Harper n’a pas changé, ou presque. Sa jalousie demeure encore bel et bien présente. Même si cela m’agace parfois, j’aurais un peu de difficulté à m’en passer. D’une certaine manière cela prouve qu’elle tient encore à moi. Alors lorsque je constate son soupir de soulagement en apprenant que j’allais changer de logement, je ne peux pas refreiner ce petit sourire complice. J’aurais aimé la prendre dans mes bras et l’embrasser mais malheureusement ce réflexe semble encore impossible. C’est trop tôt pour le moment.
Pendant que je réponds au courrier électronique de mon supérieur, Harper fini de préparer le repas et dresse notre table. Quelques minutes plus tard, l’expression de mon visage trahit toute la fatigue et le poids que représente mon travail. J’adore mon métier… Mais pas dans ces conditions. Harper demeure si compréhensive face à mon abruti de supérieur que ses paroles suffisent à panser mon énervement. Je n’ai nullement besoin de lui expliquer

- « Certaine ? Je ne vais pas te laisser débarrasser et faire la vaisselle toute seule ? J’ai envie de passer du temps avec toi. On ne se voit plus la semaine, alors si en plus le weekend je dois m’enfermer dans mon bureau… » Pourquoi est-ce que j’essaye de la convaincre ? Je ne suis pas convaincu moi-même. Et puis l’idée d’aller se balader et pique-niquer au bord de mer n’est pas si mal. « Bon… C’est bien parce que c’est toi. Je finis ce rapport le plus rapidement possible et on y va. »

Nos promenades au bord de l’océan ont toujours eu une saveur particulière. C’est là que je l’ai demandé en mariage. C’est là qu’elle a accepté de devenir Madame Brown. Son « oui » résonne encore dans ma mémoire. Je me souviens de ce jour comme si c’était hier. Qu’est-ce que nous étions heureux… Soudain Harper m’extirpe de mes souvenirs. Mes sourcils se froncent alors que ma main se porte à mon cœur. Je n’ai jamais aimé entendre son « j’aimerais qu’on parle » généralement cela n’annonçais rien de bon. Que va-t-elle m’annoncer ? De toute manière rien ne peut-être pire que notre situation actuelle. Quoi que… Si. Si Harper m’annonçait que ce nouveau corps était atteint d’un cancer en phase terminale. J’attends avec impatience la sentence. Un soupir de soulagement me gagne en l’entendant parler d’argent. Ouf. Il ne s’agit que de cela.

- « L’état de nos finances… » Répétais-je à sa suite. Je n’ai pas envie de lui dévoiler la somme folle que nous a écouté son réenveloppement sinon elle tomberait dans les pommes. Mais sa vie n’a aucun prix à mes yeux. Si c’était à recommencer, je ne changerai rien. Je ne m’imagine pas vivre sans elle. « Je pense que je ne pourrai pas quitter mon travail dans trois mois. Je sais que c’est un connard mais il ne vaut mieux pas. » Je n’ose même pas lui avouer que je vais sans doute dormir dans ma voiture cette semaine. Je n’ai pas envie de dépenser de l’argent dans un hôtel. Notre anniversaire de mariage compte davantage à mes yeux. J’ai d’ores et déjà ma petite idée de cadeau. Mais bien sûr, cela a un prix… « On va s’en sortir. Je le sais… » J’essaye tant bien que mal de la rassurer mais en vain. Harper me connait par cœur.

Subitement le minuteur du four retentit. Si nous ne voulons pas manger son succulent plat de lasagne brulé, il est temps de le sortir du four. Sans perdre de temps je file dans la cuisine afin d’éviter toute discussion litigieuse. Même si avec Harper nous n’avons pas de tabou, l’état de nos finances demeurent assez désastreux. Nous pouvons nous permettre que je change de travail mais il faut que j’en retrouve un rapidement sinon notre banquier risque d’hurler. Une fois attablé l’un en face de l’autre, je laisse mon épouse nous servir.

