J'ai 40 ans et je vis à Londres , au Royaume-Uni enfin, la plupart du temps. Dans la vie, je suis ethnologue, et je participe à des fouilles archéologiques. Je m'en sors plutôt bien. Sinon, j'ai la chance,d'être accompagnée par Jonas, un chercheur en ethnologie sociale croisé sur plusieurs sites et resté dans ma vie. Je le vis très bien.. Je suis peut-être un peu superstitieuse... Sans avoir le moindre don, je crois aux présages, aux sorciers, aux médiums... Mais au fond de moi, je sais bien que ce sont des foutaises !
Des foutaises, qui pourtant prennent beaucoup de place dans ma vie, beaucoup trop ! Je suis une scientifique, que m'importe de vérifier avant de prendre une décision l'alignement des astres et que je suis -numérologiquement parlant- compatible avec mes partenaires éventuels ? C'est ridicule, et je suis la première à en rire, toutefois, il suffit d'un rien pour m'alerter.
Si nous devons travailler ensemble, je serais attentive à votre thème astral, à votre "aura", à toute sorte de choses, la chance dans ma vie à compter du moment où j'ai su notre future association, mes rêves, le moindre petit accroc à mon quotidien bien orchestré.
Si à l'annonce de votre nom comme collaborateur-trice, le chien de ma voisine se fait écraser, mon neveu se blesse, la baignoire déborde, un pot de fleur posé sur un appui de fenêtre tombe du troisième pile devant mes pieds parce que je me suis arrêtée pour lire un sms... Il y a de fortes chances que je considère votre présence comme négative...
« Bonjour, je peux encore changer le cours du temps... Si nous nous mettons d'accord sur le prix à payer...Vous êtes parfaitement libre de refuser Payne... Chacun est toujours libre de suivre ou non sa destinée...»
Je réentends ses paroles. « Changer le cours du temps » ? Depuis le début Saül, notre « Retoucheur de temps » semble persuadé que ce que j'ai vu dans une espèce de rêve prémonitoire est mon avenir ? Mais comment mon avenir pourrait-il être de me perdre dans un endroit aussi irréel que ce que j'ai vu ? Comment pourrais-je être la proie d'une bande de zombies tués par le soleil dans un désert immonde ? Certes, le site où je devais aller -non que je DOIS rejoindre ! Je ne sais plus quel jour nous sommes avec ces sottises ! - est dans le désert, mais pas CE désert... Celui que je vois ressemble nettement au Sahara où j'ai certes travaillé mais dans le passé ? Je ne comprends plus rien, plus non plus son « Vous savez, je ne devrais pas être là, c'est votre rêve qui m'a appelé, vous sembliez si effrayée, incertaine... Normalement, il faut m'invoquer de façon bien plus nette »
L'invoquer ? Pourquoi diable aurais-je besoin de l'invoquer ? Ma vie me convient. Je n'ai rien à y changer, j'ai quarante ans, je suis toujours célibataire, je ne songe nullement à me marier -pas même avec Jonas qui partage ma vie d'une certaine façon- je ne veux pas d'enfants : j'ai des neveux et nièces, je ne souhaite pas changer de métier, ni m'installer ailleurs qu'à Londres, je n'ai pas de regrets ni d'ambitions démentes qui ne serait pas matérialisées ? En quoi ai-je besoin de lui ?
« Je peux encore changer le cours du temps»
Mais ce que j'ai vu n'est pas mon avenir! Une situation aussi délirante ne saurait être l'avenir de personne ?! Eldar partage mes vues, j'en suis certaine, nous sommes des scientifiques pas des rêveurs à l'imagination débridée. Pourtant lui a l'air de prendre cet intermède comme une plaisanterie.
« Nous devons faire un vœu, c'est ça ? »
Non... Ce n'est pas ça. De cela je suis certaine, la voix robotique de Saül semble exaspérée « Une seule demande par requérant, ajout, suppression ou modification d'un seul moment de votre existence ! Expliqué de façon synthétique, précise, et faisable ! Ne me demandez pas de choses ridicules comme effacer votre naissance, ou interdire votre mort pour l'éternité, ce sont des inepties qui n'entrent pas dans mon champs de compétence. »
« Saül ? C'est bien votre nom ? Si ce que j'ai vu est mon avenir je veux que vous me démontriez comment on en est arrivé là ? Après tout, il me semble que voir la fin d'un univers est inhabituel, je souhaite donc savoir comment pendant mon voyage en avion ou en train une fois aux Etats-Unis, le monde peut s'être à ce point modifié. »
Je jette un coup d’œil à Eldar, ma demande est logique non ? J'ai eu des relents d'apocalypse dans ce « rêve », je veux savoir comment c'est arrivé, et pourquoi -moi- j'aurais à intervenir pour changer cela ? Quoi ? Y échapper ? Mais qui suis-je pour faire en sorte que cette planète ne soit pas dévastée et transformée en désert ? Et puis comment ce que j'ai vu aurait-il pu survenir si vite ? Le monde où je suis arrivée en descendant du train avait tous les aspects d'une « société », avec des strates sociales établies, des communautés, ennemies mais existantes ? Si un désastre survient pendant mon voyage et qu'on n'en ait pas conscience dans l'avion, à notre arrivée nous serions confrontés à un chaos sans nom ? Avec des pertes de repères, de la panique ? Rien de tout cela n'était perceptible dans ma vision de ce qui serait mon avenir ?
J'espérais un soutien d'Eldar Tarock mais lui ne prend vraiment pas notre présent au sérieux, peut-être a-t-il raison ? Si c'est un rêve pourquoi donc suis-je en train de demander des explications et des justifications ?
« Je fais le vœu qu'on soit amis, vous et moi. C'est faisable ? Allons prendre un café dans un ...dans un café, et terminons ce rêve au calme. Il faut que je me repose, j'ai du travail demain»
Je vois Saül stopper toute action, apparemment c'est au moins une demande qui le déstabilise ! J'en conçois une joie malsaine, cet individu me tape sur les nerfs. Son aspect passe par plusieurs stade avant de se concrétiser, il est désormais plus que jamais une entité entre deux genres, comme si pour lui ou elle, ce n'était qu'une représentation vide de sens.
