La semaine prochaine... C'était faisable. Il s'arrangerait pour travailler plus cette semaine là pour ne pas prendre de retard à cause de cette foutue réception. Il hocha la tête à son attention et se prépara à faire demi tour lorsqu'elle lui annonça d'une voix langoureuse qui lui arracha un sourire en coin :
- Il me tarde de te voir en costume.
- Ouais, ouais..., marmonna-t-il en secouant une main et en repartant vers la porte.
Il détestait porter ce genre de choses. Ethan estimait qu'un sweat et un jogging étaient bien plus confortables et puis, s'il fallait s'enfuir brusquement, ça ne bloquait pas le corps dans ses mouvements. M'enfin bref, il allait se plier à la règle, comme tout le monde, et enfiler son foutu costume.

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Quelques jours plus tard, il était devant la grande grille en fer forgé bleuté qui le séparait encore du possible enfer que serait son après-midi. La semaine précédente s'était écoulée à la fois trop vite et bien lentement et depuis qu'il était allée chez Leona pour apprendre qu'il allait devoir se présenter à son père, le poids qui s'était logé dans son thorax et qui bloquait sa respiration de temps à autre n'avait pas disparu. Il allait devoir la jouer finement et prudemment, sinon c'était le game over pour lui. Bien sûr, il n'avait parlé de sa petite expédition à personne, et surtout pas à ses compagnons d'infortune. Une fois la réception terminée, il comptait bien oublier ça et faire comme si rien ne s'était jamais produit.

Ethan avait mis du temps à se préparer ce matin même. Après une courte sieste qui avait suivi son travail nocturne, il avait pris une douche et s'était installé face à son costume bleu marine pour le regarder longuement, priant pour que tout se passe bien. Il l'avait enfilé et était parti se raser et se parfumer mais également se coiffer, chose qu'il ne faisait pas souvent car il avait bien galéré trente bonnes minutes avec ses cheveux châtains. Il avait longuement hésité au moment des chaussures : ses baskets ou des chaussures noires classiques mais très peu confortables ? Au final, c'étaient ses baskets blanches qui se retrouvaient à ses pieds devant le petit château clair. Ok, pas très conventionnel, certes, mais ça lui évitait de ressembler à un quinquagénaire ennuyeux et il ne regrettait pas. Et ça lui donnait même quelques années de moins et atténuerait sûrement un peu le problème de différence d'âge entre eux deux, qu'il savait visible sans être flagrant. Il avait parié que ça poserait problème à son père, il verrait bien le moment venu. Sous son costume bleu marine il avait bien évidemment enfilé une chemise blanche impeccablement repassée par ses soins et à cela venait s'ajouter une montre argentée à son poignet gauche ainsi que des lunettes de soleil noires posées sur son nez. Il trouvait que ça lui donnait un côté cool qui pourrait jouer en sa faveur mais il les avait surtout apportées pour se cacher derrière comme le lapin apeuré qu'il était.

A côté de lui il y avait Leona. Elle était magnifique mais ce n'était pas une surprise. Ils n'avaient pas beaucoup parlé sur le chemin et à présent, il était trop stressé pour faire la conversation. Il avait hâte que tout ça soit fini, et qu'il puisse tranquillement retourner se terrer chez lui. Sa seule consolation était que le pote de Leona était ailleurs et que c'était lui qui était là. Si seulement ça pouvait le calmer un peu... Mais non.
Au loin, il apercevait une petite assemblée regroupée autour de ce qui semblait être de longues tables aux nappes blanches, disposées parallèles les unes aux autres dans l'herbe du grand jardin du château. Ethan n'aimait pas du tout cette ambiance dorée et luxueuse et il savait déjà qu'il ne s'y sentirait pas à sa place. Mais il savait aussi qu'il avait confiance en ses compétences de caméléon et que si les invités ne faisaient pas trop attention à lui, il se fonderait parfaitement dans la foule.

Le cœur battait un peu trop vite et son regard qui filait trop rapidement d'un endroit à un autre trahissaient son malaise grandissant. Ethan se força à prendre une grande et lente inspiration pour essayer de se calmer, en vain, et s'adressa à Leona sans pour autant se tourner vers elle :
- T'as pas intérêt à m'abandonner une fois là bas, c'est clair ? Je fais une crise d'angoisse sinon, ajouta-t-il avec une pointe d'humour, même si ce qu'il venait de lui dire était totalement vrai. Il était sûr qu'il allait étouffer parmi toute cette... cette noblesse. Bon, reprit-il avec plus de sérieux, si on récapitule, tu me présentes à ton père et je passe pour le type blindé qui descend d'une grande famille, qui est fou amoureux et qui veut construire sa vie avec toi, on est bien d'accord ?
Cette fois-ci, il lui jeta un petit regard en coin, pour être sûr qu'il n'avait rien oublié.

