La question lui échappe, le surprend même en vérité. Cela faisait trop longtemps que Riel ne savait plus rien des jeux de séduction. Il n’était pas même certain qu’il s’agisse de cela… Non, ce n’était là que de la curiosité pure et simple. Un moyen de savoir ce qu’il pouvait bien se tramer dans l’esprit de Miran en cet instant. Se voiler la face est toujours plus facile, et c’est ce que fait l’Illyrien, appuyé sur son siège pour tenir debout et occupé à fixer le Fae du Jour. Intérieurement, Riel est ravi de voir les rôles s’inverser et le rose venir colorer les joues du plus jeune. Ce n’était là que douce revanche là où il sentait encore la chaleur au bout de ses propres oreilles. Il suit son geste du regard, se reprend aussitôt pour ne pas s’égarer davantage. Il cherche les billes ambrées de Miran pour mieux y rester rivé, même s’il note que celui-ci ne peut pas lui rendre la pareille tout de suite. Lui aussi s’égare mais le Prince fait comme s’il ne voyait rien, comme s’il n’avait pas soudainement conscience avoir oublié le peignoir de soie qui traîne sur ledit fauteuil. Je suis là pour vous servir, mon Prince, mais… Pas comme ça. Non, évidemment que non et cela il n’en doutait pas une seule seconde. Il ne saurait interpréter ce que lui fait cette réponse, une certaine forme de soulagement mêlée à… Autre chose de plus triste. Il en prendrait conscience plus tard, lorsqu’il y réfléchirait un peu plus. Pour l’heure, il n’y qu’un léger voile qui passe dans ses yeux clairs, fugace. Miran recule mais Riel ne s’en offusque pas, le geste passant pour naturel. Il reporte son attention vers la baie vitrée le temps de quelques secondes, pensant la discussion close et ne sachant que répondre. Mais Miran reprend la parole et les mots se mettent à résonner à son oreiller, comme un écho. Je ne dis pas que ça me déplairait, bien sûr, mais… Riel le scrute à nouveau, expression neutre sur ses traits mais définitivement à l’écoute. C’est à cet instant qu’il se rend compte de la dangerosité d’un tel écho, de telles paroles. Il déglutit, perturbé intérieurement plus qu’il ne devrait l’être. Il y a des souvenirs qui se mêlent, reviennent à la surface comme une dague enfoncée au plus profond de son cœur. Il entendait clairement les avertissements d’Elios dans un coin de sa tête. Dans ma cour, on ne mélange pas les rangs. Un Prince et un soldat ? C’est impossible… Riel a soudain un sourire triste. Si seulement Miran savait… A croire que Zeian avait réellement changé depuis ce temps-là. L’Illyrien n’en parlerait toutefois pas aujourd’hui, et probablement jamais d’ailleurs. Mais il n’y avait guère de limite à l’époque, et cela n’aurait nullement freiné Zeian à l’époque si… Les choses s’étaient passées différemment. « C’est bien dommage… » qu’il souffle presque d’un murmure, pensif. De plus, j’appartiens au Seigneur Zeian…

Riel fronce les sourcils instinctivement. « Je n’aime pas ce mot. » qu’il lâche malgré lui du tac au tac, alors qu’une volute d’ombre apparaît autour de son cou et vient chatouiller sa joue. Il se reprend aussitôt, la laisse serpenter et disparaître pour que Miran puisse poursuivre le fil de ses réflexions. Il n’aime pas la manière dont le Fae du Jour se voit, parce que ces derniers compilés à tout ce qu’il avait déjà vu s’assemblaient de façon bien trop claire pour lui. Si tel était le cas, oui, Zeian avait définitivement changé et perdu le Nord autant que Riel avait laissé son organe vital sur le champ de bataille. La manière dont Miran se voit est un signe supplémentaire qui déplaît à l’Illyrien. Comment diable pouvait-il avoir cette opinion et l’accepter sans rechigner ? Pourquoi ne voyait-il pas ce que lui était parvenu à voir en si peu de temps ? « Je pense que le Chaudron aurait tort de ne pas te bénir. ». Il n’irait pas plus loin cependant, risquant à son tour de s’égarer s’il le faisait. Il ressentait une forme de colère qu’il n’aurait pas dû, et là encore les avertissements d’Elios résonnaient à ses oreilles, le fatiguant un peu plus. Dangereux. C’est finalement Miran qui parvient à détendre l’atmosphère légèrement tendue. Du moins, c’est encore Miran, car Riel était le plus souvent bien trop sérieux pour être le fanfaron de la salle. Vos gens auraient sans doute ma peau bien avant que Zeian ne me l’écorche vive ! Ce n’est qu’à cause du rire du plus jeune que Riel se met à ricaner à demi, resté plus sombre jusqu’ici. « Très honnêtement, je ne suis pas certains. Comme je l’ai dit, le point de vue de nos Cours divergent. ». Elios serait probablement le seul à taper du poing sur la table comme un forcené car il y verrait une menace de la part de Zeian. Il en voyait déjà une en vérité. Lorsqu’il croise à nouveau son regard, celui-ci a retrouvé une lueur moqueuse et amusée comme un peu plus tôt et l’Illyrien s’attend subitement à la contre-attaque. Elle ne tarde pas, le fait soudainement rougir à un point qui le laisse mort de gêne et il pivote sur lui-même en marmonnant. Majesté. Il lui avait pourtant dit de… « Bien, un point pour toi. » qu’il plaisante en se retournant vers lui pour ne pas perdre davantage la face, sourire au coin des lèvres. « Un point pour m’avoir fait rougir. » qu’il précise un peu plus, croisant les bras contre son torse et restant appuyé contre le siège pour ne pas tanguer. La plaisanterie reste cependant de courte durée à l’évocation des obligations, et Riel ne peut que soupirer longuement. « Pas nécessairement. En tout cas, ce ne sont pas ce ne sont pas celles qui demeurent prioritaires sur la liste… ». Ses obligations à lui étaient bien plus sombres. Il pouvait choisir que faire et de qui il amenait dans son lit tant qu’il respectait ses autres obligations bien plus obscures. Cet accord qui n’allait que dans un sens et dont il espérait bien se défaire un jour. Leur discussion s’arrêterait là, terrain trop pentu pour ne pas être aussi dangereux que certains gouffres de ces Montagnes.

Lentement, il s’écarte du fauteuil, avise de sa capacité à se tenir debout pour se rapprocher lentement de la baie vitrée, toujours aussi pensif. Il reste ainsi pendant deux ou trois minutes, silencieux. Il donnerait tout pour sentir le vent dans ses ailes en cet instant, comme une irrépressible envie d’être partout sauf ici. « Miran ? » qu’il finit par appeler. « Est-ce que tu accepterais de me faire la lecture ? ». A défaut de pouvoir sortir, peut-être était-ce l’occasion de se perdre dans un livre. Et comme Miran ne comptait pas le lâcher de la journée. Sans se retourner, il observe le plus jeune dans le reflet de la vitre, attendant sa réponse. Ses prunelles se perdent librement sur le reflet, les cheveux en bataille et le teint légèrement hâlé de son garde du corps. Oui, il lui rappelait définitivement tout ce qu’il avait voulu oublier de la Cour du Jour et de sa dette gagnée. A quel jeu jouait donc Zeian…