Le rêve aussi a changé, nous sommes désormais à Paris, dans un café réservé semble-t-il à une clientèle huppée, en face de nous sur une place que j'ai déjà vu, trône une étrange structure composée d'horloges... Quelque chose en moi est en alerte ? Le café et les personnes qui nous entourent ont l'air issu du début du vingtième siècle, avant la première guerre mondiale, 1920 ou quelque chose comme ça si j'en crois les vêtements féminins ? Mais la sculpture elle, a été installée dans les années 1980-90 ? Bon, c'est un rêve, calmons-nous !
La figure figée de Saül m'oblige à me tourner vers Eldar, j'ai les yeux brillants et un fou rire au bord des lèvres, c'est nerveux je le sais, mais il a trouvé le moyen de faire taire notre insupportable personnage !
J'abonde dans son sens sans trop savoir où cela nous mènera « C'est une idée ça ! Soyons amis tous les trois ! Parlez nous de vous Saül. »
Un silence colossal suit.
Saül ne veut pas parler de lui ? Sans m'en rendre compte, peut-être enhardie par le petit baiser de mon compagnon de rêve, ma main vient chercher la sienne, je ne veux pas rester seule dans ce délire insensé...
J'ai... quel âge ai-je donc ? c'est compliqué à définir... Je vis là où vous êtes. Dans la vie, je suis c'est difficile à dire aussi, disons "Retoucheur de temps" ? et je m'en sors plutôt bien. Sinon, savoir si je suis célibataire, marié, à la colle, ça n'a pas de sens. Je suis malléable et virtuel, enfin virtuel, pas tant que ça, je suis l'expression de vos désirs les plus fous.. Je suis issu d'un monde auquel la plupart d'entre vous ne croient pas. Je n'existe que si vous avez foi en moi, si vous m'ouvrez une porte sur votre réel. Alors, et seulement alors, je me matérialiserai, au point d'être aussi solide et tangible que n'importe lequel de vos compagnons de route. J'attends, tapi dans l'ombre, que l'un ou l'une d'entre vous exprime un besoin, une envie, avec les bons mots et la bonne intonation... Cela sera votre supplique, et si vous ne l'avez pas pensée correctement, cela peut -aussi- devenir votre cauchemar.
Je manque avaler le stylet qu’inconsciemment j'avais porté à mes lèvres comme les jeunes enfants y portent un hochet ! « Il faut faire... un voeu, c'est ça ? » Faire un vœu ! Mais il me prend pour un génie jailli d'une lampe dans un dessin animé ! Faire un vœu ! Et ce qui suit me confirme dans l'idée que l'ajout de nouveaux requérants dans la base de données centrale sans qu'ils aient effectué le stage de formation qui leur est réservé et leur donne les clés de leur nouveau pouvoir est absolument inconsidéré ! Faire un vœu ! « Je fais le voeu qu'on soit amis, vous et moi. C'est faisable ? Allons prendre un café dans un ...dans un café, et terminons ce rêve au calme. Il faut que je me repose, j'ai du travail demain »
Là, je manque hurler ! Ce n'est pas tant le fait qu'il n'a absolument rien compris au concept de « retoucher le temps » qui me dérange, mais celui que me proposant d'aller boire un café, il me transporte dans l'univers qu'il a imaginé ! Je m'efforce de cacher ma surprise, que dis-je, la panique que je sens courir dans... ils diraient mes veines ? Ai-je des veines ? Je me mets à en douter. En tout cas, elle me submerge et me stupéfie.
- Il ne s'agit pas de vœu. Il s'agit d'énoncer clairement ce qui dans votre existence vous paraît mériter une rectification !
J'ai franchement l'impression de me répéter, de perdre...mon temps. Je suis retoucheur de temps de classe exceptionnelle, je pratique ce genre d'intervention depuis... plus de dix mille ans. J'ai longtemps été cantonné dans ce qu'on appelle l'Asie, et plus principalement la Chine où la population de requérants était comparativement avec le reste du monde, fort élevée. Les civilisations européennes et africaines -sans parler de celles présentes dans les Amériques- présentaient un retard en matière de magie certes mais surtout de centralisation et d'organisation... C'est un concept qui n'a plus de sens aujourd'hui, la pénurie de nos troupes a depuis longtemps fait préférer à une magie réelle, la technologie. Il n'empêche, jamais je n'ai eu affaire jusqu'à ce jour à de simples humains capables d'influer par eux-mêmes sur l'environnement. Ce qui me tient lieu de sang est figé, la peur m'envahit. Et s'il s'agissait des prémisses de notre disparition totale ?
- Et non, devenir mon ami n'est pas une option acceptable. Pas mon ami. Vous pouvez me demander de changer un instant de votre vie pour qu'une personne de votre époque le devienne, faire qu'un regard soit prolongé, ou qu'une présence ne soit pas interrompue par je ne sais quoi qui empêcherait une relation, mais pas avec moi ! Moi, je n'appartiens pas à votre univers, devenir l'ami de quelqu'un à une époque donnée... gommerait tout simplement la notion de temps.
J'ai des sueurs froides en imaginant un monde où Eldar Tarock côtoierait un australopithèque, où il serrerait la main de Marco Polo ! Nous sommes dans ce café qu'il a invoqué comme … Par les Rouages ! Et si la magie reprenait de l'ampleur ? Que sont donc ces individus ! Je m'assois, tentant de cacher le besoin que j'ai de me poser le cul sur une chaise avant de … m'évaporer.
