Ya un côté clairement étrange à revoir cette baraque.
Un petit côté nostalgique peut être ?
Ou de la colère ?

J'sais pas. Ça fait des années qu'on est plus dans le même monde après tout.
La vie lui a réussi à elle , et à sa famille au moins.
Enfin , ils ont toujours eu cette énorme maison , une rente confortable.

Est-ce que je déteste Keera pour autant ?
Non. Bien sûr que non.

Et, je m'en veux un peu , sachant que c'est à cause de moi qu'elle va bientôt vivre un sale moment. J'sais même plus quand est-ce que je me suis vraiment vanté de connaître la grande sœur de la fameuse Tam Hara , chanteuse à succès . Ça devait être un soir dans un bar , déjà quelques verres de trop dans le sang , que j'ai dû balancer ça. J'm'en rappelle à peine , franchement. Par contre , les gars l'ont pas oublié.

Les gars , c'est un peu devenu mes frères au fils des années. Des frères de galères. On a tous le même genre de problème. Et , on a décidé de le résoudre à notre manière .
Cela dit , je pensais pas qu'ils allaient me mettre devant le fait accompli : on kidnappe Keera Olsen , et tu vas nous y aider.
C'était la cible la plus "logique". Je pensais pas qu'on irait jusqu'à un si grand coup mais...j'suis pas en état de refuser. Je croule sous les emmerdes , et me mettre les gars à dos est la dernière chose à faire.

Le plan a toujours été de se faire de l'argent grâce à une personnalité publique , mais j'ai toujours été le plus refractaire. Passer 10 kilos de cocaïne à l'étranger me paraît moins dangereux que ce qu'on va faire mais...le "boss" a parlé. J'vais pas me dégonfler maintenant. C'est ma dernière chance d'enfin m'en sortir de toute façon .

Le boss c'est Raphaël. On a pas vraiment de chef , c'est pas comme si on était un gang organisé. Disons plus que quand on veut faire un coup, quel qu'il soit , c'est lui qui se charge des opérations. Et , il a dit que je devrais mener l'enlèvement , vu que j'suis celui qui connait le mieux la maison.
En attendant, j'ai pas mis les pied ici depuis 22 ans.

Bref. Comme j'ai dit , je ne veux ni décevoir , ni mettre plus en danger mes frères. Et , Raphaël est sans doute réellement le frère que je n'ai jamais eu. Il m'a sorti du trou plus d'une fois , et jamais je ne le laisserai tomber. Je sais qu'il en est de même pour lui.
(Je passerai sous silence le fait que Raph a une dent particulière contre Tam Hara , car lui même n'a jamais réussi à percer dans la chanson. C'était son rêve de gosse. Les démons de minuit tout ça...)

Bon. Tout ça pour dire qu'on se retrouve devant la maison à plus de minuit justement , et que selon ce qu'on sait , Keera est la dernière à rentrer ce soir. On l'a observé les derniers jours , et elle rentre souvent à cette heure ci.
Et , elle n'a pas changé ces habitudes : rentrer par la porte de derrière pour ne pas réveiller les possibles autres occupants de la maison.

Pour l'instant , on est pas complètement fous , donc on s'est cagoulés. Raph me fait signe que les jumeaux (Chris et Andrew) ainsi que Callum le plus jeune de la bande sont prêts. Je m'élance alors discrètement dans les jardins pour rejoindre l'arrière de l'habitation. On se cache dans l'obscurité , et je prie pour que Keera rentre par la porte de derrière ce soir. Dans le même temps, j'espère que non.

La blonde fait son apparition , et je retiens ma respiration. Andrew est juste à côté de la porte, alors que je suis accroupi de l'autre côté . Andrew se jette sur elle quand elle arrive devant la porte , plaquant une main contre sa bouche pour qu'elle ne hurle pas , tandis que je me précipite derrière.
Andrew retire brièvement sa main pour que je puisse poser le chiffon imbibé de chlorophorme sur sa bouche. Keera perd rapidement connaissance. Je ne reconnais pas les traits de son visages dans l'obscurité, mais la sensation de la tenir dans mes bras est étrangement familière. Un souvenir lointain , presque oublié , réminiscence de mon adolescence.
Callum projette sa lampe de poche sur le visage de notre victime :

"Pas en plein dans sa gueule , espèce d'abruti ! Tu veux que quelqu'un nous remarque ?" , siffle Raphaël.

