Ce soir, c'était encore un de ces grands événements où Chad devait faire bonne figure. Il avait du mal. Dire bonjour, se tenir correctement, ne pas dire un mot de travers, serrer des mains encore et encore... Ce n'était pas vraiment son truc mais c'était le prix à payer quand on était le fils de l'un des hommes les plus puissants au monde. C'était sensé être drôle un anniversaire. Quelle plaie. Chad n'avait qu'une envie : s'échapper à tout ça et aller taper dans le bar. A la place il échangeait des banalités sur la météo du soir. Rasoir. Heureusement, plus la soirée avançait, plus les devoirs présidentielles se dissipaient et Chad put enfin gagner le bar pour se servir un verre. Puis deux. Puis trois... et puis il avait arrêté de compter. Il dansait, rigolait avec les convives les moins coincés, jusqu'à ce qu'il vienne percuter quelqu'un. Le prince d'Angleterre. Il le reconnaissait, il lui avait serré la main plus tôt dans la soirée. « Excusez-moi votre altesse, puis-je vous chercher un verre pour me faire pardonner ? » qu’il lança en adoptant de fausses attitudes royales destinées à faire rire son interlocuteur.

- C'est déplacé Phillip!! Cela fait à peine un mois qu'elle nous a quitté et tu veux que j'aille faire semblant de faire la fête à un anniversaire!

Je foudroyais mon frère du regard, debout devant son bureau. Plus le temps passait et plus il se prenait pour le roi de ce pays. La couronne n'était pas encore sur sa tête mais c'était tout comme. Je redoutais le jour où cela arriverait, où notre père nous quitterait et où ce petit connard prétentieux devrait prendre la tête du royaume à sa place.

- Ce qui aurait été déplacé cela aurait été de célébrer mes noces le mois prochain comme cela était initialement prévu. Mais je vais les repousser de six mois par respect pour notre soeur. Ce qui serait déplacé, c'est qu'aucun membre de la famille royale n'assiste à l'anniversaire du prince de Suède. Je n'ai pas le temps pour cela et père non plus. C'est pour cela que tu y vas. Tu as un rôle à tenir, ne l'oublie pas. Il n'y a pas de place pour les pleurnicheries au sein de la famille royale Andrew, tu ferais mieux de ne pas l'oublier.

- Il ne semble pas y avoir de place non plus pour les sentiments dans cette famille... Peut être que ces six mois permettront à ta fiancée de retrouver ses esprits et de fuir.

Je me détournais de lui pour quitter son bureau. Je l'entendais me crier de revenir. Je pouvais très bien sentir à quel point il était énervé. J'avais appuyé sur un point sensible et je le savais très bien. Peu de gens étaient prêts à rejoindre volontairement la famille royale et à subir ses trop nombreuses règles. Phillip en avait conscience. Je savais très bien que Cordelia ne lui ferait jamais ça, pour une raison obscure elle était amoureuse de ce connard. Mais ça ne suffisait pas à rassurer Phillip.

J'avais fini par me retrouver à cette fête d'anniversaire, espérant que le temps s'écoule plus rapidement et que je puisse m'enfuir de cette soirée. Je n'arrivais plus à faire semblant de sourire ces derniers temps. J'esquissais juste un léger sourire, un peu crispé, mais cela semblait suffisant pour les photographes. Je me pliais aux présentations, retrouvant les différents princes et princesses que je connaissais déjà, rencontrant pour la première certains enfants de chef d'état, comme le fils du président des Etats Unis. Je ne prenais jamais la peine de me lier avec eux. Les chefs d'état allaient et venaient et leur progéniture avec eux. Il n'y avait que les familles royales qui duraient dans le temps. Je l'avais salué d'un bref signe de tête avant de retourner à mes occupations.

Je m'étais autorisé un seul verre d'alcool pour m'aider à supporter cette soirée. Je ne pouvais pas me permettre d'être ivre en public. Être ivre entrainait une perte du contrôle de soi et je ne pouvais me permettre de faire n'importe quoi en public. Mais cela ne semblait pas être le cas de tout le monde. J'étais entrain de raccompagner ma dernière cavalière au bar, mon verre de soda à la main, quand je me fis percuté. Je me retournais pour tomber sur le fils du président américain, de toute évidence plutôt éméché.

- Votre Altesse Royale. Si vous devez singer les manières que vous êtes sensé avoir, faites le au moins correctement.

Je passais ma main sur ma veste, essayant d'enlever le plus gros du soda.

- Ca ira. Je peux me débrouiller seul.