« Saül ? C'est bien votre nom ? Si ce que j'ai vu est mon avenir je veux que vous me démontriez comment on en est arrivé là ? je souhaite donc savoir comment pendant mon voyage, le monde peut s'être à ce point modifié. »
Je sors un mouchoir brodé que j'ai conservé d'une récente incursion au XVIIIe siècle... Je ne devrais pas ! Cet objet n'a rien à faire ici aujourd'hui, mais il peut à la limite passer pour une « antiquité ». Je m'essuie le front. Si elle s'y met aussi !
« Je suis habilité à ouvrir une requête modificatrice de votre vécu, pas à expliquer le passage du temps ! »
C'est la vérité vraie, mais surtout, je ne veux surtout pas savoir ! Je ne veux même pas tenter de connaître les raisons d'une évolution, ce n'est pas mon rôle !
« C'est une idée ça ! Soyons amis tous les trois ! Parlez nous de vous Saül. »
Je fais un geste de démenti qui s'arrête soudain, je reste la main en l'air, prêt à ouvrir la bouche, peut-être est-elle entrouverte d'ailleurs mais je ne parviens plus à articuler le moindre mot... Sur l'écran de ma tablette, un message clignote dans un fracas de bip discordants :
« Erreur interne, reformatage temporel nécessaire. Veuillez procéder à la fermeture de toutes les requêtes en cours. »
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the dream spirits
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Mandrin
Jeu 4 Mai - 13:03
Eldar
J'ai 34 ans et je vis à Helsinki, Finlande. Dans la vie, je suis chercheur en biologie marine et je m'en sors correctement. Sinon, grâce à ma chance/malchance, je suis célibataire et je le vis plutôt bien. Mes amis m'appellent Ellie. Et en fait, je suis marié à la cigarette, on essaie de se séparer depuis dix ans, sans succès. Ok, je vis à Helsinki, disent mes papiers administratifs, j'y suis arrivé tout jeune et j'y ai fait mes études jusqu'à un âge avancé, j'y ai vécu mes histoires d'amour... j'y aurais fondé ma famille, si c'était mon style. Mais quand je ne suis pas un citadin, je plonge dans les mers et les cavernes les plus inaccessibles du globe, en quête des cultures non humaines, de leurs traces et de leurs coutumes. J'étudie leurs langages, je fais même des tentatives de communication. Un savant fou ? Oui, peut-être bien. Mais c'est pas plus bête que de suivre la tradition ancestrale : la sorcellerie. Du côté de papa, la bonne vieille nécromancie des familles, option vaudou. Du côté de maman, le chamanisme divinatoire d'Asie Centrale, option tengrisme. Et moi, vilain petit canard en blouse blanche.
"Un robot ?..."
Pour le coup, Eldar était surpris. Il enlaça doucement sa compagne de rêve et lui offrit un baiser sur la joue afin de la rassurer, et de se rassurer lui aussi, les contacts physiques étaient toujours appréciés pour ça. Et dans un rêve, tout était permis, pas vrai ?
"On a des montres partout autour de nous, essayons de le réparer," proposa-t-il. Autant en faire un jeu. Et ces montres avaient toutes sortes de formes et de tailles, même si elles apparaissaient un peu archaïques. Bah, au 21ème siècle, toutes les montres étaient archaïques. Si elles n'avaient pas été un symbole de statut dans les clips de rap, elles auraient déjà disparu !
"Pour un reformatage temporel, des montres molles, ça me paraît idéal," ajouta-t-il en se détachant de son amie pour grimper d'un bond sur le bar. Il s'empara d'une des montres flottantes et chercha comment l'ouvrir. Dans un rêve, les solutions se présentaient d'elles-mêmes, quoique parfois imprévues. Et tout était facile à accepter.
"Tiens, voilà des rouages, des ressorts, des vis... je t'envoie tout ce que j'ai, vois si tu peux l'arranger avec ça. C'est un rêve, tu peux tout faire !"
Ici, il se sentait en forme, cet endroit lui parlait, il avait l'impression d'y être déjà venu. On entendait encore le chant apaisant des baleines au-dehors, comme si elles planaient autour du café en observant par les vitres ambrées ce qui se passait à l'intérieur, avec une bienveillance curieuse.
Il y avait quelque chose de primal dans cette scène, il n'aurait pas pu le décrire mais il était conscient de cette harmonie sous-jacente qui lui était propre, à lui. Il ne savait pas si il pouvait communiquer cette impression à sa compagne d'aventure, si elle avait elle aussi au fond de son coeur cette aspiration instinctive, ce besoin que seule la perfection des rêves pouvait parfois satisfaire pleinement.
Il ne savait pas si c'était une expérience universelle, ou si elle était liée à sa propre personnalité.
"Nous allons le remettre d'aplomb et avoir cette conversation tranquille, j'y tiens. Cela nous fera du bien à tous les trois. Voyons, il veut qu'on lui adresse une demande, essayons d'y réfléchir entretemps. Je crains que nous soyons à peine trop rationnels pour son univers, comme il dit. Il n'aurait pas dû s'adresser à deux scientifiques !"
Avec un rire, Eldar s'assit sur le bord du bar, balançant ses jambes dans le vide. Un petit sablier passa devant son visage et il saisit au vol le petit objet doré. Etaient-ce des grains d'or, à l'intérieur ? Voyons, un peu de sérieux. Qu'est-ce qui méritait une rectification dans son existence ? Il avait été un peu triste quand ses parents avaient divorcé, mais il avait pu constater avec le temps que c'était ce qui leur convenait à tous les deux. Et c'étaient leurs existences, pas la sienne... Il aurait aimé être un sorcier, mais il aurait été une autre personne. L'Eldar actuel aurait disparu dans les limbes, ce serait comme souhaiter la mort et la réincarnation. Beaucoup trop radical. Il n'avait pas de vie de famille mais ses relations amicales lui suffisaient pour le moment, il n'était pas si vieux... Et quant à sa carrière, elle progresserait à son rythme, il n'allait pas voler son succès ; ça n'aurait aucune saveur. Non, vraiment, il ne voyait pas.
