Tu es confortable, là. La pelouse est moelleuse, quoi que un peu humide. Quelques nuages habillent le ciel mais les étoiles arrivent quand même à percer leur coton. La paume de ta main épouse la forme de la bouteille de vodka qui est déjà entamée. Tu te sens flotter au dessus du danger, de la réalité. Ta tête est légère. En riant, tu la laisses pivoter sur le côté pour croiser le regard de Laëtitia, qui a bu elle aussi. Tu l'as toujours trouvé magnifique, cette femme. Mais, ce soir, elle est plus belle que jamais, abritée par la lumière de la lune. C'est en riant doucement que tu commences: « Tu sais que je t'en veux encore d'être partie avec lui ? » Tu apportes la bouteille à ta bouche pour boire une énième gorgée qui t’arrache une grimace.

Il y avait parfois une exception que j'acceptais. Un être à part, quelqu'un que j'admirais ou qui m'avait semblé plus intéressant que les autres. Ce que mon meilleur ami n'avait jamais voulu entendre ou comprendre, c'est que je n'étais pas quelqu'un de bien. J'avais opté pour le rhum, lui, il voulait de la vodka. Je n'avais jamais été capable de supporter les alcools forts. Alors que mes idées se mélangeaient, je suivais le rire de Rafael sans comprendre pourquoi il riait. Il m'arracha cependant un soupir d'exaspération lorsqu'il mit cette discussion sur le tapis. « Il ne me semble pas que tu m'avais demandé en mariage. Je crois même que tu m'as voulu seulement quand il m'avait. C'est juste une fierté d'homme Rafael... Tu ne m'aimes pas vraiment. » Affirmais-je tout en étudiant chacune de ses pupilles. « Même si les yeux verrons c'est sexy, tu es quelqu'un de bien, et j'aime les méchants. » Je passais une main dans les petites boucles de Rafael pour les mettre en place.

Tu sens que l'alcool te chatouille la tête, tu perds lentement tes esprits. Tout semble plus grand, plus incroyable. Les deux yeux de Laëtitia n'ont jamais été aussi envoûtants. Tu te sens aspirer par leur bleu profond. Puis, quand elle te répond sur un ton qui ne te surprend pas, tu l'écoutes simplement. Tu te dis que, finalement, tu ne la comprendras jamais, cette femme. « C'est ce que tu crois, que je ne peux pas être amoureux de toi ? S'il y a bien quelqu'un sans émotion c'est Kol. » Tu soupires. Tu sais qu'elle ne changera jamais d'avis, de toute façon. Tu fermes les yeux lorsqu'elle évoque leur couleur et tu souris en coin. « Je prends le compliment. Je suis presque devenu aveugle pour toi. » Tu marques une pause, un instant de silence. « Je peux être méchant si tu veux. Je peux t'arracher l'autre oreille.» Tu regardes à nouveau le ciel avant de fermer les paupières, profitant de ses doigts dans tes cheveux.

Toujours la même question. Toujours la même dispute. Toujours le même sujet. « Tu la connais celle-là ? C'est une citation : quitte à tomber amoureux d'une seule femme, vous n'auriez pas pu en choisir une libre ? » La réponse de l'homme, je la connaissais aussi, il répondait que le cœur avait ses raisons que la raison ignore. Perdue dans les fins cheveux de Rafael, elle oubliait presque que pour lui, c'était peut-être un sujet sensible. « Je ne suis pas quelqu'un de bien. » Quant au fait que Kol n'aurait pas de sentiments, elle lui épargna une colère qu'elle n'avait pas envie d'avoir. « Outch... » Je retirais aussitôt ma main pour lui prendre la bouteille, elle était confisquée. « Pour l’œil, c'est le sentiment de jalousie qui l'a poussé à agir. Si tu vas sur ce sujet, tu ne devrais pas pouvoir m'aimer puisque... Je l'ai toujours choisi. » Fronçant les sourcils tout en caressant le goulot de la bouteille avec mes lèvres, j'ajoutais : « Tu m'as arraché une oreille ? » Se redressant légèrement, elle prit une gorgée de la vodka et fit une grimace signifiante. « Un jour, tu sauras que tu as eu de la chance que je ne sois pas celle qui partage ta vie. Tu t'es déjà posée la question ? Et si c'était toi qui faisait le mauvais choix de fille ? » Mise sur mes coudes, je me permettais de le regarder de haut, bien que mes pupilles ne devaient pas être très convaincante.