Rapidement Chris vient m'aider à porter Keera jusque dans notre camionnette. Elle est noire pour se fondre dans la nuit, mais elle a surtout le logo d'une station de radio , histoire que ca n'étonne pas les voisins de la voir près de cette maison.
De toute manière , elle n'est pas garée sous un lampadaire donc...

Je baillonne Keera tandis que Chris ligote ses poignets et ses pieds. On referme le coffre de la camionnette , et je monte à l'avant aux côté de Raphaël qui conduit.
Callum , Andrew et Chris prennent place sur la banquette arrière et , on se tire le plus vite possible jusqu'à notre première planque : un entrepôt situé en pleine campagne , à environ 200 kilomètres de Londres.

La disparition de Keera ne sera pas encore rapportée aux autorités d'ici qu'on y arrive , et Andrew se chargera de brûler la camionnette au moins 100 kilomètres plus loin. On aura d'autres véhicule , d'autres planque si il faut bouger.

Et , dans un peu moins de 48 heures on pourra réclamer la rançon...

Il est tard, une fois encore. Beaucoup trop tard, même, j’ai envie de dire. Je passe rapidement mes mains sur mes yeux pour chasser la fatigue qui me rappelle que je dois rentrer, avant d’éteindre mon ordinateur portable qui trône au milieu d’un tas de contrats. Je pourrais travailler pénarde à partir de mon immense domicile mais…  le sentiment de mélanger le professionnel au personnel m’a très rapidement déplu. D’autant que la carrière de Tam déborde déjà dans mon intimité alors… si je peux éviter que la gestion de sa carrière ne déborde sur mes soirées en solitaire, devant un bon bouquin, je le fais à cœur joie.
Ma vie est palpitante, n’est-ce pas ?
Pas vraiment, non. Elle l’est en apparence, à cause du glamour et des paillettes que ma cadette projette sur moi, mais… dans l’enceinte de ces murs trop parfaits qui composent ma maison, se cachent des interminables heures d’ennuies profondes, ouvrant la porte à tout ses souvenirs que je n’ai jamais pu réellement effacer. Des années d’adolescences, bercées par des musiques d’un tout autre style que chante la starlette de la famille, en compagnie d’un seul véritable ami : Killian. Mon premier amour. Et accessoirement le père de ma fille, Emma.
Je jette un regard en direction de sa photo, quand son visage vient remplacer celui du garçon de seize ans que j’aimais tant.

« _ Je me suis toujours demandée si tu lui ressemblais plus que tu ne me ressemble. »

Je souffle à la photo, après que je me suis saisie du cadre entre les mains. « Tu sais qu’avec les réseaux sociaux on peut trouver n’importe qui facilement, de nos jours. » M’a-t-elle déjà soufflée, avec une évidence désinvolte, quand elle m’a surprise dans mes pensées.

« _ Je sais, oui. Mais il est des réponses à des questions qu’il est plus prudent de ne jamais obtenir. »

J’ai peur de ce que je pourrais trouver sur Killian, en fait. Je n’ai donc jamais tapé son nom sur la barre de recherche de Facebook, malgré les innombrables tentations que j’ai pu rencontrer par le passé. Et si cette fenêtre entrouverte sur sa vie d’homme amplifiait mes regrets ? Et si cette superficielle intrusion dans son existence, accentuait ma solitude ? C’était trop risqué d’en obtenir les réponses. Et ça l’est toujours en cet instant, où je me lève de ma chaise, me saisie de ma veste, pour rejoindre mon véhicule dans le parking souterrain.

« _ Bonne nuit Madame Oslen.
_ Bonne nuit George. »

Je salue en passant, courtoisement, le gardien dudit parking. C’est rassurant de se savoir en sécurité. Surtout depuis que je suis devenue une « personnalité publique ». Je le gratifie donc toujours de ma bienveillance, là où d’autres ne le considère pas davantage qu’un élément de décoration.
Allez dont vous faire agresser, tiens. Vous serez bien heureux qu’il vienne à votre secours.
La clef dans le contact, je prends la direction de mon domicile, à une quinzaine de minutes du centre ville de Londres.

< Coucou mamounette. Toujours au travail ? >

Me lit le tableau de bord de ma voiture, connecté à mon téléphone. Je lui indique vocalement de lui répondre que je suis en chemin pour la maison, avant qu’il ne me lise sa réponse.