Aussi, le robot avait parlé clairement d'un prix à payer ; mais c'était dans un rêve, ce n'était pas grave. En fait, Eldar était très curieux de savoir ce qu'on lui aurait demandé comme prix ! C'est pourquoi il aurait voulu jouer le jeu, même s'il n'avait objectivement rien à demander. Il avait besoin de savoir, ce n'était pas juste de lui faire miroiter ce jeu d'esprit et de ne pas aller au bout. Il espérait qu'il n'allait pas se réveiller brusquement.
Ah, peut-être pouvait-il faire un souhait au nom de son père ! L'être s'adressait à eux par leurs noms de famille, après tout. Oui, là il avait des idées à l'infini. Son père, contrairement à lui, était un éternel insatisfait.
So give me the gift to hear, to see The love, the freedom to choose the things I feel To be right for the world you'll leave me Give something Give me the right to be heard To be seen, to be loved, to be free To be everything I need to be me To be safe, to believe In something
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J'ai 40 ans et je vis à Londres , au Royaume-Uni enfin, la plupart du temps. Dans la vie, je suis ethnologue, et je participe à des fouilles archéologiques. Je m'en sors plutôt bien. Sinon, j'ai la chance,d'être accompagnée par Jonas, un chercheur en ethnologie sociale croisé sur plusieurs sites et resté dans ma vie. Je le vis très bien.. Je suis peut-être un peu superstitieuse... Sans avoir le moindre don, je crois aux présages, aux sorciers, aux médiums... Mais au fond de moi, je sais bien que ce sont des foutaises !
Des foutaises, qui pourtant prennent beaucoup de place dans ma vie, beaucoup trop ! Je suis une scientifique, que m'importe de vérifier avant de prendre une décision l'alignement des astres et que je suis -numérologiquement parlant- compatible avec mes partenaires éventuels ? C'est ridicule, et je suis la première à en rire, toutefois, il suffit d'un rien pour m'alerter.
Si nous devons travailler ensemble, je serais attentive à votre thème astral, à votre "aura", à toute sorte de choses, la chance dans ma vie à compter du moment où j'ai su notre future association, mes rêves, le moindre petit accroc à mon quotidien bien orchestré.
Si à l'annonce de votre nom comme collaborateur-trice, le chien de ma voisine se fait écraser, mon neveu se blesse, la baignoire déborde, un pot de fleur posé sur un appui de fenêtre tombe du troisième pile devant mes pieds parce que je me suis arrêtée pour lire un sms... Il y a de fortes chances que je considère votre présence comme négative...
Eldar continue de croire à un rêve, moi... Moi à vrai dire je ne sais plus. La mine horrifiée de Saül m'interpelle et me stresse ? Un robot ? Il est vrai qu'il se comporte étrangement mais est-il plus bizarre qu'Eldar ?
« On a des montres partout autour de nous, essayons de le réparer ? Pour un reformatage temporel, des montres molles, ça me paraît idéal. Tiens, voilà des rouages, des ressorts, des vis... je t'envoie tout ce que j'ai, vois si tu peux l'arranger avec ça. C'est un rêve, tu peux tout faire !»
Le plus stupéfiant c'est que dès qu'il prononce ces mots, dans l'air autour de nous les objets cités se matérialisent ? Après tout peut-être a-t-il raison, peut-être rêvons-nous d'un monde ridicule où un robot jailli de nulle part tente de réparer le temps brisé par les rêves audacieux d'un chercheur en biologie marine et d'une ethnologue ? Toutefois, une alarme en moi sonne sourdement.
« Erreur interne, reformatage temporel nécessaire. Veuillez procéder à la fermeture de toutes les requêtes en cours. »
L'écran de la tablette du robot ? Ou pas ? Affiche ce message en grosses lettres qui clignotent en rouge. Après un moment de stupéfaction, Saül se met à pianoter nerveusement sur un clavier virtuel, pourquoi diable ne parle-t-il pas à cette machine ? Elle n'a pas de reconnaissance vocale ?!
« Pouvez-vous au moins nous expliquer ce que signifie ce message ? Qu'est-ce qu'un reformatage temporel ? »
Il pousse un cri inarticulé en regardant derrière moi ! Je me retourne en hâte pour voir avec stupeur deux australopithèques attablés devant un thé, le serveur est vêtu comme un noble ottoman du XVIIe siècle et porte un turban plus gros que sa tête ! A côté de nous, un sosie de Youri Gagarine en grande tenue de cosmonaute joue aux cartes avec un misérable lépreux en haillons directement sorti d'une ladrerie médiévale ! Ma tête tourne je regarde Eldar puis Saül, ce rêve se transforme en cauchemar !
« Est-ce dû à cette « erreur interne » ? C'est juste invraisemblable ! Comment est-ce possible ? C'est une fête costumée rassurez-moi ? »
Tout à coup de la tablette sort un son que j'ai entendu avant qu'Eldar n'arrive dans le rêve !
« Payne doit faire vite ! Ils vont arriver ! Payne doit se mettre en sécurité! Vite ! Vite ! Les Ombres ne sont jamais seules !»
Du sol désormais en sable, monte lentement un être difforme enveloppé de ce qui ressemble à un suaire ! Je repense au bisou chaste d' Eldar, je réentends ses paroles et me jette à son cou, comme pour m'accrocher à la seule créature logique de cet endroit :
« Nous allons le remettre d'aplomb et avoir cette conversation tranquille, j'y tiens. Cela nous fera du bien à tous les trois. »
Voit-il ce que je vois ? Ou bien suis-je en train de m'éloigner, rêvant seule d'un monde ignoble et stupide ? Saül est toujours en train de donner ou demander des instructions à son ordinateur minimaliste, les retours semblent le stupéfier, l'anéantir, les yeux lui sortent de la tête, il dérape, se disperse, marmonne des mots dénués de sens dans une langue inconnue.
« Voyons, il veut qu'on lui adresse une demande, essayons d'y réfléchir entretemps. Je crains que nous soyons à peine trop rationnels pour son univers, comme il dit. »
Tout à coup j'ai une pulsion qui n'a rien de rationnel, j'attrape la main de Saül et crie presque tandis que « l'Ombre » s'est enfin extirpée de sa prison de terre et tourne ses yeux morts dans notre direction, immobile !
