent à certains moments. Il aurait aimé découvrir le monde, mais surtout être dans tes bras… ». Sa gorge se noua peu à peu, et posa sa tête contre l’encadrement de la porte « Il me manque terriblement alors qu’il n’a jamais respiré dans ce monde… ». Wyatt retint ses larmes. Le deuil, il n’était jamais parvenu à le faire, même face à la tombe de leur enfant. « Je vais me coucher… Je suis fatigué ». Il ne souhaitait pas en parler davantage. C’était trop difficile. Trop douloureux.

Assise au milieu des photos de leur passé, Johanne était nostalgique. Comment avaient ils pu perdre tout ça ? Leur joie de vivre, leurs sourires, leur complicité. C’était tellement douloureux de savoir qu’ils allaient bientôt mettre un terme à cette vie commune. C’était tellement douloureux de ce dire que durant deux ans ils n’étaient pas parvenu à honorer les promesses qu’ils s’étaient faite lors de leur mariage. Pourtant ils s’aimaient toujours. Peut-être plus de la même façon… la perte de leur bébé les avaient muré dans leur silence, dans leur douleur respective. Elle aurait tellement aimé pouvoir vivre cette vie de famille, donner un fils à Wyatt. Elle restait persuadée que si ce petit garçon avait vu le jour, ils n’en seraient pas là aujourd’hui. L’amour serait encore présent, les rires et la joie aussi. Alors sans le regarder, alors qu’il se tenait à la porte, elle lui posa la question. Est-ce qu’il pensait à lui ? Est-ce qu’il l’imaginait rire et mettre le bordel dans leur existence ? Elle savait que c’était un sujet douloureux, mais ils devaient en parler. Enfin en parler.

Elle obtient seulement un oui, avant que Wyatt ne disparaisse à nouveau. Elle se mit à pleurer. N’avait il rien d’autre à lui dire ? Il était pourtant conscient qu’ils devaient en parler, il le lui avait dit. Et voilà qu’il ne répondait qu’un simple mot. Elle ne bougea pas lorsque son mari revint près de la porte, laissant ses larmes couler sur ses joues. Quant il reprit la parole, cette fois elle tourna la tête pour le regarder. Elle n’osa pas se lever et s’approcher de lui, de peur de le faire taire. Un léger rire passa entre ses larmes. Elle l’imaginait de la même façon. Ses larmes redoublèrent lorsqu’il évoqua ses bras dans lequel ce petit garçon serait venu se blottir. Puis elle articula : « -il aurai couru jusque dans tes bras à ton retour le soir. Tu l’aurai fait sauté dans les airs, et moi j’aurais fait une arrête de peur qu’il ne tombe. Et puis vous auriez rit à mes dépends. Et on aurait ri ensemble… » elle renifla et regarda Wyatt à nouveau, prise d’un élan de tendresse pour son mari qui semblait si fragile. Elle se mordit les lèvres. Une sorte de soulagement l’enveloppa cependant en réalisant que Wyatt pensait encore à leur enfant. Que le travail et sa carrière n’avait pas tout effacer. Qu’elle n’état pas la seule à souffrir de cette absence. Un hochement de tête. « -d’accord… » elle ne voulait pas le forcer à parler. Il était épuisé. Cela ne mènerait à rien, seulement à une dispute. Elle le savait. Le sujet reviendrait. Il le fallait.

Wyatt dormi jusque dix sept heure. Lorsqu’il se leva, elle était sur le terrasse, emmitouflé dans un plaide. En l’entendant elle se leva au bout de quelques secondes et vint le rejoindre dans la cuisine. Elle prit une verre, se servit de l’eau et demanda : « -tu as réussi à dormir ? » elle savait que oui. Elle était allée jeter un coup d’œil. Cela lui avait serré le cœur de le voir sur le canapé de son propre bureau. Elle était rentrée à pas de loup pour lui mettre une couverture sur les épaules.
 

