Au dernier moment, la jeune fille se tourne. Pas assez vite. Pas assez efficacement. La lame se fiche derrière son aisselle. Elle la sent s’enfoncer entre ses côtes, griffant légèrement l’os pour plonger à travers son poumon et dans son myocarde. Le liquide pompé par le ventricule envahit ses alvéoles pulmonaires.

C’est fini.

Elle a gagné. Dans l’esprit de la brune, il ne peut pas en être autrement. Ce n’est pas pour elle que raisonnera immanquablement ce coup de canon dans quelques instants. Non. Parce qu’il était écrit qu’elle ressortirait victorieuse de cette arène. Parce qu’elle est née pour cela. Parce que c’est toute sa vie. Elle ne rejoindra pas les limbes de l’oubli dans lesquels ont sombré Primus et Quinta avant elle. Elle ne sera pas un échec de plus de la progéniture des Numitor.

Septima entend le bourdonnement des drones autour de sa tête. L’équipe qui vient la chercher. Qui vient la chercher parce que cette fois, c’est bel et bien la fin. La fin de ces Hunger Games. La fin de Septima Numitor.

Le corps plié en deux, Thea sent le couteau filer entre ses doigts. Elle n’a plus la force de le retenir quand la fille du 9 vient le lui arracher. Encore une fois, elle croit que c’est la fin, mais l’on se détourne d’elle. Thea redresse la tête juste à temps pour voir le corps de la carrière s’effondrer sur le sol.

La carrière ne se relève pas. L’espace d’un instant, tout se fige dans l’arène. Personne n’était prêt à voir tomber la favorite de ces Jeux de la faim. Et qui reste-t-il ? Deux tributs venues de districts méprisés du Capitole. La fille du 7, la fille du 9. La fille du bois, la fille des champs. Elles ont déjoué tous les paris. Quoique Zaymo, ça doit faire déjà un moment que les parieurs ont commencé de misé sur elle. Des deux, c’est elle qui se dresse encore, invaincue – invincible, peut-être.

Dans l’ombre de la fin, dans la nuit bientôt éternelle, Thea glisse la main dans sa poche et en sort une toute petite aiguille, la dernière qu’elle possède. Son esprit l’avait oubliée, mais son instinct se l’est rappelée. Elle resserre le poing autour de la pointe, use de tout son corps pour se redresser contre le tronc, et se jette sauvagement sur la fille du 9.

Réussi : Thea enfonce le dard à la base de son cou. Ce même geste qui avait sauvé Ari une première fois… la sauvera-t-il, elle ? Quoi qu’il en soit, incapable de tenir sur ses deux jambes, Thea s’effondre au sol, entraînant son adversaire dans sa chute.
Échoué : La fille parvient à esquiver le dard, que Thea conserve dans son poing fermé alors que, incapable de tenir sur ses deux jambes, elle s’effondre au sol en entraînant son adversaire dans sa chute.

Stupéfaite, je vois la carrière s'effondrer. J'attends qu'elle se relève, prête à me défendre, mais elle ne se redresse pas, et le silence est étouffant. La fille du 7 et moi-même retenons notre souffle. L'impossible vient-il de se produire ? Parmi tous les tributs, Théa et moi n'étions pas les favorites. Personne n'aurait pu prédire que les carrières tomberaient ainsi comme des mouches : Eole, Fitz, Lexi... Et Septima, la redoutable Septima, une machine à tuer, celle que tous voyaient gagnante de cette édition, vient-elle de tomber d'un coup de couteau lancé par une débutante ?

C'était le premier jet de couteau de ma vie. Le canon résonne. Théa et moi échangeons à peine un regard stupéfait, terrorisé et déterminé : nous voulons vivre. Mes entrailles se serrent. Je suis à la fois extrêmement heureuse et terriblement apeurée. Théa ou moi, une fille d'un district défavorisé, sous-estimée, fauchée par le tirage au sort, l'une d'entre nous rentrera chez elle. Et c'est une issue formidable.

Mais j'ai si peur. Je ne veux pas mourir. Je ne peux pas vivre. J'ai tué, j'ai mutilé, j'ai participé à une boucherie infâme, devant laquelle, je le sais, on aura placé mon petit-frère de force pour qu'il voie, pour qu'il sache. Je ne crois pas que j'aurais pu soutenir, moi-même, ayant deux fois son âge, de telles images.

J'aimerais rester digne, j'aimerais être l'héroïne que le Capitole célèbrera, le sacrifice que l'on attend de moi ; mais quand la fille se jette sur moi, sphincter et périnée me lâchent, et je hurle de terreur autant que de désespoir, en espérant infliger à mon adversaire un centième de la peur que la mort imminente provoque en moi.

Je m'attends à une lutte au corps à corps, sanglante et violente, comme c'est souvent le cas à la toute fin des jeux. Mais alors que je pense qu'elle va m'étrangler, et que je la repousse, je sens une aiguille s'insérer dans mon cou, et son corps qui me lâche.
Je tombe mollement dans la boue, au pied des immeubles qui me surplombent.