« Saül ! Je sais ce que je veux ! Je veux revivre ma rencontre avec Eldar, juste l'instant où je le vois et ... »
Et quoi ? Gommer le moment où je suis rejointe par Jonas, souriant, ravi de me voir arriver sur le site ? Pauvre Jonas, il n'a jamais rien fait que je puisse lui reprocher ? Il a obéi à mes injonctions « S'il te plaît Chéri, ne me colle pas aux basques, je veux vivre pleinement, te retrouver quand je suis apte à te donner du bonheur ! » Pourquoi suis-je à ce point attirée par Eldar ? L'ai-je toujours été ? Où bien son erreur interne a-t-elle tout chamboulé ?
L'Ombre m'a enfin repérée et avance avec une lenteur effrayante !
« Saül ! Je veux que ce soir là, Eldar et non Jonas me raccompagne à mon bungalow. »
L'Ombre progresse, à une vitesse d'escargot mais inexorablement !
« Saül ! »
« Les requêtes ont été annulées, toutes. Le Contrôleur central est neutralisé, je ne sais pas ce qui se passe mais... je n'ai plus aucun pouvoir ! Je ne peux intervenir que sur une phase linéaire... »
Je ne comprends qu'une partie de ce qu'il raconte, mais l'essentiel m'imprègne comme si -buvard- j'étais touchée par des gouttes d'eau ! Je me mets à hurler comme une folle, jamais je ne supporterais que cette chose là tout près, qui tente de me rejoindre me touche ! Je prends la main d'Eldar et la serre à lui briser les os ! Lui est rationnel, il est mon point d'ancrage !
Grâce à lui, autour de nous, le café semble avoir repris son aspect normal, les consommateurs sont humains, ils boivent, jouent, parlent... Seul Saül reste imparfait, son visage s'est comme disloqué, il semble partagé entre plusieurs couches temporelles, ses traits forment comme des strates géologiques et superposent plusieurs paires d'yeux !
D'une voix toujours aussi mécanique il murmure « Je ne suis pas un robot... Par les Rouages ! Il faut stabiliser le temps ! Je vais me perdre ... »
Il semble en souffrance ? Fait un grand geste circulaire avec un masque de bois qu'il porte au bout d'une perche démesurée... Il regarde Eldar comme un exorciste regarderait une incarnation du démon...
« Vous êtes sorcier ? C'est cela ? Les sorciers sont une engeance que nous étions parvenus à éliminer ! Leurs pouvoirs érodent le temps qui passe ! »
Maintenant que les choses ont retrouvé une presque « normalité » je les fixe l'un et l'autre, et me mets à rire aussi fort que j'ai crié tout à l'heure ! Voyons ! Sorcier ! Et moi que suis-je ? Une sirène ? Une long-voyante ? Une cartomancienne de foire ?
« Les sorciers n'existent pas Saül ! C'est une invention des religieux pour se défaire des incroyants ! »
Je le dis, mais l'inquiétude doit se lire sur ma face ? Qu'est-ce encore que cette élucubration! Je dois me réveiller si c'est un rêve !
J'ai... quel âge ai-je donc ? c'est compliqué à définir... Je vis là où vous êtes. Dans la vie, je suis c'est difficile à dire aussi, disons "Retoucheur de temps" ? et je m'en sors plutôt bien. Sinon, savoir si je suis célibataire, marié, à la colle, ça n'a pas de sens. Je suis malléable et virtuel, enfin virtuel, pas tant que ça, je suis l'expression de vos désirs les plus fous.. Je suis issu d'un monde auquel la plupart d'entre vous ne croient pas. Je n'existe que si vous avez foi en moi, si vous m'ouvrez une porte sur votre réel. Alors, et seulement alors, je me matérialiserai, au point d'être aussi solide et tangible que n'importe lequel de vos compagnons de route. J'attends, tapi dans l'ombre, que l'un ou l'une d'entre vous exprime un besoin, une envie, avec les bons mots et la bonne intonation... Cela sera votre supplique, et si vous ne l'avez pas pensée correctement, cela peut -aussi- devenir votre cauchemar.
IL ne me croit pas ! Un rêve ! Un robot ! Mais n'a-t-il aucune perception de ce qui l'entoure ? Cela dit je concède qu'il suffit qu'il parle de ressorts, de montres, et d'autres sottises pour qu'elles se matérialisent aussitôt ! La femme elle, Payne, est toujours dans son presque futur... Mais... elle a raison dans son approche, comment en si peu de temps ? Un voyage en avion pour passer l'Atlantique puis en train pour traverser la moitié des Etats-Unis, comment ce laps de temps ridiculement court peut-il aboutir à une telle... dystopie ? Rien dans leur monde réel ne peut l'expliquer et que je me refuse ou non à l'admettre, partir d'aujourd'hui -enfin son aujourd'hui d'avant cette pagaille monstrueuse- à son lendemain dans les sables est impossible. Une catastrophe planétaire aurait pu survenir mais le monde atteint aurait été désorganisé, sous le choc, totalement inapte à créer la cité que j'y ai vu et la société qu'elle abritait.
Si le temps n'explique pas c'est donc, d'une qu'il était déjà déréglé, de deux qu'elle manie bien plus que le temps. Lui aussi ! C'est pour cela qu'elle l'a invité dans son « rêve » ! Ils ont la capacité de modifier le réel, de créer j'en suis assuré des mondes alternatifs, et de passer de l'un à l'autre sous couvert de « rêve ». Il n'y a pas de rêve ici. Dès que Tarock ou Payne évoque un sujet, ce sujet se met à exister ! C'est là une mutation fantastique dont je me serais parfaitement passé d'être témoin.