« Un jour il va falloir que tu me dises quel est ton secret pour réussir tout tes plats, mon amour. Je vais finir obèse bientôt ! »

Sans que je ne m’en rende compte, ma main se posa comme à son habitude contre la chute de ses reins alors qu’elle découpait nos parts respectives.

Je secouais la tête alors qu'il me parlait de m'aider pour la vaisselle. C'était hors de question. Je voulais profiter un minimum de ce week end avec lui. Alors je pouvais bien faire un peu la vaisselle pour qu'il puisse avancer son rapport. Plus tôt il aurait fini et mieux ce serait pour nous deux. On pourrait commencer à être ensemble et essayer de se retrouver un petit peu.

- Toi tu te débarrasses de ce fichu rapport et moi je m'occupe de la maison. Puis la vaisselle ça ira vite. Je te rappelle qu'on a un lave vaisselle.

Je lui fis un petit sourire avant de venir nous servir tous les deux des lasagnes. J'appréciais sa main qui s'égarait dans le creux de mon dos. C'était des petits gestes de ce genre que je commençais à croire que je n'aurais plus jamais. Se rendait il compte qu'il avait fait bondir mon coeur dans ma poitrine avec ce simple petit geste? C'était beaucoup trop, beaucoup plus fort que lorsque nous commencions à sortir ensemble et que chaque geste me faisait naitre des frissons de plaisir. C'était plus fort, parce que c'était mon mari que je retrouvais doucement par ces gestes alors que j'avais cru le perdre définitivement.

Je secouais la tête en souriant alors qu'il me complimentait sur ma cuisine.

- Si je te donnais mon secret, rien ne t'empêcherait de cuisiner toi même. Et je compte bien garder le pouvoir que j'ai sur toi et ton estomac. Alors non je ne dirais rien. Un magicien ne révèle jamais ses secrets.

Je lui fis un petit sourire malicieux avant d'attaquer mon plat, savourant ce petit moment à deux. Je n'oubliais pas qu'il avait évité soigneusement le sujet de l'argent. Ca par contre ça ne passait pas. Je voulais savoir. C'était mon argent aussi. On était deux à faire tourner ce ménage alors il était hors de question que je reste de l'ignorance de ce problème là.

- Je veux la vérité Thomas. Combien ça a couté? Il reste combien sur le compte épargne? Est ce qu'il est vide et notre compte courant à sec aussi? Je dois savoir. Comment est ce qu'on peut s'organiser et avancer si tu me caches des choses? Comment je peux savoir combien je dois épargner si je ne sais pas combien il nous reste?

Parce que je comptais bien mettre autant d'argent de côté que possible. Je travaillerais autant qu'il le faudrait mais je ferais tout pour avoir de quoi me payer un nouveau corps. Peu importe l'apparence qu'aurait celui ci, je voulais juste un corps féminin, un qu'il pourrait toucher sans être dégouté. Mais pour ça j'avais besoin de connaitre les prix et de savoir combien il nous restait.

- De toute façon si tu ne me le dis pas. J'irais me renseigner moi même. Alors dis moi la vérité.

C’est étrange mais j’ai l’impression de redécouvrir mon épouse. Petit à petit, et sans que je ne le contrôle, certains de nos gestes tendres reprennent leurs droits. Son petite sourire au bout de lèvres se mêle à ses yeux pétillants d’amour. A ses yeux, presque rien, n’a changé. C’est beau. Harper demeure bien plus forte que ce que certaines personnes ont tenté de me faire croire. Une fois ma part de lasagne servi, mes papilles gustatives se régalent de son met. Les qualités culinaires d’Harper ne sont plus à démontrer. J’ai la chance d’être marié à un véritable petit cordon bleu. Combien de fois m’a-t-elle sauvé la vie lors d’un dîner d’affaire ? Sa taquinerie m’amuse alors que j’arque un sourcil l’air interrogatif.