Peu importe le temps qui s’écoulait, il ne semblait pas parvenir à faire son œuvre. Le mobilier avait peut-être changé avec les mois, mais ça restait et resterait toujours la chambre de cet enfant qui n’avait jamais vu le jour. Une porte souvent close devant laquelle il passait tous les jours et qui lui rappelait qu’aucun rire ou pleurs d’enfant n’émanerait de derrière. Il s’interdisait d’y pénétrer, comme par crainte d’affronter la réalité. Alors, comme en cet instant, il resta sur le seuil à observer Johanne assise aux milieux des photos de leur passé. Elle semblait nostalgique de cette période de leur vie où tout était amour et insouciance, imaginant dans leur avenir dans une jolie demeure comme celle-ci et qui serait animé par les rires de leurs enfants. Il leva ses yeux verts sur Johanne lorsqu’elle l’interrogea sur cet enfant qu’ils avaient perdu deux ans auparavant et qui les avait dévasté. Sa réponse fut brève et il s’éloigna sans rien ajouter d’autres. Juste le temps de déposer sa tasse à café dans le fond de l’évier, puis revint vers elle, reposa son épaule contre le chambranle de la porte et évoqua Marcus. Parce que c’était son nom. Marcus Andrews. Un petit garçon qu’il avait imaginé avoir les yeux et le rire de son épouse, et ses cheveux et son insolence. Il l’imaginait se blottir dans les bras de sa mère avait une longue course poursuite dans les couloirs de leur imposante résidence, leurs éclats de rire rebondissant contre les murs. Sa gorge se noua, se brisa et voir les larmes sur les joues de sa femme ne l’aida pas. Ils souffraient tellement de cette perte de cet enfant… Il posa sa tête contre l’encadrement de la porte, souriant avec douceur en entendant Johanne se confier sur cette vie qu’elle avait imaginé tous les trois… « Tu aurais eu peur qu’il se cogne la tête contre les lampadaires suspendus » et émit un petit rire triste, avant de baisser les yeux. Tout ce qu’il désirait en cet instant, c’était de serrer Johanne dans ses bras et pleurer avec elle, mais se résigna. Il ne voulait pas s’effondrer devant elle, alors il évoqua sa fatigue et s’éclipsa avec l’accord de sa femme. Il trouva refuge dans son propre bureau dont il ferma la porte. Il se laissa tomber sur le canapé, puis posa sa tête sur l’un des coussins, et rejoignit rapidement les bras de Morphée.

En ouvrant les yeux quelques heures plus tard, il se surprit à tenir le plaide entre ses doigts. Une pensée pour Johanne qui avait dû s’assurer qu’il dormait à poing fermé. Il passa sa main sur le plaid en pensant à elle. Elle s’était toujours soucié de lui, de son bien-être. Il finit par se lever, se passant une main dans ses cheveux ébouriffé tout en se dirigeant vers la cuisine où il se servit un café. Il resta là, à observer le liquide brun couler dans le fond de sa tasse, et sursauta presque en entendant la voix de Johanne qui venait d’apparaître près de lui. Wyatt se saisit de sa tasse, avant de désigner la machine « Tu en veux un ? » puis répondit à sa question « Oui… Merci pour le plaid » et lui sourit avec douceur avant de glisser deux sucres dans son café et remua lentement. Wyatt finit par poser ses deux mains sur l’établi, comme pour se retenir, la tête rentrée dans les épaules, puis laissa les larmes couler. Il se tourna dos au comptoir, et se laissa glisser tout contre, ramenant ses genoux contre son torse « Il me manque tellement Johanne… » alors qu’il posa ses coudes contre ses genoux et masqua ses yeux de ses paumes de mains. En deux ans, Wyatt avait fait en sorte de rester fort, de se concentrer sur son travail, sa béquille pour ne pas sombrer, mais ce soir… Il n’en avait plus la force.