Je fais partie moi, de la caste vieillissante des retoucheurs de temps... Eux, qui sont-ils ? Des « Rêveurs » ? Des créateurs de réalités ? Non plus virtuelle mais tangible ? Qu'ont pensé les dinosaures quand leur temps s'est vu achevé ? Quand l'immense monde qui était leur est devenu celui de petites créatures grouillantes, au sang chaud, qui se sont mises à l'envahir ?
« C'est un rêve, tu peux tout faire ! »
Est-ce le code nécessaire à enclencher une translation ? Car c'en est une, j'en jurerais ! Une translation de monde... Il y a dans le Contrôleur central une section qui met en garde contre des changements trop brutaux, pouvant entraîner ce type de désagrément... Il y a ? Ma tablette n'a même plus l'énergie d'afficher son erreur interne ?
« Nous allons le remettre d'aplomb et avoir cette conversation tranquille, j'y tiens. Cela nous fera du bien à tous les trois. »
De quoi parle-t-il ? Je me disperse, je me sens mal ! Elle derrière a un tout autre discours ! Elle panique autant que moi « Pouvez-vous au moins nous expliquer ce que signifie ce message ? Qu'est-ce qu'un reformatage temporel ? »
« Voyons, il veut qu'on lui adresse une demande, essayons d'y réfléchir entre-temps. »
« Est-ce dû à cette « erreur interne » ? C'est juste invraisemblable ! Comment est-ce possible ? C'est une fête costumée rassurez-moi ? »
« Je crains que nous soyons à peine trop rationnels pour son univers, comme il dit. »
« Saül ! Je veux que ce soir là, Eldar et non Jonas me raccompagne à mon bungalow. »
« Il n'aurait pas dû s'adresser à deux scientifiques ! »
« SUFFIT ! FERMEZ VOS GUEULES !»
Je me racle la gorge, gêné. Je n'aurais pas dû crier, je le reconnais et encore moins être vulgaire.
« Ce n'est pas un rêve ! Je ne suis pas un robot de pacotille ! Et il est trop tard pour faire la moindre requête... C'est juste... enfin je pense... »
Je passe la main sur mon front, écarquille les yeux, enfin ? Combien diable ai-je de paire d'yeux ? Je me disloque ! Je mute ! Par les Rouages de cet espace-temps ! Je les regarde de mon œil unique entouré de trois paires d'yeux annexes... peu importe l'aspect que je revêts, je reste moi ?! Mais comment eux vont-ils réagir ? Vont-ils également changer d'apparence ?
« Lequel de vous est sorcier ! Il n'y a que les sorciers qui peuvent foutre un bazar pareil ! C'est une translation ! Nous changeons de modèle cosmique, votre monde va muter, disparaître ! C'est bien le moment de parler science ou rêve ! »
D'une petite voix plus émue que je ne le souhaiterais j'ajoute « Et si le Contrôleur ne survit pas, moi avec lui... Je ne sais rien de ce qui se prépare ! VOUS êtes les fautifs ! Avec vos requêtes qui n'en sont pas, la multiplication du nombre des requérants ! Vous ou vos semblables ! »
Des scientifiques ! Pff ! Les scientifiques à toutes les époques étaient des bons à rien emplis d'air qui se gonflaient à s'écouter parler du vent de leurs trouvailles et de leurs théories fumeuses ! Seule la magie peut créer un tel bouleversement ! N'ont-ils pas compris que RIEN N'EST LOGIQUE !
« Me comprenez-vous ? Momentanément ou définitivement je n'ai plus aucun pouvoir, mais VOUS en avez ! Il suffit de voir comment vous créez du contenu à partir de rien ! Surveillez vos pensées, oubliez la rationalité ! Si vous étiez rationnel, Monsieur le scientifique, auriez-vous pu créer des horloges flottantes ? Et votre amie mélanger toutes les époques humaines ? Il n'y a pas de rêve qui tienne, pincez-vous à sang ! »
Ils ne me croient pas ? Eldar Tarock a toujours l'air du type qui veut prouver une théorie.
Ce n'est pas un rêve !
Je répète, sentant ma voix s'enrouer et perdre de la puissance, je crois bien que j'ai encore changé de look ?
« Ce n'est pas un rêve ! Prenez garde à ce que vous invoquerez, cela deviendra réel. »
A l'autre bout du café, le sol sableux dans lequel nagent des mini-baleines dont le chant emplit l'air laisse inexorablement approcher l'Ombre qu'elle a imaginée !
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the dream spirits
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Mandrin
Mer 24 Mai - 14:43
Eldar
J'ai 34 ans et je vis à Helsinki, Finlande. Dans la vie, je suis chercheur en biologie marine et je m'en sors correctement. Sinon, grâce à ma chance/malchance, je suis célibataire et je le vis plutôt bien. Mes amis m'appellent Ellie. Et en fait, je suis marié à la cigarette, on essaie de se séparer depuis dix ans, sans succès. Ok, je vis à Helsinki, disent mes papiers administratifs, j'y suis arrivé tout jeune et j'y ai fait mes études jusqu'à un âge avancé, j'y ai vécu mes histoires d'amour... j'y aurais fondé ma famille, si c'était mon style. Mais quand je ne suis pas un citadin, je plonge dans les mers et les cavernes les plus inaccessibles du globe, en quête des cultures non humaines, de leurs traces et de leurs coutumes. J'étudie leurs langages, je fais même des tentatives de communication. Un savant fou ? Oui, peut-être bien. Mais c'est pas plus bête que de suivre la tradition ancestrale : la sorcellerie. Du côté de papa, la bonne vieille nécromancie des familles, option vaudou. Du côté de maman, le chamanisme divinatoire d'Asie Centrale, option tengrisme. Et moi, vilain petit canard en blouse blanche.
Les cris et les protestations de l'employé local touchaient Eldar, bien sûr, et il aurait voulu l'apaiser, mais au fond il ne le prenait pas entièrement au sérieux. Toute son attention était fixée sur la femme blonde auprès de lui, et les mots qu'elle venait de prononcer. Jonas disparaissait quelque part hors de cette demeure dorée, avalé par la baleine. Et eux, ils restaient face à face, leurs regards pleins d'interrogations. Il lui prit la main dans un geste impulsif, mais eut besoin d'une seconde pour parvenir à dire les mots à voix haute.