- « C’est déloyal. En plus tu sais pertinemment que je ne peux pas résister à tes bons petits plats ! » Glissais-je en nous servant un verre de vin. « Je découvrirai bien ton secret ! Même si je dois te chatouiller toute la journée ! »

Son plat demeure succulent. Je vis un véritable orgasme gastronomique. Soudain Harper revient sur l’état de nos comptes en banque. Je sens bien dans son regard que je ne vais pas réussir à y échapper. J’avale une nouvelle fourchettée avant de m’essuyer poliment la bouche.

- « Avant toutes choses, je veux que tu saches que je ne regrette rien. Si c’était à recommencer, je ne changerai rien. Pas une virgule. » Ma main se pose tendrement contre la sienne afin de la rassurer. Je n’ai pas envie qu’Harper culpabilise en apprenant la folle somme que nous a coûté son réenveloppement. « Notre compte épargne n’est pas totalement vide. Il y a juste eu une opération financière de… Cinq cent mille dollars. »  J’attends sa réaction avec appréhension. « Je suis désolé… Ils m’ont proposé un corps plus similaire au tiens mais c’était hors de prix, environ le double. » Lui avouais-je en terminant mon assiette. « On peut tenir encore quatre ou cinq mois. Mais pas plus… » Mes sourcils se froncèrent en l’entendant dire qu’elle voulait épargner. « Pourquoi veux-tu épargner ? Tu veux changer de corps Harper ? » Sans réfléchir je délaissais ma fourchette pour mon épouse. Ma quintuplée continuait de s’éprendre de la sienne alors que le revers de mon pouce caressait le dos de sa main. « Écoute… Je suis heureux de t’avoir retrouvé. Si tu savais comme j’ai eu peur ce soir-là… Ils m’ont proposé plusieurs prix, mais au fond… Je m’en fichais. C’est toi que je voulais retrouver. Le reste… Je sais que nous trouverons une solution. Je veux que tu sois heureuse. »

Gourmand que j’étais, je me resservais de nouveau une assiette. La cuisine d’Harper… L’un de mes talons d’Achille. Une fois le repas fini, je me levais afin de débarrasser. Hors de question que je la laisse toute seule. A contre-cœur je fini par la laisser tout gérer. Son regard en dit long. En plus maintenant elle me domine de quelques centimètres.

- « Je n’en n’ai pas pour longtemps. » Lui soufflais-je en nous préparant un café. C’est terrible mais cette habitude professionnelle continue de me poursuivre, même à la maison. Une fois dans mon bureau, je souffle. Ce travail m’épuise… Ce patron m’angoisse. Harper a raison. Cette situation ne peut pas durer. Mais pour le moment je suis encore apte à tenir.

Une heure et demie plus tard je quitte enfin mon antre. Je retrouve mon épouse dans notre chambre. Si son objectif c’est de faire craquer toutes les femmes de la plage, c’est réussi. Cette nouvelle petite chemise, lui va comme un gant.

- « Elle te va bien cette chemise ! » Je sais que mon épouse apprécie mes compliments. Aujourd’hui je sens qu’elle en a encore plus besoin. « D’ailleurs… Tu as besoin de faire quelques achats ? On peut y passer tout à l’heure, non ? » Lui proposais-je en retirant mon tee-shirt de pyjama.

Mes sourcils se froncent. Les coups d’Harper demeurent visibles. Décidément elle n’y a pas été de main morte. Quelques traces violacées parsèment mon torse alors que je file m’appliquer de la crème dans la salle de bain.

J'accusais le choc en entendant le prix qu'il avait du débourser pour ça. Je m'attendais à ce prix là mais pour un corps me ressemblant. Il me faudrait plus d'un million certainement pour avoir un corps de femme. C'était.... hors de prix. Jamais en toute une vie je ne pourrais trouver assez d'argent pour avoir un corps décent. J'allais être coincé là dedans toute ma vie. Je sentais mes maigres espoirs m'abandonner d'un coup. C'était presque le coup de grâce pour moi. Jamais je ne m'en sortirais. Jamais je ne pourrais retrouver mon mari pleinement tant que j'avais ce corps.