Ethan n'en revenait pas. Le calme qu'il lisait dans les yeux de Leona derrière la teinte de ses lunettes était pour lui incompréhensible. Bien sûr, il cachait lui aussi sa propre nervosité mais soit Leona était très forte, soit... Non, elle devait juste être douée pour ça. Il n'avait pas oublié un seul instant la panique dans laquelle elle était lorsqu'elle lui avait annoncé la terrible nouvelle depuis la semaine dernière. Son sourire rassurant marcha un peu sur lui. La façade tranquille qu'elle lui offrait trompait son cerveau et ne l'incitait pas à paniquer davantage. Et il lui en était reconnaissant, même s'il ne lui dit pas.
- On est bien d’accord. Et n’oublie pas de sourire. Même si tu as des crampes.
Ethan grogna une réponse seulement à moitié coopérative. Il n'aimait pas les sourires hypocrites, ça lui foutait la rage. Mais il se doutait bien que la situation l'exigeait. La main de Leona sur le col de son costume vint perturber à nouveau son rythme cardiaque déjà très peu régulier et cette fois-ci, il la regarda dans les yeux.
- Tout va bien se passer. Je surveille tes arrières, ne t’en fais pas.
T'as intérêt de surveiller mes arrières, c'est toi qui m'as mise dans cette merde..., pensa-t-il très fort sans pour autant le dire à voix haute. Ce n'était certainement pas le moment d'être désagréable et Dieu seul savait comme il pouvait être chiant quand il était stressé. Le criminel hocha simplement la tête en acceptant avec gratitude la main de Leona dans la sienne. Il savait que c'était surtout pour leur image mais la savoir toujours à portée de main était assez rassurant.

- Bon, allons-y. Elle l'entraîna vers l'espèce de joyeux banquet qui se déroulait plus loin, parmi les fleurs et les arbres et Ethan suivit en se composant lui aussi le visage qu'il avait préparé pour l'occasion. Il enleva ses lunettes pour les glisser dans la poche de sa chemise et attrapa la flute que Leona lui tendit de sa main valide. Il était hors de question qu'il la lâche tant que la pénible entrevue avec son père ne serait pas terminée. Il était bien trop terrifié par cet évènement et cela lui suffisait presque pour qu'il ne s'engage jamais auprès d'aucune fille.
- Prêt à rencontrer mon père, chéri ?
Le vocabulaire de Leona lui arracha un soufflement de nez amusé. Il avait oublié que même si cette journée était assez effrayante, elle pouvait être aussi ponctuée de moments amusants.
- Pas du tout, mon cœur, lui répondit-il sur le même ton. Un ton assuré qui collait parfaitement avec le riche homme d'affaires qui avait fait fortune dans l'immobilier qu'il incarnait pour quelques heures. Mais c'est parti, on y va quand même.

Ethan porta un instant la coupe à ses lèvres et bu une gorgée d'alcool qui réchauffa sa gorge. Il se doutait bien qu'il faisait ça pour se donner un peu de courage mais ce soudain manque de confiance en lui l'agaçait intérieurement. Il ne savait pas ce qui lui arrivait. Il n'avait jamais été le genre d'homme à trop se soucier de ses actes ou d'évènements comme celui-ci. Mais aujourd'hui, pourtant, il avait peur. Peur de quoi ? Il n'aurait su le dire avec exactitude et la réponse n'était qu'un petit embryon inaccessible dans sa tête. Ethan tourna la tête dans la direction que Leona lui indiqua, non sans sentir son estomac se tordre. Devant eux marchaient un petit groupe d'homme. le type qui marchait devant lui disait vaguement quelque chose et ceux qui le suivaient semblaient tous venir du même milieu distingué et respectable. Ethan les observa quelques secondes, essayant de noter certains de leurs tics, de petits détails qu'il pourrait reproduire à son tour devant le géniteur de Leona.