"Et moi, j'aimerais te présenter... une meilleure version de mon père."
Mon père, s'il n'était pas un criminel. S'il était celui que j'ai toujours vu en lui, que j'ai toujours espéré croiser, et qui s'est toujours dérobé dans la quête d'un pouvoir qui n'était pas fait pour lui. S'il était lavé de tout ce qu'il a pu commettre et pouvait recommencer à zéro, et entendre son fils lui dire : j'ai rencontré quelqu'un.
Il n'avait pas eu l'intention de dire tout ça voix haute, mais sa voix résonnait à l'extérieur de sa tête, à la radio du cabaret, aux échos de l'océan dehors.
Eldar avait la gorge serrée d'imaginer une telle bifurcation dans sa trajectoire de vie, presque une vie parallèle, une autre dimension où il aurait plongé sans réfléchir. Ce n'était pas lui, ça ! Il ne faisait rien sans réfléchir, il n'était pas un Tarock pour rien. Sa main hésitait, se rouvrir, ou rester accrochée, mais depuis le début ces gestes envers elle semblaient les ancrer dans le peu de réalité qui demeurait encore.
"Vous savez, nous autres humains, on a l'habitude de vivre dans un monde où on ne sait rien de ce qui se prépare. C'est notre quotidien, on ne s'affole pas pour si peu. Oh et... Je suis peut-être un sorcier," ajouta-t-il en jetant un coup d'oeil au bavard à leurs côtés. "Je ne pense pas mais mes parents le sont. Je me suis tenu à l'écart de ce monde, ça ne m'intéresse pas, vous comprenez ?"
Le sable doré prend forme. Une silhouette. Des étincelles, comme des flammèches qui s'éteignent. Oh, seigneur, il est là. Rêve ou cauchemar ? Les rêves où il apparaît tournent rarement bien. Mais il est réellement là... Lui et son ombre. Alors seulement Eldar remarque que tout ici n'a pas forcément une ombre. Non pas que ça ait de l'importance, mais les minuscules baleines volantes n'en ont pas. Il en soulève une dans sa paume, légère comme un papillon.
"Bonsoir, père," lance-t-il d'un ton presque distant, comme aux réunions de famille où il arrive systématiquement en retard. Mieux vaut bannir de son esprit tous ces visages sinistres qui y errent... il n'aimerait pas les invoquer. "Voilà Jane, et Saül. Contrairement à ce qu'il te prétendra, je ne contrôle rien."
Il y a un ton d'excuse dans sa voix, il sait bien ce que son père pense de ses capacités. Ils ont leurs domaines et ils ne devraient pas en sortir. C'est bien ainsi. Il se sent si incapable en sa présence, écrasé par ses aptitudes magiques, presque invisible...
So give me the gift to hear, to see The love, the freedom to choose the things I feel To be right for the world you'll leave me Give something Give me the right to be heard To be seen, to be loved, to be free To be everything I need to be me To be safe, to believe In something
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J'ai 40 ans et je vis à Londres , au Royaume-Uni enfin, la plupart du temps. Dans la vie, je suis ethnologue, et je participe à des fouilles archéologiques. Je m'en sors plutôt bien. Sinon, j'ai la chance,d'être accompagnée par Jonas, un chercheur en ethnologie sociale croisé sur plusieurs sites et resté dans ma vie. Je le vis très bien.. Je suis peut-être un peu superstitieuse... Sans avoir le moindre don, je crois aux présages, aux sorciers, aux médiums... Mais au fond de moi, je sais bien que ce sont des foutaises !
Des foutaises, qui pourtant prennent beaucoup de place dans ma vie, beaucoup trop ! Je suis une scientifique, que m'importe de vérifier avant de prendre une décision l'alignement des astres et que je suis -numérologiquement parlant- compatible avec mes partenaires éventuels ? C'est ridicule, et je suis la première à en rire, toutefois, il suffit d'un rien pour m'alerter.
Si nous devons travailler ensemble, je serais attentive à votre thème astral, à votre "aura", à toute sorte de choses, la chance dans ma vie à compter du moment où j'ai su notre future association, mes rêves, le moindre petit accroc à mon quotidien bien orchestré.
Si à l'annonce de votre nom comme collaborateur-trice, le chien de ma voisine se fait écraser, mon neveu se blesse, la baignoire déborde, un pot de fleur posé sur un appui de fenêtre tombe du troisième pile devant mes pieds parce que je me suis arrêtée pour lire un sms... Il y a de fortes chances que je considère votre présence comme négative...
Il y a longtemps, longtemps maintenant, sur l'un des premiers sites où j'ai eu à intervenir, une femme était venue protester contre la violation des tombes des anciens de son peuple... Elle parlait mais derrière elle une dizaine de villageois appuyait ses dires, ils étaient à la fois blessés, en colère et inquiets, les archéologues profanaient des tombes et que le motif en soit de mieux comprendre leur culture n'excusait rien. Elle m'avait dit, à moi parce que je semblais la seule à écouter vraiment « Si nous venions dans vos cimetières les plus anciens avec des pelles et que nous ouvrions les sépultures de vos ancêtres ? Parce que nous vous aimons et voulons vous connaître mieux ! » Je n'avais pu que soupirer... En soi elle avait raison.
Dans certains pays les fouilles concernent des cultures disparues, pas dans tous...
Comme j'avais semblé réceptive -bien qu'impuissante à agir pour faire stopper le sacrilège- elle m'avait invité chez elle. Je revois très bien la scène, un village au milieu d'une forêt luxuriante, quelque part en Amérique du sud, l'endroit n'a guère d'importance, ce sont ses paroles qui en ont... Elle m'avait fait asseoir, présenté ses filles adolescentes, son unique fils encore enfant. Elle avait dit son époux mort sans expliquer de quoi, cela non plus n'avait pour moi pas d'importance, pour elle non plus sans doute puisque quelle qu'en soit la raison il l'avait laissée veuve.