Je soupirais en sentant sa main venir prendre la mienne. Oui il y avait ce léger mieux. Il arrivait à me toucher un petit peu plus. Mais on était quand même loin de ce que je voulais pour nous. Loin, très loin de l'intimité que l'on avait pu avoir ensemble. Il voulait que je sois heureuse, mais je doutais de pouvoir l'être un jour dans ce corps.

Je le laissais aller travailler pendant que je rangeais la cuisine. J'allais ensuite préparer rapidement quelques crêpes que l'on pourrait emporter pour le pique nique. Des crêpes, une bonne bouteille, ça devrait nous aider à passer un bon moment. J'allais ensuite dans la chambre, me changeant pour passer une tenue plus confortable. J'hésitais à mettre un maillot. Le temps était encore assez bon pour qu'on puisse profiter mais j'avais peur à l'idée qu'il ne me voit en maillot. Il ne m'avait encore jamais vu torse nu comme ça. J'avais peur que ça ne lui fasse un choc supplémentaire.

Je finis par le mettre, juste au cas où, l'enfilant sous mon pantalon avant de compléter ma tenue avec une des chemises que j'avais chiné. J'avais réussi à trouver mon bonheur dans une petite boutique vendant des vêtements de seconde main. Je m'étais quasiment refait toute ma garde robe pour pas grand chose. Sur la somme que j'avais récolté de la vente de mes vêtements j'avais pu m'acheter pas mal de vêtements, faire les courses pour au moins deux semaines, acheter son cadeau pour notre anniversaire de mariage et il m'en restait encore. Si on n'avait plus aucun argent de côté, il fallait d'autant plus que je fasse attention à ce que je dépensais. Mais notre anniversaire, il était hors de question que je passe à côté.

Je me retournais en l'entendant entrer dans la chambre et me complimenter.

- Merci... et non ça va. J'ai réussi à me faire une garde robe à peu près correcte avec la vente de mes vêtements. Il me reste du liquide encore si tu veux t'en servir pour payer l'hôtel avant d'avoir ton logement de fonction.

Avec un peu plus de trois cent dollars il devrait avoir les moyens de se payer quelques nuits à l'hôtel. Je refusais qu'il ne joue au fier et ne dorme dans sa voiture pour économiser un peu plus.

- Tu es prêt alors? On peut aller se le faire ce pique nique?

Je me mordis la lèvre, mal à l'aise alors que je voyais les traces de bleus sur son torse. Il allait falloir que je fasse attention. Ce corps cognait quand même beaucoup plus fort que l'ancien.

- Et... désolée pour ça. Je crois que je ne contrôle pas encore ma force.

Le lourd regard qu’Harper pose sur ces traces violacées ne me plaît pas. Je n’ai pas envie que ma femme culpabilise. Sa colère a dépassé ses mots et sa force. Comment pourrais-je lui en vouloir ? De nous deux, c’est elle qui paye le plus les conséquences de ma décision. Je me rapproche d’elle, attrape sa quintuplée avant de la porter à la hauteur de mes lèvres. J’embrasse son dos tendrement avant de la lâcher. Puis mes mains cernent son visage. Le revers de mes pouces ébauche ses joues piquantes.

- « S’il te plaît, ne culpabilise pas. Ce n’est pas de ta faute. » Le timbre de ma voix s’abaisse.

J’aimerai pouvoir l’embrasser. La prendre dans mes bras comme si de rien n’était mais pour le moment je n’arrive pas à être plus proche d’elle. J’imagine qu’avec le temps et à grands renfort cela s’améliorera.

- « Je finis de m’étaler de la crème et j’arrive. »

Une fois dans la salle de bain, je laisse la porte ouverte. De toute manière ce n’est un simple panneau de bois qui arrêtera Harper désormais. Je suis certain qu’elle serait capable de la dégonder en un rien de temps. Pendant que je finis d’étaler de la crème sur mes bleues, j’écoute mon épouse d’une oreille attentive. Elle me propose de me donner de l’argent pour pouvoir payer ma chambre d’hôtel. J’arque un sourcil interrogatif en quittant la pièce afin de la rejoindre.