< D’acc. Bonne nuit ! <3 xoxo >

« _ Bonne nuit ma princesse. »

La conversation a peut-être été courte, mais elle a eu le mérite de remplir mon petit cœur de joie.
Ah. Ce qu’elle me manque.
Je regrette ce temps où elle vivait encore à la maison, avec moi. On discutait pendant des heures dans la cuisine, en confectionnant des pâtisseries. Ce que cette époque me rend nostalgique. Pourquoi faut-il que les enfants grandissent un jour ? Je tente de répondre à cette question, tandis que je stationne déjà ma voiture dans l’allée jouxtant mon habitation. Ensuite, je récupère mes effets personnels dans celui-ci, afin de contourner la maison. J’ai pris l’habitude de rentrer par la cuisine. Peut-être parce que j’aime toujours grignoter un petit truc avant de me caler devant netflix. Ce que j’ai bien l’intention de faire, lorsqu’un type se jette sur moi, me plaquant la main sur la bouche pour que je n’alerte pas le voisinage. Qui c’est ce type ? Qu’est-ce qu’il me veut ? J’imagine de l’argent mais… pourquoi a-t-il un complice ? C’est quoi, ça ? Du chloroforme ?! Je tente de me soustraire au chiffon qui en est imbibé mais… c’est le noir complet qui m’emmène aussitôt, très loin.


J’émerge de l’inconscience, je ne sais combien de temps suivant mon agression. Et la première chose que je remarque : c’est que je ne suis clairement pas chez moi. L’endroit est beaucoup trop sombre pour que cela soit mon sous-sol, bien éclairé ; et un rapide coup d’œil sur le sol m’informe que je suis dans une sorte d’usine désaffectée.
Et merde. C’est bien ma veine.
Je suis victime d’un enlèvement. Bon, la première chose à faire est de ne surtout pas paniquer. Ces types veulent de l’argent, c’est évident. Ils ont donc visés la famille qui leur semblait la plus à même de verser une énorme somme en très peu de temps, et comme Tam aurait été bien trop médiatisé, ils ont pris celle qui est constamment dans son ombre : son agent. Est-ce qu’ils savent que nous sommes sœurs ? J’ai une grande difficulté à me rappeler si cette information a été partagée avec les médias.
Sûrement, oui.
Pourquoi aurions-nous tu ce détail ?
Bon. Je pense qu’il est temps que je leur montre que je suis réveillée. Je redresse ma tête, lentement, le cou endolori d’avoir porté le poids de celle-ci, avant de chercher une âme qui vive dans cette obscurité.
Ils sont toujours deux, apparemment. Je ne distingue pas très bien. Peut-être eux-mêmes de la même famille ?
Avec un bâillon, délicat de communiquer. Il y en a bien un qui va avoir l’idée de me l’enlever, non ?

Une fois arrivés à l'entrepôt , on a installé Keera sur une chaise , avant de la ligoté à cette même chaise :

"Serre pas ses liens trop forts." , je fais remarquer à Callum , ce qui n'est pas trop du goût de Raph.

"Il les serre comme nécessaire. Pas le moment de faire ta guimauve Killian." , il réplique froidement , plantant son regard dans le mien. Regard encore vif , malgré la cagoule.

J'hausse les épaules. Ok. Qu'ils fassent comme ils veulent. En attendant , même si Keera parvenait à se libérer les mains , que pourrait-elle faire contre 4 hommes physiquement plus forts qu'elle ?
Pas grand chose , et ça paraît logique.
Enfin , peu importe.

Je l'observe un long moment , alors que Chris et Raph préparent le téléphone dont on se servira pour filmer plus tard. À la faible lumière de la pièce , je distingue mieux ses traits. Elle a changé , vieillie tout simplement, mais elle reste...Elle ressemble toujours à l'adolescente que j'ai connu, d'une certaine manière. Même si ce n'est que physiquement.

Merde. C'est beaucoup plus dur que ce que je pensais. Heureusement que j'ai ma tête cachée . Je voudrais pas voir son regard , si elle me reconnaîtrait. Quoique , peut être qu'elle m'a suffisamment oublié pour ne pas faire le lien entre nos deux visages....