Elle n’avait pas insisté. L’entendre lui confié qu’il avait déjà imaginé cette vie à trois, ce petit bonhomme emplir leur vie d’amour et de joie, était comme un soulagement. Soudainement elle se sentait moins seule dans sa douleur. Wyatt avait tellement fait comme si rien ne le touchait. Elle ne l’avait, de souvenir, jamais vu pleurer. Il se retenait, elle le savait. Parce qu’il n’était pas un homme insensible. Est-ce qu’il le faisait pour elle ? Pour être fort devant elle ? Pour prendre soin d’elle ? Seule assise dans l’ancienne chambre de leur enfant, elle se posa les questions. C’était la première fois qu’elle l’entendait parler de Marcus. Ils avaient mit tellement de temps à choisir ce prénom. Parce qu’elle avait peur de lui donner un prénom, comme si ça pouvait leur porter malheur. Elle avait perdu leur enfant à la fin du 5ème mois de grossesse. Il n’était pas reconnu comme ayant fait partie de leur famille, pourtant il avait bien vécu. Vécu en elle. Johanne l’avait senti bouger, elle avait vu lentement son ventre s’arrondir, même si elle n’avait jamais eut ce ventre bombé des femmes en fin de grossesse. Lorsque c’était arrivé, elle l’avait su avant que la sagefemme ne donne le verdict. Comme une intuition. Ce deuil était d’autant plus difficile à faire qu’il n’était pas reconnu dans la société. Oui, elle avait été mère ! Même si pour le reste du monde ça n’était pas le cas. Elle avait dû le faire sortir de son corps mais n’avait pas entendu ce cri de vie, celui qui fait battre le cœur et rempli d’amour. Marcus n’avait pas crié. Il n’avait pas bougé lorsqu’on avait autorisé Johanne a le prendre contre elle. Il n’avait pas chercher son regard, chercher son sein. Aujourd’hui, elle savait qu’une partie d’elle-même était morte ce jour-là.

Wyatt avait besoin de repos. Le sujet reviendrait bien assez vite. Alors elle décida de lui accordé un moment de répit le laissant dormir. Allant même déposer une couverture sur ses épaules. Lorsqu’il se leva, elle se rejoignit dans la cuisine. « -excuses moi… je t’ai fait peur… » souffla la jolie brune avec douceur. « -non merci… » pas maintenant. Pas tout de suite. Un sourire tendre quand il la remercia. Elle lisant tant de douleur dans son regard. Elle le vit alors craquer, pour la première fois. Joe se sentit impuissante. La seule chose qu’elle parvint à faire, fut de se laisser glisser à son tour sur le sol et d’entourer ses épaules de ses bras. « -viens là… » elle le laissa poser sa tête contre sa poitrine et ne chercha pas à lui dire que tout allait bien. C’était faux. Ils n’allaient pas bien. Elle voulait qu’il laisse couler ces larmes, qu’il évacue enfin ce chagrin et cette douleur. « -mon amour… » souffla la belle brune en caressant ses cheveux avec toute la tendresse du monde. Elle embrassa ses cheveux, alors que sur ses joues, ses larmes coulaient aussi. Combien de temps est ce qu’ils restèrent là assis sur le sol de la cuisine à pleurer… elle n’en savait rien. Autant de temps qu’il fallait à Wyatt. Lorsqu’il se fut quelque peu apaiser, elle souffla, la tête contre le meuble : « -parfois je me dis que s’il nous voit de là où il est, il doit se dire que nous sommes deux imbéciles. Qu’au lieu de s’éloigner, on devrait s’aimer encore et encore… » au lieu de ça, ils allaient lancer des procédures de divorce.
 

On lui avait dit que le temps finirait par faire son œuvre, et qu’un jour, il se réveillerait en se rendant compte que ce n’était plus aussi douloureux qu’hier. Mais tous les matins, depuis deux ans maintenant, la douleur ne s’était jamais atténuée. Parfois, certains jours, il avait l’impression qu’elle était même plus présente qu’auparavant. Les souvenirs de ce jour-là était toujours omniprésent dans son esprit, avec parfois la sensation qu’ils étaient aussi récents que ceux de la veille. Wyatt se souvenait encore précisément du regard de leur gynécologue qui s’était soudainement assombri en leur apprenant la sentence. Ses jambes avaient tremblées, et s’était retenu de s’écrouler au sol de peu. Il ne pouvait pas faillir. Il ne devait pas faillir. Il devait se montrer fort pour Johanne, pour eux deux. Il devait être une épaule sur laquelle sa femme pourrait se reposer, un point d’ancrage auquel s’accrochait lorsque ça serait trop difficile à supporter. Il avait gardé sa main dans la sienne tout le long de l’accouchement, sa tête contre la sienne, alors que son épouse donnait naissance à leur bébé dont leur cœur avait cessé de battre. Pas de pleurs. Pas de vie. Il fut incapable de poser sa main sur ce petit être blotti dans les bras de sa mère. Peur que tout cela soit trop réel et qu’il ne le supporte pas. Les médecins les avait interrogé sur la suite et ce fut lui qui demanda une inhumation, ne voulant pas imposer à Johanne de prendre une telle décision. Elle avait bien assez souffert en le mettant au monde. Il n’existait peut-être pas au regard du droit, mais pour eux, c’était et ça restera leur fils.