Ils sont hauts et sombres.

Est-ce cela, la dernière pensée que j'aurai jamais ?

Mais non. Je suis là étendue sur le dos, la silhouette de Théa à peine dans mon champ de vision, frissonnante, épuisée ; elle attend le coup de canon.

Mais cette aiguille n'était pas ce qu'elle croyait.

Si "blessure légère" : j'ai le cou endolori, et les omoplates heurtées par ma chute. L'aiguille s'est cassée et je sens la tige qui est restée plantée sous la chair. Cependant, je ne ressens aucun autre symptôme.

Si "blessure grave" :  j'ai le cou endolori, et les omoplates heurtées par ma chute. L'aiguille s'est cassée et je sens la tige qui est restée plantée sous la chair. Le produit qu'elle m'a injecté est-il mortel ? Je ne sens rien de particulier, et mes membres semblent bouger. Cependant, alors que je tente de me relever, je suis prise d'une nausée violente. Je tremble alors que mon corps semble vouloir - à défaut de pouvoir rendre quoi que ce soit - que je vomisse mes propres organes. La douleur est violente, j'ai peur de m'évanouir.

Si "tu succombes à tes blessures", prendre "blessure grave".

A demi-allongée sur le sol, j'ai conscience d'être intensément vulnérable. Je ne suis pas encore morte, la fille du 7 ne peut que le constater. Mais peut-être espère-t-elle encore que je décède ? Aurait-elle la force en elle, de m'achever, dans ces conditions ? Va-t-elle aller chercher une arme pour le faire proprement, ou bien m'étrangler sauvagement ?

Je décide de simuler : je ne suis pas capable de rester immobile pour feindre la mort, je me tords de douleur. Mais je m'efforce de rester consciente, sans quoi je mourrai. Alors je feins d'être prise de convulsions, j'en rajoute : je hurle, je bave, je m'agite, me retourne et me re-retourne sur le sol, me maculant de boue. Mes doigts glissent dans la glaise, j'arrache quelques brins d'herbe, des morceaux de trucs indéfinissables - pansement, ou autre kit de soin ? - je touche à tout et à n'importe quoi avant d'enfin mettre la main sur ce que je cherchais : une pierre.

Je me rue alors sur Théa, ma pierre à la main, espérant la prendre par surprise.

Réussi : je la frappe à la tête, une fois, deux fois, trois fois. Je n'ai pas eu le temps d'évaluer la taille de la pierre ni sa forme. Je n'ai pas envie de tuer, mais je le dois. Je n'ai pas envie de vivre, mais je le dois. Alors je frappe.

Echoué : La fille ne semble pas surprise du tout. Elle m'attendait, fermement. J'ai toujours des nausées et des frissons. Peut-être à cause de l'injection. Peut-être parce que je vois vraiment venir, ce qui m'attend depuis toujours. La mort, sur grand écran. Une célébrité funeste, pour une enfant.

Dans un effort colossal, Thea bascule sur le dos, haletante. Devant elle, le ciel sombre et sans étoiles de l’arène. Elle espère entendre le canon, mais elle n’y croit pas vraiment. Ses yeux se perdent dans le vide, et soudain elle revoit tout le chemin qu’elle a parcouru pour en arriver jusqu’ici. Elle se rappelle le jour de la moisson, ce terrible jour qui l’a condamnée avec son meilleur ami. Déjà, alors, le sort n’était pas en sa faveur… Il ne l’a jamais été, pas vrai ?

Dans un fragment de seconde de lucidité, elle voit tout. Son être intérieur se replie sur la pire des douleurs : la conscience de tout ce qu’elle a – de tout ce qu’ils ont vécu. Et, avant même la mort, elle menace de succomber au renoncement.

Et puis elle entend la fille du 9, elle est tirée de sa propre léthargie par le raffut que l’autre fait. Elle se redresse pour voir ce qu’il se passe, un bref espoir la traverse, mais elle déchante très vite lorsque l’autre lui tombe dessus, avec une pierre dans la main.

Elle voudrait se relever, se défendre, mais elle est épuisée, à bout de forces. Lorsque la pierre heurte violemment son crâne, libérant un liquide tiède et poisseux, elle sait que c’est fini. Elle ne dit rien, elle ne crie plus, au-delà de la douleur, au-delà de toute chose.

Elle aura échoué à tout, finalement. À protéger Ari, ou, à défaut, à ressortir vainqueur, pour qu’au moins sa famille et celle de son ami puissent bénéficier de l’argent promis au gagnant. Elle aura même échoué à épargner aux siens le triste spectacle de sa déchéance.

Son corps cesse bientôt de s’agiter, et repose inerte dans la terre imbibée de sang. L’autre continue de frapper, de massacrer son cadavre. Elle ne voit pas que ce n’est plus nécessaire, que Thea est déjà partie. C’est fini. Si près du but… et si loin, en même temps. Tout est fini.

Les yeux baignés de larmes et de regrets, elle s’éteint.