Tu soupires en levant les yeux au ciel. La citation de Laëtitia ne te fait aucun effet. Tu sais très bien qu'elle ne marque aucun point, cette fois. « Tu étais libre quand on s'est connus. Je n'étais simplement pas en état de partager ma vie avec quelqu'un. » Tu te contentes de souffler l'air par tes narines lorsqu'elle admet ne pas être quelqu'un de bien. Ce n'est pas une surprise. Quand tu te fais dérober ta bouteille, tu fais la moue. Tu te roules sur le côté, appuyé sur tes coudes, puis tu observe les brins d'herbe en réfléchissant. « Je ne suis pas jaloux. Arrête de dire ça. J'ai simplement toujours voulu ton bien et je sais que Kol ne te traite pas comme moi je te traiterais.» Tu hausses un sourcil. Elle ne peut pas avoir oublié. « Si. Enfin. Presque. J'ai peut-être tiré un peu trop fort sur ta boucle d'oreille.» Tu détournes les yeux. Quand elle termine son discours, tu la regardes à nouveau, tu lui fait une grimace puis tu reprends ta bouteille. « Tu as probablement raison. Je mérite bien mieux. » Ton sourire se fait moqueur puis tu ajoutes, sans vraiment y penser deux fois: « Tu vieillis, toi. Tu es plus vieille que moi, que Kol... Qu'est-ce que tu comptes faire ? » Tu termines ta phrase en posant la bouteille contre tes lèvres.  

Las de toute cette argumentation pour quelque chose qui était tellement plus fort que la raison, je me contentais de hausser les épaules. « Tu veux que je te présente des excuses de l'aimer ? Si ça avait été un autre, ça n'aurait rien changé de ton côté. » Fermant les yeux, j'essayais de retrouver mes idées. Un ricanement sorti de mes lèvres et je ne pus me retenir de rentrer dans un fou rire. Ce que cette phrase faisait macho. « Je ne suis pas un animal de compagnie, ne t'en fais pas, je peux m'occuper de moi. » Kol était certainement plus patriarcale que Rafael, mais cette réflexion me faisait penser à une époque où les hommes présentaient leur demeure et leurs domestiques pour convaincre une femme de les épouser. Je n'étais pas une marchandise et mon cœur voulait simplement un homme, même si ce dernier était dur en affaire. « Ah... Ma peur des loups c'est vrai, disons que l'on est quitte dans ce cas. » Il m'avait terrorisée, et c'était Kol qui m'avait sauvée, même s'il ne voudrait jamais le reconnaître. Je faisait signe de tête que j'étais contente qu'il réalise qu'il y avait mieux que moi. Sa dernière question me fit me sentir mal et je décidais de me rallonger, tout en fixant le ciel. « Mourir. Je n'ai pas d'autres options... Que ce soit toi ou lui, je devrais mourir. » Je n'étais que médium et les sorciers pouvaient prolonger leur vie, pas moi.

Tu te surprends à réellement réfléchir à ses paroles. Elle avait peut-être raison, en fin de compte. Tu te pinces les lèvres, légèrement mal à l'aise et tu avales d'un coup sec une énorme gorgée que tu supportes étonnamment bien. « Ça me fait mal de l'admettre mais tu as peut-être raison, pour le coup. J'en veux à Kol, et qu'à lui. Je devrais discuter avec lui plutôt qu'avec toi. » Tu avais dit cela sur un ton sarcastique, sachant très bien qu'il n'était pas question que tu t'approches du vampire. Tu ris avec la belle, rire qui se transforme lentement en soupire quand elle termine sa phrase. Tu ne peux t'empêcher de penser qu'elle est l'animal de compagnie de Kol, mais tu ne le dis pas. Tu dois tenir ta langue pour cette fois. Alors, tu te dis que jamais tu ne comprendras l'amour. Tu te remets sur le dos et ton regard se balade d'étoile en étoile. « Désolé pour ça, encore. Mais sache que tu m'adorerais sous ma forme de chien car je ne peux rien dire. Ça te reposerait les oreilles. » Tu souris à cette idée puis tu regardes ta meilleure amie à nouveau alors que tu sentais son coeur se serrer. Sa réponse te rend mal à l'aise. Tout en observant son front, la courbe de son nez, puis ses lèvres roses, tu tentes: « L’immortalité ne te tente pas ? »

