Je ne comprends pas.
Ce qui se passe n’a aucun sens.
Je ne comprends rien.
Qu’est-ce qui m’arrive ?
Qu’est-ce qui nous arrive ?

Du coin de l’œil, j’aperçois un message sur la console de bord de mon chasseur. L’unité R2 embarquée m’informe que nos réserves d’oxygène et de carburant me permettront de rejoindre ma cible, même de justesse. Évidemment. Je n’ai pas vraiment eu le temps de faire le plein quand j’ai fui Tessarine, petit monde obscur de la Bordure Extérieure mais cible stratégique de la guerre, pour les compétences exceptionnelles de ses mathématiciens.
J’ai fui.
Moi, Riiné Jantis, chevalier Jedi : j’ai fui. Fui devant mon propre bataillon de clones, qui a tenté de me tuer. Fui pendant que Depa Billaba, le maître qui m’a formée, restait en arrière pour gagner du temps et me permettre de sauver ma vie. Fui, misérablement.  
J’ai honte.
J’ai mal.
Je ne comprends pas.

Je n’ai même pas pu atteindre nos chasseurs. De toute manière, mon Aethersprite a besoin de son anneau d’hyperpropulsion pour entrer dans l’hyperespace, et je doute qu’on m’aurait laissée le rejoindre en orbite… Alors, j’ai volé un ARC-170. Et son unité R2. Lui, il me permettra de me déplacer plus facilement… et d’atteindre ma destination à moindre risque. Kashyyyk. La grande détresse que je capte dans la Force ne laisse aucun doute sur le tragique destin de l’Ordre Jedi dans la galaxie – un grand, grand malheur est arrivé, et si tous les clones se sont retournés contre les Jedis, alors… Bien peu sûrement en ont réchappé. Yoda en fait forcément partie, et je sais qu’il est en mission auprès des Wookies.
Y sera-t-il encore quand j’y arriverai ?

Non, il n’y est plus. Cela fait 5 jours que je macère dans ce cockpit, les Wookies en déroute ont à peine le temps de m’informer que le Grand Maître de l’Ordre a déserté les lieux. Ils sont envahis, eux aussi, comme sur Tessarine. Et je n’ai plus beaucoup de carburant… Mon unité R2 hésite et trille, derrière la verrière, dans le vide spatial. Des calculs défilent sur la console de bord – et le verdict. Ça devrait passer, mais je n’aurai pas assez d’oxygène. Ce n’est pas vraiment un problème : en transe Jedi profonde, je consommerai peu d’air, il me suffira de laisser le R2 piloter.
Après avoir fui devant mes soldats, voilà maintenant que je remets ma vie entre les pinces d’un droïde.
Sarisa en pleurerait de rire.
Si elle est encore en vie.
Elle l’est forcément, n’est-ce pas ? Les harpies teigneuses comme elles ont la vie dure, et cette fille-là, c’est une dure à cuire. Maître Depa elle-même le disait, pendant les longs mois que Sarisa a passés avec nous quand elle terminait sa formation auprès de mon Maître.
Pourvu qu’elle s’en soit tirée.
Pourvu qu’elles s’en soient tirées, toutes les deux.
Je n’aurai pas le courage d’affronter ça seule…

Une série de trilles électroniques me tire de ma méditation, et j’inspire à fond. D’un regard, j’analyse les données qui défilent sur le tableau de bord. Visiblement, les informations communiquées par les Wookies sont correctes : je détecte un vaisseau de dimensions respectables à proximité. Une corvette corellienne. Cela correspond au Tantive III, et je transmets mes codes d’identification avec un brin d’appréhension. La réponse qui me parvient confirme qu’il s’agit bien du Sundered Heart, au service de la maison Organa d’Alderaan. Les Wookies m’ont assuré que Yoda s’y trouve, et j’apponte avec prudence. Il y a un skiff stellaire naboo dans le hangar où l’on m’invite à accoster. Qui donc ? Le R2 astromech n’est pas en mesure de me donner un nom, l’immatriculation semble inconnue. Je refuse de nourrir des espoirs dans le vent – même plusieurs jours après la débâcle, j’ai l’âme à vif d’avoir ressenti une si grande perte. Mon monde entier a basculé dans le chaos, et je ne sais plus à quel idéal me vouer. L’Ordre Jedi me semble perdu. Naboo est hors de ma portée – et même si j’y retournais, de toute manière, ma famille ne m’y accueillerait pas. Ils m’ont cédée au Temple quand je n’étais qu’un bébé, je ne suis rien pour eux. Ma famille, ce sont les padawans aux côtés desquels j’ai grandi, les chevaliers que j’ai côtoyés, les maîtres qui m’ont formée. Tous morts, peut-être.
Un frisson glacial me parcourt l’échine.

Un officier m’attend à la sortie de mon chasseur, et s’incline avec une certaine raideur. Clairement, lui non plus n’a aucune idée de la manière dont il convient de traiter une Jedi renégate après le désastre qui a secoué la République. Je n’ose même pas lui demander ce qui s’est passé pendant les quelques jours que j’ai passés dans le cockpit de mon chasseur. Il m’escorte dans les coursives du vaisseau, et finit par m’indiquer une porte, sans faire mine de vouloir entrer. « Vous êtes attendue, Jedi Jantis. » Il s’incline à nouveau, tourne les talons. Attendue, par qui ? Il ne m’a pas confirmé la présence de Maître Yoda à bord. Je n’ai pas osé demander.
J’ouvre la porte d’un geste ferme, résolue à en apprendre autant que nécessaire pour savoir à quoi m’en tenir. Je suis fatiguée, j’éprouve une immense tristesse, et le deuil m’accable d’une chape de plomb, mais je dois me reprendre en main.

La crainte est indigne des Jedi.