- « C’est très gentil mon amour, mais garde le. C’est ton argent. Ne t’inquiète pas pour moi, je vais me débrouiller. »

Bien évidemment je vais taire le camping sauvage de ma voiture. Je sais exactement ce que je vais lui offrir pour notre anniversaire. Il est hors de question que je fasse l’impasse dessus. Il faudra me passer sur le corps pour que j’oubli ou change d’idée.

- « J’ai hâte que ces trois mois se terminent... » Lui avouais-je en enfilant un nouveau tee-shirt.

Rapidement je regarde la météo sur mon téléphone portable. Un rayon de soleil semble se profiler à l’horizon. Peut-être que nous pourrions nous baigner ? Finalement je me décide à enfiler mon maillot de bain sous mon pantalon. Rapidement je me change devant mon épouse. Ce n’est pas la première ni la dernière fois qu’elle me voit nu. En revanche… En ce qui la concerne, c’est différent. Je n’ai jamais rien fait avec un homme à part deux ou trois baisers lorsque j’étais complètement ivre durant mes années universitaires mais rien de plus. Aujourd’hui… J’éprouve un peu, beaucoup, de difficulté à la toucher. Alors imaginer plus… Ce n’est pas concevable.

Une fois assis dans la voiture je laisse mon épouse conduire. Au premier feu rouge, un imbécile de chauffard se met à hurler pour une raison totalement incompréhensible. Il crie après tout le monde. Lorsqu’il arrive à notre hauteur, il toise Harper avant de filer en vitesse. Un sourire amusé égaye mon visage. « Je crois que tu l’as impressionné, le pauvre ! » Soufflais-je en riant avant de replacer mes lunettes de soleil sur le bout de mon nez. Une dizaine de minute plus tard Harper se gare non loin de la plage. Beaucoup de couple se promènent aussi main dans la main. Et nous ? Qu’allons-nous faire ? Aux premiers abords on pourrait penser que nous sommes simplement des amis. Ou un couple gay, au choix.

Il faisait encore sa tête de mule. Je le connaissais. Il allait se priver, dormir dans sa voiture quelques temps, pour économiser un peu d'argent. Il était assez ridicule pour se sentir coupable dans cette histoire, parce que c'était lui qui avait décidé de payer pour mon réenveloppement. Il n'avait pas à s'en vouloir pour ce qui se passait. Si j'avais été à sa place, je n'aurais pas été certaine que je n'aurais pas agi de la même façon. J'aurais été prête à tout pour le revoir.

On monta en voiture avec notre pique nique. Il me laissa prendre le volant, chose assez surprenante de sa part. C'était toujours lui qui conduisait en général. Je ne dis rien. Il devait avoir ses raisons.

En route on croisa un nouveau connard qui voulait jouer les gros bras. C'était étrange... de voir que c'était moi qui l'avait intimidé. En temps normal, ce genre de type m'aurait vu il aurait jouer encore plus les gros bras et aurait tenté de me draguer de manière assez lourde. Maintenant je lui faisais peur. J'étais du genre intimidant désormais et je n'arrivais pas vraiment à m'y faire.

Je grognais alors que mon cher et tendre riait de voir que j'avais effrayé le connard. Moi je n'aimais pas ça. Je n'aimais pas l'idée que les rôles soient inversés dans notre couple. Ok c'était pas du tout féministe comme attitude je sais. Normalement je devrais être une femme évoluée, avoir dépassé les stéréotypes du style que mon mari devait être l'homme fort qui me protégeait. Ca ne devrait pas poser de problème que je sois capable de me défendre toute seule et même capable de le défendre lui. Mais j'avais toujours plutôt aimé ça. Sentir qu'il était là pour veiller sur moi, que je pouvais me réfugier à l'abri de ses bras. C'était terminé désormais...

