Noah avait longuement hésité avant de se lancer. Un robot. C’était ridicule à son âge d’avoir un robot. Toute cette technologie avait surtout été créée pour les personnes plus âgées, qui n’arrivaient pas à refaire leur vie après la perte d’un être cher. Certains étaient même la copie conforme d’un défunt ou d’une défunte, trop vite parti dans un autre monde. Lui, il n’avait que vingt-trois ans. Il débutait sa petite vie de professeur d’art plastiques dans une école, un métier qui lui correspondait parfaitement et qu’il avait choisi. Vingt-cinq ans, et donc toute sa vie pour trouver quelqu’un. Sauf que Noah ne trouvait pas. Qu’il n’était jamais tombé amoureux et qu’il se sentait franchement seul. Lui aussi il voulait quelqu’un à câliner le soir en rentrant. Quelqu’un avec qui partager ses journées, ses goûts, ses envies. Avec qui fonder une famille ? S’il travaillait auprès d’enfants, ce n’était pas pour rien. Mais Noah n’avait jamais trouvé personne. Et il ne savait pas pourquoi. C’était un type normal, plutôt gentil, pas moche. En fait, il n’était tombé que sur des connards qui s’étaient très mal comportés avec lui. Gentil mais pas con, Noah avait toujours réussi à les dégager de sa vie. Mais maintenant il était seul.

Ce robot, cette solution miracle, c’était trop cher pour lui. Mais voilà quelques mois que sa mère était décédée et lui avait laissé, en plus d’une solitude exacerbée, un héritage conséquent. Il n’avait d’abord pas voulu toucher à l’argent. Noah n’était pas matériel du tout et il n’avait pas su quoi en faire, alors il avait mis de côté. Et un jour alors qu’il se sentait au bord du gouffre… Il avait vu la pub à la télé. Si de base cette idée lui avait paru stupide et clairement pas faite pour lui, il avait craqué. Il devait essayer, c’était un peu sa dernière chance.

L’homme parfait, ça faisait rêver. Noah n’attendait que lui. Et c’était aujourd’hui qu’on lui “livrait”. L’employé s’était occupé de tout. De le mettre en route, de terminer la configuration, de vérifier que tout fonctionnait bien. Et les voilà seuls. C’était la première fois qu’il se retrouvait face à un robot et c’était troublant. Sans oublier le fait que cette personne était également parfaite physiquement selon les critères de Noah.
Il resta un moment sans parler avant de faire un signe de main tout timide. « Salut… Je suis Noah… »

L’homme parfait, selon lui, c’était quelqu’un de gentil. Qui ne cherchait jamais le conflit, qui n’hésitait pas à s’excuser quand il avait tort. Quelqu’un qui avait confiance et qui n’était absolument pas jaloux. Qui savait prendre des initiatives et écouter celles des autres. Bon en cuisine, attentionné au lit… Enfin, une liste de qualité longue comme le bras, et aucun défaut. Oui, Noah était jeune. Il ne savait pas encore que les défauts, c’était justement ce qui faisait la perfection d’une relation. Il fallait un équilibre. Une balance. Il allait finir par s’en apercevoir...

J'ai exactement 54 minutes de vie. Mon opérateur m'a installé et créé. J'ai eu le temps de charger l'intégralité de mon programme et des demandes formulées par le client. *Correction des données* Par M. Noah Grimes. Il se présente à moi. Je tourne la tête vers lui et lui adresse un sourire car c'est ce que son visage à besoin. Ma voix sort pour la première fois de ma gorge :

Bonjour Noah, je m'appelle Edwin. Aimes-tu mon nom ?

Je me levais de la station de contrôle où l'opérateur m'avais mit en fonction et lui tendit la main en signe de salutation. Je n'utilisais pour l'instant que les gestes de bases, mon programme s'ajusterait ensuite en fonction des réactions de mon interlocuteur pour le satisfaire au mieux. J'étais comme un nouveau né, mais doué de toutes les compétences requises d'un adulte. Mes émotions n'étaient qu'à des balbutiements, et j'étais à sa totale disposition.

J'analysais son visage. Il avait l'air mal à l'aise. J'eus un sourire plus franc, pour le mettre en confiance.

Et si on allait boire un verre ? Comme si on venait de se rencontrer dans la vraie vie.

Le protocole préconisait de remettre la situation dans un contexte plus humain, et ma mise en route n'avait rien de naturelle. Pas de sang, pas de cri, pas de placenta. Juste un bouton qu'on venait d'allumer. Cela pouvait être déconcertant, et je le comprenais parfaitement.

Quand le robot prononça ses premiers mots, Noah sentit tout un tas de frissons le prendre. C’était très bizarre… A sa question, il se contenta de hocher la tête. Il l’observa longuement et comprit pourquoi ce genre de produit était aussi cher : il avait tout d’un humain. Pas de geste saccadé, pas de bruit bizarre… Il aurait presque voulu le toucher pour voir si sa peau avait la même texture que la sienne. Mais non, le moment était déjà assez gênant comme ça. Très vite, le robot, enfin Edwin, proposa d’aller boire un verre. Noah fut surpris, mais pas mécontent. C’était une très bonne idée ! Il hocha alors à nouveau la tête. « Euh… Oui… Oui très bonne idée, on peut faire ça. Je vais chercher ma veste et j’arrive. » Il fila en vitesse dans sa chambre pour récupérer sa veste. Là-bas, il prit quelques secondes pour se ressaisir. Ca serait certainement bizarre les premiers jours… Mais il allait finir par s’habituer, pas vrai ?

Avec Edwin ils se rendirent donc dans un petit café pas très loin. Les premières minutes furent silencieuses, jusqu’à ce qu’un serveur vienne prendre leurs commandes. Noah arqua un sourcil lorsqu’Edwin se commanda quelque chose. Il attendit que le serveur parte pour lui poser la question. « Tu bois… ? Tu manges aussi ? Pardon… Mes questions sont sûrement débiles mais c’est la première fois pour moi alors… »
A un premier rendez-vous on faisait connaissance. Mais difficile de poser des questions à Edwin. Il ne travaillait pas, n’était né nulle part, n’était pas supposé avoir de passion. En fait si, il était supposé aimer l’art sous toutes ses formes, pour pouvoir s’entendre avec Noah. Pour avoir des choses à faire ensemble, à partager. « C’est assez… Assez bizarre en fait… » Il se frotta la nuque. « Il parait que tu es parfait… Tu le vis comment ? »