Andrew est parti brûler la camionnette plus loin , ainsi que chercher notre prochain véhicule , un brin plus discret.
Callum et Chris restent dans la partie plus sombre de la pièce , alors que Keera commence à bouger. J'avale difficilement ma salive , tandis que Raph se rapproche d'elle. Je le suis doucement , tandis qu'il me fait signe de lui retirer son bâillon. Je m'exécute vivement , mais sans gestes brusques. J'évite par ailleurs de croiser son regard , mais il y a un moment où je ne peux l'empêcher alors que je me recule pour jeter le bâillon dans un coin.

"C'est pas parce qu'on ta retiré le truc que ca te donne le droit de hurler ou j'sais pas quoi. Pigé ?" , Raph et la délicatesse dans toute sa splendeur...

"Tu veux boire ?" , je demande à Keera , une bouteille d'eau à la main.

Raph ne veut pas que je sois trop "guimauve" , mais on s'est entendu pour que certains dans le groupe soient plus "gentils" que d'autre. Comme l'histoire du bon et du méchant flics. C'est censé amadouer la cible , mais je ne sais pas si ça marche vraiment. On verra bien.
On se place à côté de la femme , et Raph me tend une feuille :

"On a marqué ce que on veut que tu dises pour ta charmante sœur . Mon ami va te tenir la feuille , et fais nous le plaisir de pas dire trop de conneries. J'suis pas d'humeur à recommencer cette fouttu vidéo un tas de fois." , mon boss lui explique froidement.

Concrètement , on a pas fait un texte de fou. C'est cliché. Ils m'ont enlevé , donner tant et tant blabla...Le classique quoi.
Raphaël s'éloigne de nous , et pointe le téléphone vers Keera. Je tiens le papier devant ses yeux , mais de manière à ce que son visage ne soit pas complètement caché. On doit pouvoir la reconnaître facilement sur la vidéo :

"Dis moi tout de suite si tu n'arrives pas à lire."

Cette situation est définitivement sur-réaliste. Et , je dois me contenir pour que ma main tenant la feuille ne tremble pas.
Elle ne doit rien remarquer de ma gêne , et ca ne doit pas se voir sur la vidéo non plus.

Les hommes s’approchent. Mon cœur réagit vivement à cette constatation, d’appréhension.
J’ai beau donner le sentiment de gérer la situation comme si j’en étais coutumière, je n’en mène pas large pour autant. J’ai peur des intentions qu’ont mes ravisseurs à mon encontre, et je me mords l’intérieur de la joue, afin de ne pas reculer vivement mon visage, particulièrement lorsque le bâillon m’est retiré.  
Pas de hurlements ni de gestes irréfléchis de ma part, m’indique celui de gauche.
Cela a le mérite d’être clair, je crois.
Je reste donc silencieuse pour leur faire entendre que j’ai bien compris leurs attentes, avant de jeter un regard en direction du second qui me tend une bouteille d’eau.
Est-ce bien prudent d’ingérer un liquide offert par un homme cagoulé ? Hm… Je ne crois pas, non.
Je décline donc sa proposition, d’un hochement négatif de la tête, bien que j’aie la bouche pâteuse d’émotion.
Ils n’auraient aucun intérêt à me descendre avant qu’ils n’aient obtenu ma rançon, n’est-ce pas ?
Je change immédiatement d’opinion sur la question, retenant l’homme de ces mots.

« _ Je veux bien boire une gorgée, finalement. »

Je lui souffle instantanément, sans animosité, espérant ne pas subir les conséquences de mon indécision.
Le premier m’indique ensuite ce que je dois faire : lire à haute voix le contenu d’une feuille qu’il tend à son… collègue (?), avec la consigne de ne surtout pas dire de conneries pour ne pas recommencer la prise plusieurs fois.
Je veux bien, oui. Je n’ai pas spécifiquement l’envie de subir les foudres du plus agressif des deux. Toutefois, j’espère que le texte est lisible autant qu’exempt de fautes de grammaire car, le cas échéant, les hésitations ne seront pas de ma volonté. Je tiens à le préciser. Une remarque que je m’abstiens de partager, néanmoins, tandis que le… gentil (appelons-le ainsi, tiens) met le papier bien en évidence devant mon visage, pendant que le méchant me cadre de son téléphone portable.