Je me garais au niveau de la plage. Je récupérais notre panier de pique nique avant d'aller chercher un coin pour nous installer. C'était frustrant à nouveau. Nous n'agissions plus comme un couple. On ressemblait plus à deux amis venant se balader ensemble qu'à un vrai couple. J'étalais notre couverture, sortit les crêpes et les différents pots de confiture avant de sortir la bouteille et les deux verres.

- Tu viens profiter d'un gouter avec moi?

Je lui souris tendrement, essayant de retrouver un minimum de complicité entre nous. Il faisait beau. L'air de la mer venait doucement fouetter mon visage. C'était une belle fin de journée..

Le sable fin qui borde la baie de San Francisco se heurte aux petits airs marins. Il se frotte nos jambes avant d’achever leurs courses sur les maillots de bain humides des derniers vacanciers. L’écho des vagues berce les surfeurs. Les cris des enfants qui nous entourent trouvent satisfaction à travers le tendre regard de leurs parents. Si tous ce malheureux évènement n’était pas survenu, Harper serait peut-être déjà enceinte. Sa voix interrompt mes pensées. Lorsque je me détourne, je hoche la tête en m’asseyant près d’elle. Quelque chose ne va pas. Je la connais… Son regard porte toutes les traces d’une tristesse inavouée. Je n’aime pas la sentir aussi désemparée. J’aimerai pouvoir faire quelque chose, mais quoi ?

- « Lasagne ce midi. Crêpe pour le gouter. C’est le combo cholestérol et diabète ! » Soufflais-je l’air amusé en posant ma main contre la sienne afin de la réconforter. « Si le docteur me dispute en lisant les résultats de ma prochaine prise de sang, cela ne sera de ma faute ! » Glissais-je en lui préparant une crêpe sucrée. « Tiens. Avec une pointe de miel comme tu les aimes. »

Ce n’est pas parce que ma femme a changé de corps que je ne connais plus ses goûts. Je me souviens de chacune de ses habitudes. Son petit sourire en coin lorsqu’elle a une idée derrière la porte. Ses yeux pétillants quand elle me regarde avec amour. Comment est-ce que je pourrai me passer de toutes ces petites attentions ? Mais au-delà… Comment pourrait-elle se passer de tout ce qui formait un nous ?

- « De quoi as-tu envie pour notre anniversaire de mariage ? »

Au même moment une jeune femme, plutôt canon, s’approchait de nous l’air plus qu’aguicheuse.

- « Bonjour. Vous allez bien ? Vous venez avec nous ? » Nous demande-t-elle en désignant du menton son groupe d’amis. Il y a plusieurs années, et en étant célibataire, j’aurais peut-être accepté. Aujourd’hui… Tout est différent. Je suis mariée et j’aime ma femme : Harper. Harper Brown. Mon Harper.

- « C’est très gentil mais non, merci. » Rétorquais-je poliment avant de l’envoyer bouler plus fermement si elle continuait d’insister. Non mais que croit-elle ? Que je vais accourir tel un petit chien, la queue bien dressée ? Si aux premiers abords cela pourrait nous flatter, en réalité je ne le suis pas. Bien au contraire. Je suis jaloux. Je comprends à présent ce que mon épouse ressentait quelques heures plus tôt.

Sans demander son reste, elle s’en va en roulant allègrement ses formes féminines. Ce n’est pas la première fois que l’on drague ma femme, mais là… Intérieurement je me mords la joue. Je n’ai jamais que des vautours tournent autour d’elle. Un soupir plus tard et je regarde mon épouse.

- « Je ne veux pas te perdre. » Murmurais-je en glissant sa main contre la sienne. Étrangement je comprends maintenant sa crise de ce matin. Sauf que moi je ne crie pas. Je me contente de bouillir intérieurement. « Jamais… C’est toi la femme de ma vie. »

Je souris alors qu'il me préparait et ma crêpe et me la tendait. Juste comme je l'aimais. Je le remerciais avant de commencer à manger. Je réfléchissais à ce qu'il m'avait demandé pour notre anniversaire de mariage. Si on était si limite financièrement, au point qu'il veuille aller dormir dans sa voiture pour ne pas payer l'hôtel, il valait mieux qu'on évite le restaurant. Ca serait un peu trop hors de prix pour nous. J'avais une idée et je voulus lui répondre quand une jeune femme vint nous interrompre pour nous inviter à les rejoindre avec ses amis.