Durant deux ans, Wyatt ne versa pas la moindre larme en présence de Johanne, même au pied de la tombe de Marcus, il les retenait, de crainte de pas être capable de s’arrêter de pleurer la mort de leur enfant. Ce fut pour cela qu’il prétexta sa fatigue pour s’éclipser alors qu’ils évoquaient cette vie à trois qui n’existerait jamais. Les bras de Morphée le berça durant de longues heures avant qu’il ne s’en extirpe pour rejoindre la cuisine dans un silence total. Il sursauta donc en entendant la voix de Johanne et esquissa un maigre sourire « Ce n’est rien » et se servit un café qu’il ne porta pas à ses lèvres. Contre toute attente, Wyatt n’eut plus la force de retenir ses larmes si longtemps contenues. Elles se mirent à couler sur son visage avant qu’il ne s’effondre au sol, à bout de force. L’homme fort n’était plus. Il se sentait épuisé. Éreinté de rester debout, de rester fort. Il n’en avait plus la force. Cela faisait trop de temps qu’il faisait semblant que la mort de Marcus ne l’atteignait pas, alors qu’en réalité, ça l’avait détruit de l’intérieur. Et plus il gardait le silence, et pire la douleur était. Les yeux embués de larmes, Wyatt se laissa conduire par Johanne, se blottissant tout contre elle, ses mains se posant sur les bras de son épouse qui le maintenait contre elle.

Le politicien était incapable de dire combien de temps il était resté là, ainsi blottit tout contre Johanne, pleurant la disparition de leur bébé. Il savait seulement que les larmes avaient cessé d’elles-mêmes. Il resta quelques secondes ainsi alors que sa femme évoqua le regard que portait sûrement leur petit garçon sur eux de là où il était. Il esquissa un sourire, alors qu’il redressa sa tête pour croiser les prunelles sombres de son épouse qui, elle aussi, avait trop longtemps pleuré. Il caressa sa joue « On s’est peut-être éloigné, mais je t’aime toujours mon coeur, encore et encore » souffla-t-il en prononçant ce petit surnom qu’il avait cessé de lui donner après ces évènements. Wyatt déposa ses lèvres contre les siennes avec douceur, avant de poser son front contre le sien « Je voulais tenir pour toi, pour que tu puisses te reposer sur moi… J’ai été stupide ». Il se recula pour poser son dos contre le comptoir de la cuisine, son épaule contre la sienne et la tête contre le bois des placards « Je me disais qu’en restant impassible face à la mort de … de Marcus, tu me verrais comme ta bouée de sauvetage. Assez fort pour nous deux… Je me suis dit que mon deuil pourrait attendre, et qu’il se ferait en silence ». Il s’était trompé. Johanne avait affronté cela seule, et il n’était jamais parvenu à accepter la disparition de leur fils.

Ouvrir le dialogue. Evoquer à voix haute leur fils quelques heures plus tôt. Johanne savait que ça serait un déclencheur. Comme elle l’avait dit à Wyatt, elle ne voulait pas qu’ils finissent par se détester. Ils avaient encore des sujets à traiter, des abcès à crever. La mort de Marcus était l’un de ces sujets. Le plus douloureux, le plus lourd. Le plus important aussi. Elle avait besoin de savoir que leur fils n’était pas qu’un souvenir pour Wyatt. Qu’il pensait encore à lui, qu’il vivait malgré tout dans son cœur. Jusqu’à ce qu’il pleure à la porte de cette chambre, elle en doutait.