« _ Un peu plus près, s’il vous plaît. »

Je réponds à la suite, jetant un regard à ses prunelles qu’il semble vouloir cacher.
Il garde une telle distance de sécurité entre nous, que je croirais presque qu’il a peur de moi.
Est-ce qu’il tremble ?
Si tu avais peur de faire un tel coup, il ne fallait pas répondre présent à ton copain tu sais.
Est-ce qu’il a seulement eu le choix ?
Qu’importe les circonstances de sa participation. Il terminera en prison comme son complice, et ils ne verront jamais la couleur des… 5 millions ?!
Eh bien, ils ne se mouchent pas avec le dos de la cuillère ces deux-là.
Je lis le plus clairement possible le texte qui est inscrit sur la feuille de papier, prenant le plus de temps possible pour espérer qu’un bruit alentour soit capté par le micro, avant d’assurer à ma sœur que je vais bien. Elle ne doit impérativement pas paniquer quant à ma situation. Elle serait capable d’elle-même se rendre au point de rendez-vous de l’échange, par crainte de ne jamais me revoir vivante, et nous serions dans une situation encore plus périlleuse qu’elle ne l’est déjà.
Je reste donc calme, durant tout le long de mon discours, avant que le ravisseur ne cesse d’enregistrer.
Et maintenant ? Quel est programme ? On se contente d’attendre que ma famille réagisse ? Si c’est le cas : ils vont être déçus. Ils vont alerter la police, et ce sans tenir compte de leurs indications.
Jamais ils ne consentiront à leur donner bêtement cette somme. Ils ont consciences, tout comme moi, que ce serait la porte ouverte à d’autres malfrats souhaitant faire fortune facilement.
Ils vont donc finir arrêter, et j’ose espérer que je m’en sortirai blessée dans le meilleur des cas.

Elle refuse d'abord de boire , et je hausse les épaules en réponse. Avoir l'air détaché même en jouant le rôle du gentil , c'est pas un mal. C'est son problème après si elle veut rester comme ça, à rien ingérer de notre part.
Je ne sais pas combien de temps on va la garder avant d'avoir la rançon , mais ça peut bien durer plusieurs jours.

Combien de temps peut tenir un humain sans boire ?
3 jours il me semble. On a de la marge.

Ah. Elle change d'avis facilement. Je ne me souviens plus si c'était une habitude chez elle. En tout cas , je n'ajoute rien. J'acquiesce simplement avant de venir porter la bouteille à ses lèvres, jusqu'à ce qu'elle me dise qu'elle en a assez.
Je range ensuite la bouteille sur le côté , tandis que Raph lui explique ce qu'on attend d'elle. Rien de bien compliqué d'ailleurs , juste de lire le texte cliché qu'on a écrit sur cette fouttue feuille que je lui présente.

Je rapproche légèrement la feuille quand Keera me le demande. C'est tellement étrange d'entendre à nouveau le son de sa voix , après si longtemps. Tellement bizarre de se dire qu'on se "parle" après quoi ? 20 ans ? 22 , je crois. C'est si long. Presque une vie , dans un sens.

J'en tremble presque. C'est pas que j'ai peur. La situation me stresserait en temps normal bien sûr, mais là c'est encore pire. Et , j'ai tellement besoin de cette thune que je ne peux pas laisser passer ma chance , ni montrer ce que je ressens.

Au moins Keera ne fait pas l'imbécile. Elle lit le texte correctement , sans faire de vagues , et comme Raph le voulait , je finis par brûler la feuille avec un briquet. Je ne fume pas , j'ai jamais supporté l'odeur. Mais , j'en ai souvent un sur moi à cause des gars.

"Parfait. La vidéo est bonne." , Callum et Chris restent dans leur coin mais ils sont un peu plus visible désormais. Raph se tourne vers Andrew quand celui ci passe la porte d'entrée.

"On a notre nouvelle caisse." dit simplement Andrew avant de rejoindre son jumeau. Ils partent tous deux dans une autre pièce pour avoir un peu de calme j'imagine. La situation est angoissante pour tout le monde.

"On va envoyer la vidéo mais de plus loin. Toi , viens avec moi." , le boss désigne Callum. Il nous parle jamais comme ça d'habitude , mais mieux vaut éviter d'utiliser nos vrais prénoms en ce moment. Il me désigne notre otage d'un geste de la main , et j'acquiesce.

Raphaël et Callum sortent donc de la planque. Ils vont sûrement prendre le nouveau véhicule afin de pouvoir envoyer la vidéo d'un peu plus loin. Comme ça , si les flics triangulent le signal , ils ne trouveront pas notre position. Car , si ils remarquent que la vidéo a été envoyé en pleine campagne , ils vont débarquer dans la minute. En pleine ville , ça ne leur apprendra rien.