Cette dernière accéléra un peu le pas pour l'amener vers eux, resserrant sa main autour de la sienne. Cette simple démonstration de nervosité rendit le rythme cardiaque du dealer encore plus irrégulier mais il prit sur lui et inspira profondément pour se détendre. Il allait le faire et comme ça, il en aurait terminé. Le chemin jusqu'à eux sembla durer une éternité et Ethan se surprit à avoir hâte d'arriver à destination. Il n'en pouvait plus de ce sentiment oppressant qui enserrait son cœur de plus en plus fort à chacun de ses pas. Ni de la main de Leona qui meurtrissait la sienne au fur et à  mesure que la silhouette en costume noir se rapprochait d'eux. Mais, enfin, le type se retourna et c'en était fini de cette attente insoutenable. Leur petit duel venait de commencer et Ethan ne comptait pas perdre. Son figure arborait un masque de confiance insoupçonnée ainsi qu'un léger sourire. Il valait mieux en faire pas assez que trop, d'après son avis.

Tandis qu'Oscar s'adressait en premier à sa fille, Ethan en profita pour l'observer. Ce type avait une tête à être affiché sur les affiches publicitaires des arrêts de bus. Et avant même qu'il ne se présente lui même, Ethan comprit. Il n'avait jamais été vraiment à fond dans la politique mais cet homme là, tout le monde le connaissait. C'était le principal rival de Charles aux prochaines élections, et son chef en parlait souvent. Damn. Mais comment avait-il pu faire pour ne pas le reconnaître de suite ? Ce n'est que deux secondes plus tard qu'une véritable douche froide s'abattit sur ses épaules. Il avait mis du temps à capter mais... Oh meeeerde. C'était le père de Leona ? Trop choqué, il cessa d'être cérébralement actif quelques instants mais heureusement, son masque ne se fissura pas. Seule la main qui tenait celle de Leona tressauta, lui indiquant que la situation lui avait échappé un court instant.

Ethan se reprit le plus vite possible : il fallait qu'il oublie au moins pour les 20 prochaines minutes qu'il se tenait face à Oscar Kingsley. Sinon, tout était foutu. Il se présenta et sa voix froide et brusque trancha avec le ton qu'il avait offert à sa fille. Ethan laissa le politicien le toiser entièrement sans brocher et observa avec crainte, mais sans le montrer, son visage prendre la teinte sombre de l'hostilité qu'il ne semblait pas vouloir cacher. Ethan s'y attendait. Mais le constater de ses propres yeux le mettait très mal à l'aise. Encore une fois, son masque tint parfaitement en place et il lâcha Leona pour attraper sa coupe de sa main gauche et ainsi présenter la droite à Oscar. Ethan lui offrit une poigne solide, qu'il avait longuement travaillé, tout en laissant l'honneur à son "beau-père" de rompre le contact en premier.
- Ethan Anderson, se présenta-t-il en lui offrant un sourire poli et confiant. Ses yeux bleus fixaient les siens, bruns, sans sembler vouloir se détourner. Ravi de vous rencontrer Monsieur.
Contrairement à Oscar qui ne semblait pas très heureux de le voir, Ethan essaya de paraître le plus amical et inoffensif possible.

- Je dois dire que vous n’êtes pas ce à quoi je m’attendais, Ethan.
Ah ben merde alors... Ethan sentit son assurance fondre un petit peu. Mais juste un peu. Il s'était créé une image parfaite avec les indications que lui avait donné Leona. Et pourtant, il n'avait pas réussi à taper juste ? Ou alors c'était son âge ? Ou alors c'était son style. Les baskets. C'était sûrement les baskets. Ou bien autre chose ? A chaque fois qu'une question apparaissait dans sa tête, une autre fusait juste après, ne lui laissant pas le temps de chercher une réponse. En plus, Ethan ne savait pas comment interpréter le ton autoritaire de son beau père. Mais il ne chercha pas plus de réponses et d'interprétations au risque de briser son masque paisible. Il valait mieux qu'il laisse l'aura déstabilisante du politicien lui passer au dessus, glisser simplement sur sa carapace pour disparaître au loin, derrière lui. Simplement, ce n'était pas si facile...

- Mais je sais que vous devez être important pour ma fille si entre vous c’est...bien du sérieux.
Il sembla à Ethan qu'Oscar semblait insinuer autre chose derrière ces dernière syllabes. Aurait-il découvert... quelque chose ? Pourtant, même lorsqu'il avait croisé la sœur de Leona il y a quelques semaines, il était sûr de n'avoir laissé aucun indice quant à la nature de leur relation.
- Oui, il est important pour moi papa. Tu sais bien que je n’aurais pas accepté de te le présenter sinon, ajouta Leona en se rapprochant de lui.
Conscient qu'il devait être convaincant, Ethan retint sa main près de lui et à la place, parcourut le visage de Leona d'un regard amoureux. Il se doutait bien qu'Oscar n'apprécierait pas qu'il se mette à tripoter sa fille devant ses yeux et il voulait éviter à tout prix de perdre des points.