Elle resta quelques secondes désarmée en le voyant s’effondrer en larmes. C’était si dur de le voir poser les armes, arrêter de se battre contre lui-même pour rester fort. Enfin, il s’autorisait à lâcher prise, à pleurer, à se libérer de cette souffrance en l’exprimant par les pleures et les mots. Bien vite elle le prit dans ses bras, voulant lui faire comprendre par ce geste qu’il n’était pas seul. Qu’elle était toujours là. Ils laissèrent libre court à leur chagrin, blottit l’un contre l’autre. Et puis au bout d’un long moment, elle décida de prendre la parole, évoquant leur amour et le chemin qu’ils avaient emprunté. Ils s’étaient égarés. La déclaration d’amour que lui fit Wyatt en retour la fit pleurer à nouveau. Elle eut la sensation d’embrasser un autre homme, d’embrasser à nouveau celui dont elle était tombée amoureuse tant d’années plus tôt. Son front contre le sien, elle l’écouta les yeux clos. « -je t’aime tellement… » souffla-t-elle en retour avant d’ajouter toujours avec douceur : « -ne dis pas ça. Tu as fait comme tu pouvais. » elle caressa sa joue et répondit ensuite : « -je crois que je ne te voyais plus… j’étais tellement perdu dans ma douleur, dans ma culpabilité… je m’en voulais tellement de ne pas avoir pu prendre soin de cet enfant. » elle recula lentement pour reposer sa tête contre le meuble de la cuisine : « -je m’en voulais… dans mon esprit c’était ma faute… je… je voulais seulement que la douleur cesse… » son regard était perdu dans le vide : « -et je t’ai abandonné… »

C’était la vérité. Et elle savait que c’était ce qu’il avait ressenti. « -je… je ne parvenais pas à reprendre ma vie comme si rien ne s’était passé. Je ne pouvais plus entendre des : vous essayez à nouveau. » peu à peu il y avait de la colère dans sa vie : « -je voulais que ça s’arrête. » à l’époque elle était noyée sous les comprimés. Ils étaient là pour anesthésier la douleur. Ça ne fonctionnait pas. A chaque fois qu’elle croisait une poussette, qu’elle entendait un bébé pleurer… la douleur referait surface, plus forte encore. « -je te demande pardon… même si je sais qu’il est sans doute trop tard… je te demande pardon de ne pas avoir été assez forte… si tu savais comme je m’en veux… » sans même qu’elle s’en rends compte ou n’y prête attention, elle pleurait à chaude larmes à nouveau.

 

Ce soir, il abdiquait devant la souffrance, il déposait les armes. Il n’avait plus la force, ni l’envie de continuer à combattre contre lui-même, contre ce qu’il éprouvait depuis la disparition de leur enfant. Il s’effondra donc au sol et pleura de longues minutes dans les bras de sa femme qui l’avait attiré à lui, le blottissant tout contre son cœur, le temps que s’estompe les larmes et qu’il évacue tout ce qu’il avait gardé en lui durant ces dernières années. Parce que peu importe l’image qu’il pouvait renvoyer au monde ou à sa femme, il n’était jamais parvenu à oublier Marcus et la vie qu’ils auraient pu avoir tous les trois. Il n’avait pas oublié l’image de ce bébé sans vie dans les bras de sa mère effondrée. Tout cela était encore bien présent dans son esprit, mais ce soir, il était prêt à exprimer toute la douleur éprouvée. Il n’avait plus la force d’être fort et solide pour sa femme. Quand les larmes s’estompèrent, n’humidiant plus ses joues mal rasées, Wyatt se redressa en entendant Johanne évoquer Marcus et leur amour. Peu importe qu’ils se soient éloignés, ses sentiments n’avaient pas changé comme il le lui confia. Il l’aimait toujours et il en serait ainsi jusqu’à son dernier soupir. Il n’en éprouvait pas le moindre doute. Peu importe leur décision de mettre fin à leur mariage, Wyatt avait besoin de le lui faire savoir. Il avait besoin de déposer ses lèvres contre les siennes, et son front contre le sien. Elle l’aimait, elle aussi. Il l’embrassa de nouveau pour réponse, avant de s’excuser de ne pas avoir été à la hauteur. D’avoir mal pensé. Il avait souhaité être fort pour elle, parfois même trop rude pour ne pas se laisser entrainer dans un tourbillon de ressentiments plus désastreux les uns que les autres et qui les aurait mené à leur perte bien plus tôt « J’aurais dû te parler… » souffla-t-il avant de pencher légèrement la tête en sentant la main de Johanne sur sa joue.