Je la foudroyais du regard alors qu'il la repoussait plus gentiment que mon regard noir. J'allais devoir m'habituer à ça certainement. Avant jamais personne ne serait venu nous interrompre. On était un couple, ça se voyait clairement. Mais là maintenant, on ressemblait à deux amis passant un peu de temps ensemble. Alors pourquoi ne pas venir nous demander de les rejoindre? Elle devait certainement avoir des vu sur mon mari. Elle avait de quoi. Il était beau et intelligent. L'homme parfait pour beaucoup de monde. Sauf qu'il était hors de question qu'elle me le vole.

Je la laissais partir et me retournais vers Thomas qui serrait doucement ma main, me faisant une énième déclaration d'amour. Alors je lui souris tendrement avant de répondre.

- Je le sais mon amour. Tu ne cesses de me le dire.

Je ne savais pas vraiment si c'était lui ou moi qu'il tentait de rassurer ainsi. Peut être un peu des deux. Il voulait peut être se convaincre que j'étais toujours la femme de sa vie, que ça ne changeait pas, même si je ne ressemblais plus à une femme.

- Mais je ne sais pas si j'arriverais à me faire à l'idée qu'on te drague devant moi comme ça...

Avant j'aurais défendu mon territoire par un geste possessif. J'aurais pu me le permettre. Il n'aurait pas été dégouté à l'idée que je vienne me coller contre son dos, ma tête sur son épaule, minaudant après mon chéri. Là j'aurais l'air ridicule si je le faisais. Sans parler du fait qu'il serait surement mal à l'aise de sentir mon torse viril contre lui.

- Sinon.. pour notre anniversaire.

Je croquais dans ma crêpe, mangeant tranquillement alors que je réfléchissais à ce qu'on pourrait faire.

- Je pense qu'un petit diner en amoureux à la maison ça me suffit. Pas besoin de restaurant. Juste passer une soirée avec toi ça sera déjà très bien.

- « Je pense que c’était toi qu’elle draguait. Pourquoi draguerait-elle le vieux croûton que je suis ? »

J’avale ma bouchée avant de m’essuyer proprement ma bouche l’air plus que satisfait. Je n’ai jamais apprécié qu’un regard un peu trop évocateur ébauche l’enveloppe charnelle de mon épouse. A chaque fois je me mords intérieurement la joue sinon je risque d’imploser à tout moment. Le regard qu’Harper m’adresse resserre l’étau d’acier dans lequel mon cœur demeure depuis son réenveloppement. Elle a sans doute raison. Je ne cesse de lui répéter que je l’aime. Peut-être que cela l’agace ? Honteusement je baisse la tête en soupirant avant de croquer une nouvelle fois dans les crêpes qu’elle a préparé avec amour. L’air marin de la baie me rappelle tant souvenir : ma demande en mariage, nos ballades en amoureux… J’ai la terrible impression qu’ils ne reviendront plus jamais. Nous sommes là… L’un à côté de l’autre comme de vieux amis et non comme le couple complice que nous formions. J’aimerai pouvoir lui offrir plus. Derrière ses yeux lourds je sens tout le poids que cette épreuve représente à ses yeux. Courageusement je me lève afin de me glisser derrière elle. Mon torse frôle son dos alors que mes bras se faufilent contre ses hanches. Mes mains cherchent les siennes. Elles se lient l’une à l’autre dans un geste rempli de jalousie. C’est ma femme. La mienne. Jamais je ne tolérerai que quiconque me concurrence.