- Bien...Très bien…
Ethan se détendit en même temps qu'Oscar quand il comprit qu'il avait réussi la première étape. Restait toutes les suivantes.
- Alors, que faites-vous dans la vie, Ethan ?
Super. Le dealer pouvait réussir cette étape là également. Il lui suffisait juste de ressortir le texte qu'il avait appris par cœur les derniers jours en y mettant toute son âme.
- Je travaille dans l'immobilier, répondit poliment Ethan. Je possède plusieurs centre commerciaux et autres établissements mais je travaille en ce moment sur d'autres projets comme la construction de villas au sud de la ville.
A présent, il fallait espérer que le politicien ne demande pas de preuves. Ethan avait quand même préparé plusieurs petits trucs, au cas où, mais il espérait très fort que son charme naturel suffirait.

- L’immobilier ? Intéressant…j’imagine que vous faites fortune dans votre domaine ?
Ethan sentait le regard d'Oscar le parcourir de haut en bas, puis de bas en haut, et même si cette observation méticuleuse lui donnait l'impression qu'un millier d'insectes couraient sur sa peau, suivant le chemin des yeux du politicien, il ne bougea pas et se força à se détendre. Il fit un instant tourner sa coupe dans ses mains avant de répondre avec autre air serein et un léger malaise contrôlé :
- Oui, on peut dire ça.
Les gens normaux n'aimaient pas parler de leur argent en général. Enfin, il se doutait que les types aux alentours pourraient volontiers s'étaler sur leurs richesses durant des heures mais même s'il devait jouer une comédie, le dealer s'évertuait à respecter quelques principes. Et passer pour un connard riche et arrogant lui donnait des frissons : il détestait ces gens là du plus profond de son être.

Un petit silence suivit sa déclaration qui n'était en réalité qu'une sorte de garantie et Ethan laissa Oscar terminer de le scruter non sans devoir réprimer une intense envie de lui tourner le dos. Mais enfin, il reprit la parole :
- Pardonnez-moi mon indiscrétion, mais dîtes moi Ethan, êtes-vous divorcé ? Avez-vous des enfants ? C'était sûrement la troisième étape à franchir et même si elle était délicate, elle n'en restait pas moins surmontable. Parce qu’un homme de votre...âge, a forcément des envies de famille ? Pas tellement, dans son cas. Du moins pas maintenant. Il pourrait rassurer son beau père sans mentir. Et j’espère que vous êtes conscient que Leona est encore étudiante et qu’elle est promise à un brillant et prestigieux avenir. Ethan hocha la tête solennellement même s'il trouvait que le type en costume noir s'inquiétait de choses qui ne le regardaient pas tellement. Je sais qu’elle peut être parfois impulsive, quand il s’agit de prendre des décisions. Je ne voudrais pas qu’elle se détourne de ses études, vous comprenez ?

Tout ce que lui apporta ce petit monologue fut la confirmation de ce qu'il pensait déjà : Ethan n'aimait pas Oscar. Mais il allait faire un effort pour ne pas paraître cassant et rassurer ses inquiétudes qui étaient pour lui infondées.
- Non Monsieur, pas d'enfants, pas d'ancienne femme, lui annonça-t-il en prenant un ton un peu cérémonial, pour plaisanter un peu et pour détendre l'atmosphère. Mais il reprit immédiatement un semblant de sérieux pour continuer : N'ayez pas d'inquiétudes à ce sujet. De nouveau, il afficha son sourire poli et distingué. Je sais me montrer patient et je sais surtout qu'élever des enfants en parallèle des études, ce n'est pas ce qu'il y a de mieux. Tout comme vous, tout ce que je souhaite c'est le meilleur pour Leona. Je ne vais pas la distraire avec des projets familiaux alors qu'elle doit se concentrer sur des examens.
Sur ces paroles, Ethan sentit que le moment de poser une main sur l'épaule de Leona était plus favorable qu'il y a quelques secondes, alors c'est ce qu'il fit, non sans lui avoir jeté un autre regard amoureux au passage.
Il se promettait qu'après tout ça, il irait noyer ces douloureux souvenirs dans un maximum d'alcool. Il ne voulait plus jamais se rappeler de ce moment. Il était tellement mal à l'aise qu'on aurait pu apercevoir sa propre gène dans l'atmosphère.