Wyatt la laissa reculer alors que son cœur se serra aux mots de sa femme, et sa gorge se noua en se remémorant cette tentative de suicide. Elle l’avait abandonné. C’était ainsi qu’il avait perçu son geste durant ces deux dernières années, et il lui en avait voulu d’avoir voulu le laisser seul avec toute cette souffrance. Seul après la mort de leur fils. Seul après la mort de sa femme. Sa tête contre le bois des placards derrière eux, Wyatt ne quittait pas sa femme des yeux, sa main se glissant dans la sienne « Tu n’as rien fait de mal pour Marcus. Il est… Il est seulement partit » et ravala ses larmes en ajoutant « J’en ai voulu à l’Univers d’avoir perdu notre bébé, mais je ne t’en ai jamais voulu à toi Joe… En fait, j’ai été impressionné par ta force à ce moment-là. Mettre au monde ce petit être sans vie, être capable de le tenir dans tes bras… J’en étais incapable… » et pinça l’arête du nez en sentant les larmes monter de nouveau, et poursuivit « Et toi, tu as été si forte… ». Il n’avait jamais su où elle avait puisé cette force, même encore aujourd’hui. Il inspira profondément alors que Johanne tenta d’expliquer son geste avec ses mots.

Mais silencieusement, la peine avait été bien plus forte que tout, plus fort que l’amour qu’ils pouvaient se porter. Elle avait si mal qu’elle n’avait vu qu’une issue pour que cette souffrance se taise, et c’était de rejoindre leur fils au Ciel… L’entendre évoquer son geste le ramena deux ans auparavant, alors qu’il rentrait du travail. Il avait cru mourir avec elle en la voyant ainsi au sol, inconsciente. Il essuya vulgairement les larmes qui commençaient à perler aux coins de ses yeux, puis se redressa sur ses genoux, se plaçant face à Johanne et l’attira à lui alors qu’elle pleurait. Il la serra tout contre lui, et la voix brisée, il souffla « Je n’aurais pas survécu à ton décès Johanne… ça m’aurait détruit. Perdre un fils a été difficile, mais te perdre toi, ça aurait été insurmontable… ». Il se connaissait assez pour savoir qu’il n’aurait pas surmonté sa perte, qu’il aurait tout fait pour les rejoindre après. Il se recula légèrement, entourant son visage entre ses mains « C’est pour ça que je t’en ai voulu… Parce que te perdre… Jamais, tu m’entends… ». Il essuya les larmes de sa femme d’une caresse de ses pouces sur sa peau « Tu n’as rien à te faire pardonner Johanne. Rien ». Il l’embrassa avant de la serrer de nouveau contre lui, ses lèvres se posant sur sa chevelure brune.

« -peut-être… » elle n’était pas certaine que cela aurait changé quelque chose. Parce qu’elle était dévastée par le chagrin, parce que c’était trop dur de faire face à réalité. Et puis il avait cette culpabilité qui l’étouffait. Cette certitude d’être fautive. Si elle n’avait pas eu cette pensée, de se dire que ce n’était peut-être pas le bon moment pour que de bébé vienne au monde. On lui avait dit de se reposer, de ne pas forcer. Elle avait écouté. Elle l’avait fait. Mais peut-être pas assez… Le visage de la belle brune se crispa sous la douleur. Marcus était parti… « -pourquoi… pourquoi est ce que ça s’est passé comme ça… » elle n’avait jamais trouvé de réponse à cette question. Parce que la vie en avait décidé ainsi ? En entendant cela, elle en avait voulu à la vie ! A la terre entière, à l’univers ! Et elle avait voulu quitté cette vie. Pour ne plus souffrir. Elle regarda Wyatt faire des éloges de la force dont elle avait fait preuve. Jamais elle n’avait imaginé qu’il avait éprouvé cela. Il ne réalisait sans doute pas à quel point ses paroles lui faisait du bien.