- Tu sais ? Tu as le don
J'avais ouvert des yeux ronds, le don ? Quel don ? Je suis issu d'une dynastie de prolétaires londoniens pragmatiques, athées, persuadés qu'il faut du travail pour arriver, pas dans le sens labeur sous-payé par un employeur mais bien travail sur soi, sur l'estime qu'on se porte et sa foi à aller loin malgré les obstacles. Mes parents ont salué mes diplômes d'un sourire fier, ne m'ont jamais encensée, j'avais pris ma vie en main, comme mon père l'avait prise en quittant l'usine -contraint et forcé- et en investissant sa prime de licenciement dans une station-service d'abord, puis une sorte d'épicerie de quartier où voisinaient bureau de poste, ordinateurs du cyber-café, conseils de ma mère plus instruite pour remplir divers formulaires administratifs et bien sûr denrées de première nécessité. C'est ma vie, ce sont les miens, et je ne suis jamais honteuse de mes origines même lorsque comme Eldar les gens que je rencontre sont visiblement issus d'un milieu qu'on dit « plus favorisé ».
Reste... le don ? Si je me reconnais volontiers superstitieuse, je n'ai jamais eu le sentiment d'être douée d'aucune façon... Pourtant aujourd'hui, à écouter Saül -d'où vient-il lui ! Comment puis-je donner une réalité à ce type ? Il a jailli de nulle part avec ses élucubrations!- et bien si j'écoute cet... qu'est-il ? Il a hurlé « Je ne suis pas un robot ! », bref... j'aurais moi-même créé un espace onirique dans lequel je l'aurais d'abord convié lui avant d'y attirer Eldar ? Je serais également responsable d'un dérèglement temporel qui ferait se côtoyer des australopithèques et des cosmonautes ?
Je réentends ses protestations paniquées :
« SUFFIT ! FERMEZ VOS GUEULES ! Ce n'est pas un rêve ! Je ne suis pas un robot de pacotille ! Et il est trop tard pour faire la moindre requête... C'est juste... enfin je pense... une translation ! Nous changeons de modèle cosmique, votre monde va muter, disparaître ! »
Je me sens envahie de scepticisme hérissé comme les piquants d'un hérisson effrayé. Mutation de monde ? Apocalypse en fait ? Mais cet homme est fou ! Je n'ai plus la moindre hésitation sur le qualificatif, encore que... comment peut-il changer de visage, de genre, d'âge, de vêture ? À cette vitesse ?
Eldar lui-même semble interloqué. Si j'apprécie Eldar Tarock c'est pour son professionnalisme calme et efficace, or...
« Je suis peut-être un sorcier, je ne pense pas mais mes parents le sont. Je me suis tenu à l'écart de ce monde, ça ne m'intéresse pas, vous comprenez ? »
J'en oublie sa « requête » à Saül qui semblait être : « Et moi, j'aimerais te présenter... une meilleure version de mon père. »
Ma cervelle est coupée en lamelles par les divers questionnements, comme prête à être analysée sous un microscope ! Même si le soi-disant retoucheur de temps a dit que les demandes étaient closes parce que l'unité centrale était kaputt, je veux quand même comprendre et prendre le temps d'y penser... J'ai demandé à effacer Jonas de ma vie au profit d'Eldar ? Comment ai-je pu faire cela à cet homme qui me suit fidèlement et est présent à mes côtés au moindre appel depuis plus de dix ans ? J'en suis à me dire que je compare mon compagnon dans la vie, élève studieux et appliqué mais dénué de fantaisie et d'initiative, à mon compagnon dans le rêve que je m'imagine comme un électron libre, génial et téméraire dans son approche de la recherche ? Peut-être me suis-je fait une idée totalement fausse de Tarock, je l'ai finalement peu croisé...
Mais là n'est pas la question, j'entends le couinement -le mot me paraît juste, il fait le bruit de ces ballons cochons qui en se dégonflant poussent un cri d'agonie- de Saül ! Tandis qu'Eldar parlait de me présenter son père, une « meilleure version » ? Existe-t-il plusieurs versions d'un père ? Le mien est parfait dans la version originale... Je vois tomber du ciel parmi les divers objets flottants et démentiels, un homme !
« Bonsoir, père. Voilà Jane, et Saül. Contrairement à ce qu'il te prétendra, je ne contrôle rien. »
Je reste un moment bouche bée avant de me reprendre ! L'homme doit avoir une soixantaine d'années, des cheveux blancs assez longs et en désordre, son apparition a dû le décoiffer ? Il porte des vêtements que jamais le mien ne s'essaierait à simplement passer le temps de voir à quoi il ressemblerait dedans... Bien que désorienté, il émane de lui une prestance et une autorité qui m'expliquent le maintien parfois hautain de son fils.
« Il ne contrôle rien » ?
Saül est immobile, dans une illustration figée par la surprise de la terreur et du désespoir mêlés.
« Vous rendez-vous compte de ce que vous faites ! Vous altérez l'espace et le temps ! Vous rendez-vous compte ! »
Navré d'abord il se mue en incarnation de la colère ! Furieux autant qu'épouvanté.
Une voix de femme résonne autour de nous
« Comme tout cela est captivant ! Je ne regrette rien Jakob, je ne regrette rien ! Vous rencontrer fut un plaisir ! Avez-vous vu comme vous êtes un catalyseur intéressant pour mon jeune descendant ? »
Je me campe sur mes jambes, la mèche en bataille, les yeux furibonds :
« Ces inepties doivent cesser ! JE VEUX ME REVEILLER ! »
Et que l'autre abruti là ne me dise pas encore « Ce n'est pas un rêve ! » Comment cela pourrait-il être autre chose ? Cela dit, si c'est un rêve -et cela ne peut être que ça non ? Eldar ne saura jamais...-