En tout cas , j'imagine que je devrais me sentir flatté que Raph me fait suffisamment confiance pour que je surveille Keera.
Ils savent que je leur suis plus loyale quenvers une ancienne...envers mon ex ? Je sais pas si on peut vraiment dire qu'on était ensemble. C'était...compliqué.

Je prend une chaise pour m'asseoir en face de Keera à distance respectable. Je garde ma cagoule évidement , je ne prends pas de risques.

"Tu dis rien ?" , je lance au bout d'un moment. "Ta peur ? Je te ferai rien. Sauf si t'essaie de te tirer."

Mon indécision ne provoque pas la colère de mes ravisseurs. Gentil me tend aussitôt le goulot afin que je puisse me désaltérer, et je bois l’eau qui m’est offerte jusqu’à ce que ma soif semble être totalement étanchée.
J’ignore si elle le demeurera longtemps mais… je sens que pour le moment, cela suffira amplement.
Ensuite, je lis le texte que mes ravisseurs ont écrit pour moi, face caméra, en ne tentant rien de stupide qui pourrait m’attirer leur foudre. C’est une demande de rançon tirée de tous les films américains que l’on peut voir au cinéma. Et qui demande – tout de même – la coquette somme de 5 millions de dollars à ma famille.
Pourquoi ont-ils besoin de tant d’argent ?
Est-ce pour des complices que je n’ai pas encore été amenée à rencontrer ?
Ce sont là les questions que je me pose, quand je commence à voir de nouvelles personnes cagoulés autour de moi.
Deux qui attendaient dans l’ombre, apparemment ; et un troisième qui informe méchant d’une nouvelle caisse.
Allons-nous bouger ?
Je ne crois pas, non. Cela doit être le véhicule qu’ils utiliseront lorsque la rançon leur sera versée.
Est-ce que Tam va conserver son calme comme je lui ai expressément sous-entendu de le faire ?
J’ose l’espérer, oui. Nous n’avons pas besoin qu’elle mette son existence en danger, juste pour sauver la mienne.
Je songe d’ailleurs rapidement aux conséquences qui en découleraient, quand je remarque que méchant s’absente pour poster la vidéo avec un de ces complices.
Il veut brouiller les pistes, j’imagine.
Je suis du regard les instructions qu’il fournit à gentil, avant de constater qu’il prend place devant moi, silencieusement.
D’accord. Il est le chien de garde, apparemment. Et c’est très gênant d’être dévisagée tel qu’il le fait.
Est-ce qu’il croit vraiment que je peux tenter quelque chose, dans la position dans laquelle je me trouve ?
Je m’interroge moi-même sur la question, quand je constate que mes liens sont bien trop serrés pour me permettre quoique se soit.
Je suis donc immanquablement sans danger pour lui (comme si j’aurai eu une chance de le blesser, le cas échéant), et je détourne le regard à maintes reprises, pour l’éviter dans mon champ de vision, lorsqu’il me pose une question très étonnante.
Pourquoi voudrait-il que je parle ?
Nous ne sommes pas à pied d’égalité, que je sache.
Que voudrait-il que je lui dise, d’ailleurs ? Que le temps n’est pas trop mauvais pour la saison ? Que je comprends que la vie doit être pénible dans sa situation de précarité ? Ce serait aussi stupide que de devenir victime d’un syndrome de Stockholm. J’hoche donc négativement de la tête, lorsqu’il me demande si j’ai peur.
Bien-sûr que j’ai peur.
Je ne sais pas le sort qu’ils me réservent. Je n’en montre rien parce qu’il est inutile que je cède à la panique mais… mais je suis terrifiée comme n’importe quelle personne le serait dans ma situation.

« _ Comment croyez-vous que je puisse me sentir, dans ma position ? Je l’interroge malgré tout, de manière rhétorique, la voix toujours posée. _ Croyez-vous que cette situation me plaît ? Que je me sente en sécurité parce que vous m’affirmez que vous ne me ferez aucun mal ? Je n’ai pas confiance en vous. Je sais que lorsque vous aurez l’argent, vous ne ressentirez plus la nécessité de me garder vivante où de me rendre à ma famille. Je n’ai donc pas envie de discuter avec l’un des hommes qui m’enterrera peut-être dans la prairie voisine. »

Il n’y a pas d’usine désaffectée au cœur de Londres. C’est une ville très prisée, où rien ne demeure longtemps abandonné. Je déduis donc assez aisément que nous sommes dans un village voisin, où le nombre d’habitants doit être ridiculement infirme.
Ici, il ne sera pas difficile de planquer mon cadavre, si cadavre il y a.