Elle évoqua ce qu’elle avait ressenti et surtout ce qui avait guidé son geste. C’était devenu trop difficile, trop dur à supporter. Elle avait souhaité en finir. Il ne se passait pas une seule journée où elle ne regrettait pas son geste. Wyatt l’avait trouvé forte, et pourtant, au bout de quelques temps, elle avait flanché, incapable d’être encore forte justement. « -je m’en veux tellement… » hoqueta la belle brune, en larme dans les bras de son mari. Ses larmes redoublèrent quand il lui avoua qu’il n’aurait pas été capable de vivre sans elle. « -pardonne moi… pardonne moi… » murmura Johanne ayant du mal à respirer entre ses larmes et le chagrin qui la faisait suffoquer. Cela faisait trop de temps qu’ils retenaient tous ça. L’un comme l’autre. Elle plongea son regard dans celui de Wyatt, et fit non de la tête. « -si… je t’ai fais tant de mal… tu n’avais pas besoin de ça en plus… je n’ai pas trouvé les mots pour expliquer l’inexplicable… et je m’en veux de ne pas avoir pu soulagé ta peine. Ma présence à tes côtés était devenu une douleur… je le voyais dans tes yeux… » oui, elle l’avait lu dans ses prunelles. Peu à peu, la douleur c’était durcit dans son regard. Surpassant l’amour, le muselant. « -j’ai besoin que tu me pardonnes… j’ai besoin que tu le dises… » elle voulait entendre de sa bouche qu’aujourd’hui il lui pardonnait. Il se pardonnait à lui aussi. Parce que le pardon est salutaire. S’ils voulaient se relever, elle avait besoin de ça.

 

Parce que l’Homme avait besoin de constamment justifier l’inexplicable, même lorsque c’était impossible, Johanne choisie d’être l’unique responsable de leur malheur. Elle se sentait responsable de la perte de leur bébé, alors qu’il n’en était rien. Pour Wyatt, la justification était plus simple. C’était la vie elle-même, que certains appelaient également Dieu ou encore l’Univers, peu importe le nom que l’humain voulait bien lui donner, qui leur avait ôté ce bonheur d’être un jour parent de ce petit-être. Elle avait arraché Marcus à la vie avant même qu’il pousse son premier cri, et chaque jour, Wyatt lui en voulait. Parce que ce n’était pas la première fois qu’elle lui ôtait un être cher si brutalement… Il fallait croire qu’elle prenait un malin plaisir à lui retirer tous les êtres qu’il aimait dans ce Monde. Alors, lorsqu’il avait vu qu’elle s’en était pris également à Johanne, il l’avait supplié de la lui laisser. Après son père et son fils, elle ne pouvait pas lui prendre également sa femme, pas elle. Même si la mort était peut-être plus douce pour Johanne que la vie, il souhaitait égoïstement la garder près de lui. Il s’était promis de veiller sur elle chaque jours que Dieu ferait, en espérant qu’avec le temps, elle souffrirait un peu moins de la perte de Marcus. Mais ce soir, au pied de leur cuisine, en voyant son visage se crisper de douleur en l’évoquer, Wyatt sut alors qu’aucun d’eux n’était parvenu à tourner la page, à accepter son départ si brutal de leurs vies. Il resserra alors l’emprise de ses doigts sur les siens et laissa glisser sa tête tout contre la sienne posée sur les placards de la cuisine « Je … Je ne sais pas… ». Il était incapable de lui répondre, de justifier cette perte. Parce que même s’il connaissait le responsable, il ignorait pour autant les raisons qui avait poussé la Vie à leur retirer leur petit garçon…