- « Tu ne veux pas que je réserve une table dans notre restaurant préféré ? »

Pourquoi est-ce que je lui pose la question ? Je vais évidemment réserver une table dans ce fameux commerce. Il est hors de question que nos petites habitudes soient balayées d’un revers de billet. Je me suis toujours débrouillé pour offrir lui offrir le meilleur. Il est hors de question que cela change à présent. Mes yeux croisent le sien. Un petit sourire amusé étire la commissure de mes lèvres. Elle sait ce que cela signifie. Tout ce qu’elle pourra dire ne pourra pas me pousser à changer d’avis.

- « Et n’essaye pas de m’en dissuader. Même tes lasagnes et tes crêpes ne parviendront pas à me soudoyer, mon coeur. »

Sans perdre de temps, j’appelle le restaurant afin de réserver une table alors qu’un groupe de personne passe non loin de nous. Leurs regards en dit long sur ce qu’ils pensent. Le qu’en dira-t-on m’indiffère totalement. Ce qui m’importe le plus c’est le bonheur d’Harper. Certes je n’ai pas l’habitude d’être aussi près d’un homme mais derrière lui, c’est elle.

- « Nous pourrions aller t’acheter quelques vêtements après, si tu le désires. Et… Puis ce soir nous devons fêter ton nouveau travail ! » Lui proposais-je en lui servant un verre alors que son parfum masculin commençait à s’éprendre de mes narines.

A bien des égards il ne ressemble en rien à celui qu’elle portait auparavant. Une fragrance plus sauvage et bestiale s’échappe de sa nuque. Pour autant cela ne s’avère pas aussi désagréable que l’on pourrait le penser aux premiers abords.

- « Je pense que c’était toi qu’elle draguait. Pourquoi draguerait-elle le vieux croûton que je suis ? »

- Mais non ce n'est pas moi qu'elles...

Je jetais à nouveau un coup d'oeil aux filles en question. Bon d'accord, vu les sourires qu'elles m'adressaient elles me draguaient peut être. Les pauvres, si elles savaient qu'elles n'avaient aucune chance avec moi...

- Ok elles me draguent mais tu n'as rien d'un vieux croûton. Je te trouve encore terriblement sexy.

Il me proposa ensuite de réserver dans notre restaurant préféré pour la soirée. J'avais bien voulu ouvrir la bouche pour l'en dissuader mais il me devança. Il attrapa son téléphone pour réserver pour le soir de notre mariage. Bien, j'étais vaincu. Il était hors de question que je discute avec lui. On se serrerait la ceinture à un autre moment, tant pis. J'espérais que je pourrais rapidement gravir les échelons dans mon nouveau travail, histoire de ramener petit à petit un salaire plus conséquent, pouvoir nous sortir de cette merde et lui permettre de changer de boulot. Ca viendrait. Je ferais tout pour.

Je souris timidement en le sentant venir se caler contre mon dos. Je posais mes mains sur les siennes, profitant de ce petit instant où j'avais l'impression de retrouver mon mari. Je vis bien les regards noirs de certaines personnes mais ça m'était égal. J'avais mon mari avec moi et c'était déjà énorme à mes yeux.

- Je t'ai déjà dit que je m'étais débrouillé et que j'avais assez de vêtements comme ça. Puis quand je travaillerais dans la boutique j'aurais le droit à une jolie réduction. Je pourrais me ramener des vêtements de temps en temps. Mais là ça va, vraiment. J'ai de quoi m'habiller sans ressembler à un vieil ours des cavernes.

J'osais un geste tendre, prenant une de ses mains pour la porter doucement à mes lèvres et l'embrasser.

- Pour ce soir, commander des pizzas et les manger avec toi devant la télé ça me convient parfaitement. J'ai juste envie de passer du temps avec toi, se retrouver comme avant.

J'attrapais les crêpes et en préparais une nouvelle avant de me tourner un peu pour la lui tendre. Je fis de même pour moi et mangeais tranquillement.

- Qu'est ce qui te ferait plaisir pour demain? Je sais que tu dois partir demain soir mais on pourrait faire quelque chose dans la journée. Rien que toi et moi, profiter de cette dernière journée...

Avant qu'il ne reparte travailler et que je me retrouve seule à nouveau toute la semaine.