Visiblement , croiser mon regard ne lui plaît pas plus qu'à moi. Encore qu'elle ne sait pas qui je suis , et ne porte pas ce poids de la culpabilité. Franchement , je participe à l'enlèvement d'une amie d'enfance , uniquement pour me refaire du blé.

Je suis un parfait blaireau.

Un beau crétin.

Parfois , ça me serre la gorge de prendre conscience que je suis tombé si bas. Parfois. De me dire que j'ai bien changé en un peu plus de 20 ans , et qu'il n'y a plus aucun retour possible.
Plus maintenant , ni jamais.

Je ne suis pas du genre à me plaindre. J'ai toujours assumé mes choix , et je continuerais de le faire , jusqu'à ce que je repose 6 pieds sous terre. Ça ne sert à rien de repousser la faute sur les autres.

Je sais que si je l'avais vraiment voulu , j'aurai pu m'en sortir autrement , qu'en laissant tomber les études tel que je l'ai fais. En vagabondant de conneries en conneries...oui , j'aurai pu l'éviter.

L'enlèvement de Keera est définitivement mon point de non-retour. Je comprends sa réaction plutôt négative , c'est logique. Je ne sais pas ce qu'elle ressent , mais je peux l'imaginer.

Elle fait peut être sa dure , mais il est clair qu'elle est effrayée. Une part de moi ne veut pas qu'elle le soit , mais je ne peux pas me montrer trop gentil , trop doux , au risque de tout faire foirer. Je ne voudrai pas qu'elle puisse entrevoir l'espoir de s'échapper.

"Je ne crois pas que tu te sentes en sécurité , non." , je réponds finalement , ne prenant pas la peine de la vouvoyer. "Ni que tu aimes la situation. À moins d'être masochiste."

Je dois avouer que ce qu'elle dit ensuite me perturbe un peu. Raphaël m'a assuré qu'on ne la tuerait pas. Que ce n'était pas dans nos valeurs , ni des siennes , ni des autres.
Et , je le crois toujours. Il a beau être ce qu'il est , il n'irait pas jusqu'à tuer une femme de sang froid , non ?
Ce n'est pas le gars que je connais. Je refuse d'entendre que c'est possible.

"On ne va pas te tuer." , je réplique sûr de moi.

"On est pas ce genre de personnes , et de toute façon ça nous avancera à rien. Alors , fais pas ta victime. Ça pourrait clairement être pire que ce que t'es en train de vivre."

Je veux dire , on ne la frappe pas , on ne lui fait pas des trucs atroces. On la garde enfermé , mais pour le moment , ça en reste là.

Gentil me tutoie. Et Gentil me prend pour une conne, surtout. Car il souligne qu’il ne croit pas que je me sente en sécurité en sa compagnie (encore heureux), avant de préciser qu’il a bien conscience que je n’aime pas la situation. En effet. Alors pourquoi s’assurer de lui-même que j’ai peur dans ce cas ? Pour obtenir la satisfaction de s’entendre dire qu’il est effrayant ? Si c’est le cas : c’est complètement con. Autant que sa démarche de me faire la conversation, pour mieux minimiser ma situation. Certes, je pourrais être dans une position bien plus délicate que celle que je traverse actuellement. Or, je ne trouve pas ma situation plus enviable parce qu’il me laisse tranquillement sur ma petite chaise, sans me faire subir mille et un sévices physiques.
Peut-être est-ce prévu au programme, d’ailleurs ? Si ma famille ne daigne pas verser la rançon, ou qu’elle fait appelle à la police. C’est du moins inévitablement ce qui les attend. Ma famille ne cèdera jamais au chantage dont nous sommes la victime, y compris pour m’épargner la vie.
Je reconnais que, dit ainsi, cela peut paraître infiniment cruelle comme démarche mais… cette réaction est la plus intelligente à adopter en ces circonstances. Si nous ne souhaitons pas être la cible préférée de ce genre de petite organisation malhonnête, nous devons leur faire entendre immédiatement que nous n’agirons pas tel qu’il le désire.
Je ne veux pas que ma fille soit la potentielle prochaine victime d’une autre petite virée de ce genre.
Je ne veux pas non plus faire « amie/ami » avec ce type, si c’est là sa stratégie pour que je débloque moi-même le montant de ma propre rançon.
Ils n’auront pas un rond. Lui, autant que ces petits camarades. Et c’est en cela que je sais que je ne survivrai sûrement pas à cet enlèvement. Parce qu’ils n’apprécieront pas de ne pas avoir touchés ce qu’ils pensent être leur jackpot.