Maintenant qu’ils parvenaient à poser des mots sur ce qu’ils éprouvaient tous les deux, en voyant la détresse dans les yeux sombres de sa femme, Wyatt fut incapable de lui en vouloir pour son geste. C’était celui d’une femme qui souffrait tant qu’elle était incapable de respirer, de vivre, sans avoir mal. Il se redressa sur ses jambes et la serra dans ses bras, caressant son dos alors qu’il sentit ses pleurs redoublaient face à l’étreinte. Il eut quelques difficultés à retenir les siennes en voyant son épouse s’effondrer ainsi dans le creux de ses bras « Tu n’as rien fait de mal… » murmura-t-il à son oreille alors qu’il resserra son étreinte, avant qu’elle ne se recule pour croiser son regard. Il entoura son visage de ses mains, essuyant ses larmes de ses pouces tout en l’écoutant et il eut mal d’entendre ces mots… « Je pensais que tu ne m’aimais pas assez pour rester avec moi… Et j’ai eu tort de penser ainsi, je m’en veux terriblement de t’avoir fait du mal en retour… ». Cette distance qu’il leur imposait, c’était sa manière à lui de la faire souffrir, comme elle l’avait fait souffrir. Toutefois, ce soir, Wyatt s’en voulait d’avoir voulu lui faire tant de mal, d’avoir refusé de parler plus tôt. Ils se seraient évités tant de douleurs. Ils ne se seraient pas éloignés de la sorte… Une lueur d’incompréhension se glissa dans les prunelles claires du politicien alors qu’elle le supplia de lui pardonner. Il caressa son visage tout en acceptant sa demanda « Je te pardonne Johanne. Je te pardonne » et il voulait qu’elle lise dans son regard toute la sincérité qu’il mettait dans ses mots. Il se redressa sur ses jambes, tendant les mains à Johanne pour l’aider à en faire de même, et la serra tout contre lui « On a besoin de prendre l’air, viens » et entrelaça ses doigts aux siens, la conduisant jusque dans le jardin, la laissant prendre place sur la chaise. Il s’éclipsa un instant, revenant avec le plaid qu’elle avait déposé antérieurement sur lui alors qu’il dormait, et le déposa délicatement sur ses épaules. Il souffla un « Je reviens, je vais juste dans la cuisine » en désignant l’endroit du doigt. Il déposa ses lèvres dans son cou, pus s’éclipsa le temps de servir deux tisanes, et revint sur la terrasse, rapprochant sa chaise de la sienne, et passa son bras autour de ses épaules.

Ces mots… tu n’as rien fait de mal… Elle aurait tant aimé les entendre plus tôt. Savoir qu’en ce qui concernait la mort de leur enfant, Wyatt ne lui reprochait rien. Enfermée dans sa douleur et sa solitude, elle s’était toujours imaginée qu’il lui en voulait également pour ça. Johanne bougea la tête de gauche à droite. « -je voulais seulement que la douleur s’arrête… » son geste n’avait rien avoir avec l’amour qu’elle pouvait lui porter. Comme elle venait de lui dire, à ce moment-là, elle ne le voyait même plus. Elle était complètement perdu, dans un brouillard de médicament, dans sa douleur… Elle n’avait pas pensé à lui ou à leur amour… c’était horrible de réaliser cela. Elle lui supplia de lui pardonner. Elle avait besoin d’entendre cela. C’était viscérale. Il le fallait. C’était tellement difficile pour elle de garder la tête hors de l’eau en ce moment, de ne pas céder à la tentation des médicaments, juste pour oublier. Mais elle avait dit qu’elle ne prendrait pas de traitement, alors elle redoublait d’effort pour ne pas sombrer. Johanne n’éprouva pas la soulagement qu’elle avait espéré… ça viendrait… peut-être… elle hocha la tête, et se redressa. Ses jambes tremblaient. Elle avait froid.

Une fois dehors, elle frissonna. Pourtant l’air frais lui fit du bien. Le temps que Wyatt revienne avec un plaid, elle ferma les yeux et tenta de calmer sa respiration. « -ok… » souffla Johanne. Wyatt avait dû lire une lueur de panique en le voyant à nouveau repartir de la terrasse. Comme s’il était capable de la laisser à nouveau, après tout de qu’ils venaient de se dire. Deux tasses de tisanes. Une proximité qu’ils n’avaient pas eu depuis bien longtemps… Une sorte de pause. Le fait d’avoir évoqué Marcus, de s’être pardonné, ne changeait rien au fait qu’ils allaient divorcer. Parce que c’était ce qui devait se passer. Amour ou pas. Johanne avait besoin de se retrouver, de renaitre. Et ça elle ne pouvait pas le faire en étant la femme d’un sénateur. En ayant des journalistes et des caméras qui la suivaient partout et critiquait ses moindres fait et geste.

Et ce fut devant ces journalistes qu’elle se présenta quelques jours plus tard. Seule. Elle avait demandé à attendre, parce que Wyatt n’était pas là. Il était en retard. Sans doute coincé dans les bouchons vu l’heure. Mais Claire avait insisté. On ne faisait pas attendre la presse. Le sujet était brûlant. Johanne devait prendre la parole. Elle avait le ventre et gorge nouée. Une sensation d’assister à son propre procès. Accusée à tort, bientôt sur le buché.