Les souvenirs affluaient, les mauvais souvenirs où le chemin des deux hommes s’étaient croisés. Mais je restais persuadée que si Rafael m’avait envisagée autrement qu’en amie, ce n’était que parce que j’avais choisi Kol. « Prenez-vous la tête si vous voulez, mais je ne veux rien entendre sur ce sujet. » Cela en devenait ridicule. Le pire, c’est qu’ils pourraient passer toute une nuit à essayer de se tuer mutuellement. L’un parce qu’il était hybride, l’autre parce qu’il était originel. « Je parle trop. » J’avais bien insisté sur le premier mot. « Non, Rafael, je suis plus chat que chien… J’ai toujours été une sorte de chat, même s’il n’y a pas d’espèce surnaturelle pour ça. » Quant à l’immortalité, c’était un sujet compliqué, parce qu’elle en avait fait un rêve horrible. « Peut-être que l’idée m’est venue mais… Je serais différente. Radicalement vu autrement par les autres. Est-ce que c’est bien la peine d’y penser ? Peut-être que d’ici quelques mois, tu rencontreras quelqu’un, tu m’enverras un message de temps en temps et tu finiras par ne plus envoyer. Peut-être que Kol sera las ou que finalement, lui aussi, trouve quelqu’un. A quoi me servirait mon éternité alors ? Le suicide n’est pas une option chez moi, donc je ne mettrais même pas fin à mes jours si j’étais éternelle et complètement seule et malheureuse. Je ne sais pas de quoi est fait demain. Tu as peur de me voir vieillir encore ? » Plaisantais-je sur le moment, m’éloignant du sérieux du sujet.

Tu n'es pas réellement surpris. Tu sais que Laëtitia n'a jamais aimé aborder ce sujet. En pianotant sur ta bouteille de vodka, tu te serres les dents pour t'empêcher d'ajouter quelque chose. Tu sais très bien que, si tu confrontes Kol, c'est toi qui n'en ressort pas vivant. Alors t'es coincé. Tu peux juste blâmer ton passé. Tu ris clairement. En effet, elle parle beaucoup, ton amie. Tu te demandais souvent comment elle faisait pour avoir autant de salive. « On n'en sait rien. Rien ne nous dit qu'on a découvert toutes les espèces surnaturelles. » Tu hausses les épaules puis tu bois une gorgée pour conclure le sujet. Les mots de ton amie te serrèrent la poitrine. Tu l'écoutes parler dans le plus grand des silences. Alors, quand tu penses que c'est le temps de parler, tu te laisses aller. « Je ne crois pas que tu seras différente. Est-ce que j'ai changé, moi ? » Tu marques une pause. Ce qu'à dit ton amie te rend perplexe. « Tu penses vraiment que la seule personne que tu pourrais aimer est Kol ? Si tout ce que tu dis s'avère vrai dans le futur, tu auras une peine d'amour. Toutes les peines peuvent se réparer. Tu trouverais quelqu'un d'autre. Tu es aveuglé par l'amour, en ce moment. Ce que tu dis est ridicule. L’immortalité n'est pas un fardeau. C'est un don. C'est le don de pouvoir vivre toutes les expériences que de nombreuses personnes parties trop tôt n'ont pas pu tenter. » Tu te tais. Tu ne réponds pas à sa dernière question. Tu ne penses pas que c'est le moment de rire. Malgré l'alcool dans ton corps, tu restes sérieux un instant. Tu n'as pas remarqué que tu t'es redressé. Tu es assis, la tête en direction de ton amie.