« _ Je n’ai pas confiance en vous. Je reprends, de manière totalement détachée. _ Je ne prendrai donc pas pour argent comptant ce que vous m’affirmez. »

Je ne suis pas une femme débile. Je peux être inconsciente, comme bon nombre d’êtres humains sur cette terre, mais je ne le suis pas au point de vouer une confiance aveugle à un homme qui ne semble pas lui-même à l’aise dans cette situation.

« _ Quelle titre devrais-je me donner, dans ce cas, si je ne suis pas une victime ? Je l’interroge à la suite, souhaitant connaître son opinion sur la question. _ Je suis bien ligotée à cette chaise, non ? Je doute donc que l’on puisse me qualifier de « complice » ou encore « d’invité ». Où vous avez une étrange façon de recevoir des personnes étrangères à votre groupe. »

La fin est ironique, oui. S’il peut me prendre pour une idiote, pourquoi ne pourrais-je pas lui faire également cet honneur ?

Je n'arrive plus vraiment à me souvenir si Keera était aussi directe dans ses propos lorsque nous étions adolescent. Parfois , je me demande si mon cerveau n'a pas supprimé la plupart de mes souvenirs , ne les a pas embrouillés pour réduire la sensation de culpabilité que je ressens en ce moment précis.

Merde de merde.

J'comprends toujours pas ce que je fous là , pourquoi j'ai écouté Raph , pourquoi je suis le groupe dans toutes ces conneries. C'est pas mon genre d'aller aussi loin. Je veux dire , des conneries j'en ai fais et j'en ferais encore si on sort de ce merdier , mais aller jusqu'à kidnapper quelqu'un...

Pas quelqu'un.
Mon amie d'enfance , bordel.
Mon premier amour.

Là, juste sous mes yeux , et elle ne me reconnaît pas. Elle se méfie de moi , et Keera a bien raison de le faire. Même si elle savait qui j'étais , elle ne pourrait se douter d'à quel point , je ne suis plus le gentil , doux , et intello petit Killian Bellamy qu'elle a connu.

"Comme tu veux. C'est vrai qu'on dit qu'il ne faut pas avaler tout ce que les autre nous racontent. J'ai aucune garantie à te donner. Alors , penses à ta mort imminente si ça t'éclate." , je réplique un peu sèchement , en croisant les jambes sur mon tabouret qui se trouve non loin de sa position.

Ma cagoule me démange , et je me fais violence pour ne pas la retirer. Hors du fait qu'elle me reconnaise , ça niquerait mon avenir pour de bon , s'il ne l'est pas déjà.

Je crois qu'elle m'exaspère encore.
Pas une victime. Ouais. Nan , sans blague.
Je soupire lourdement , agacé par la tournure de la conversation. Je tourne en rond , je ne sais pas quoi lui dire , parce que je me sens con , et que cette histoire n'a juste aucun putain de sens , aucune logique.
Nada.

"On aurait pu te frapper ou pire. Te torturer pour la vidéo. S'en prendre à ta famille. Tu veux que je continue ?" , je répond enfin d'une voix sèche , cassante.

"Ouais t'es pas une invitée. T'es juste une riche qui se croit plus haut que tout le monde parce que t'es pété de thune à cause de ta famille. Que ta eu la chance d'avoir un boulot bien payé , une famille comme il faut...T'avais tout , et tu retrouveras ta vie de planquée si tu fais pas la conne , parce que j'ai aucune intention de te tuer et mon groupe non plus. Mais non , t'es pas une putain de victime. Bien au contraire. Tout le monde nest pas né avec une cuillère en argent dans la bouche."

Flopée de paroles à la limite de la colère , de la haine , qui sont sortis sans que je ne m'en rende vraiment compte , m'étant rapproché de quelques centimètres , dangereusement , de la jeune femme , qui me rappelle bien trop le passé qu'on m'a volé , celui que j'ai perdu.