Le prince n’avait pas du tout rit. Bien au contraire. Chad avait été choqué par cette attitude. Il s’était attendu à un peu de retenue, évidemment, il se doutait bien qu’un tel titre l’obligeait à être un peu réservé mais ça ?! Il ne l’avait pas vu venir. Waw. Quel type prétentieux et imbu de lui-même il devait être pour oser s’adresser aux gens comme ça. Chad n’en revenait pas. Il avait ouvert de grands yeux, incapable de répondre dans la seconde tellement il était perturbé par ce comportement. Quand enfin il avait récupéré ses esprits, il avait rétorqué : « Pardon votre Altesse Royale de mon cul, mon intérêt pour la famille royale d’Angleterre était déjà limité, il vient de considérablement baisser pour se réduire au néant. » Ok, il y allait sans doute un peu fort mais l’alcool l’aidait vachement bien et il était sûr que son interlocuteur n’avait pas le droit de jurer. C’était un peu bas mais efficace donc. « Je crois qu’on a pas de chance ce soir, on a pas eu le bon prince. Je suis sur qu’on aurait vachement plus rigolé avec votre frangin !  » Ça, ce n’était pas vrai, mais tout le monde connaissait ses bruits de couloir qui disaient que l’entente entre les princes n’était pas tellement au beau fixe.

Non mais quel enfoiré! Quand on disait que les américains étaient des rustres, sans manière, trop bruyants... il en était le parfait exemple. Même dans une soirée mondaine il ne pouvait s'empêcher de s'enivre et de débiter des absurdités. C'était le problème quand on élisait un président parmi le peuple. Peut être que le président savait se tenir, mais il n'en était pas forcément de même pour le reste de la famille, la preuve avec ce Chad. Il n'aurait jamais du s'élever aussi haut, être présenté des personnes d'un autre rang, quand il était incapable de se tenir.

- Je crois que je survivrais à votre manque d'intérêt pour ma personne. D'ici quelques années vous ne serez plus un problème.

Si son père n'était pas réélu, plus jamais je n'aurais à le côtoyer. Alors quel intérêt pouvait il avoir lui et ses opinions.

J'esquissais un petit sourire en l'entendant parler de Phillip. Lui? Le plus drôle de nous deux? Ah... si seulement il savait. Mais je n'allais pas lui gâcher le plaisir de la découverte.

- Vous pourrez vous rattraper lors de son mariage dans quelques mois. J'espère que le peu d'intérêt que vous avez pour ma famille, ne vous privera pas du plaisir d'assister au mariage princier.

C'était un évènement mondial un mariage de ce genre. Il serait forcément invité, ainsi que son père. Peut être que le président ne viendra pas mais il enverra des personnes le représenter. Je devrais peut être supporter une fois de plus cet imbécile. Mais peut être que d'ici là j'irais mieux, que je n'aurais plus envie de fuir cet ambiance pour retrouver le plaisir de la solitude.

Les anglais, tous des snobs serrés des fesses ! Ce prince avec ses airs supérieurs lui donnait des envies de meurtre. Comment on pouvait être aussi dédaigneux ?! Il respirait la suffisance, c’était pas possible. Il avait fait quoi à part le bousculer un tout petit peu ? C’était quand même pas sa faute s’il s’était renversé son verre dessus ! Chad était bien décidé à en découdre. L’alcool lui avait toujours donné des ailes en plus, dans le positif comme le négatif. En temps normal, il n’avait déjà pas froid aux yeux mais déshinibé par l’alcool ? Il était capable de tout. « Méfiez-vous, ces quelques années pourraient bien être les plus longues de votre vie. » Est-ce qu’il le menaçait ? Peut-être un peu, il ne s’en rendait plus vraiment compte. Menacer un prince, il fallait le faire. « Un mariage princier ? Je ne louperais ça pour rien au monde voyons ! » qu’il s’exclama, son ironie transperçant sa voix. « Laissez-moi deviner, le thème c’est rabat-joie ? Ou arrogant ? » Il vida le verre qu’il avait dans la main. Foutu pour foutu. Il était déjà bien assez pompette mais pourquoi ne pas être carrément bourré ? « D’ailleurs, elle est où votre promise à vous ? Les mecs comme vous sont pas casés avec une autre bourgeoise dès leur naissance ? » Ok, c’était un peu cliché mais est-ce que c’était si loin de la vérité ?

Mon Dieu qu'est ce qu'il pouvait être agaçant... A ce niveau là, on ne pouvait plus dire que c'était uniquement l'alcool qui parlait. Il y avait un fond de vérité que l'alcool n'avait fait que libérer. Et bien si il pensait à ce point que nous n'étions qu'une bande de rabat joie coincés et arrogants, pourquoi me parlait il encore? La conversation aurait pu se limiter à un "Pardonnez moi de vous avoir renversé ma boisson dessus". Je lui aurais répondu courtoisement que ce n'était rien et nous serions repartis chacun de notre côté continuant notre vie en nous ignorant superbement. Mais non, il avait fallu qu'il fasse le con en singeant les manières de la cour. Quand au lieu de s'excuser il se moquait déjà ouvertement de moi, comment voulait il que je réagisse autrement que mal?

Cette soirée était vraiment épuisante du début à la fin. Je maudissais Phillip de m'avoir obligé à venir ici, à parader au milieu de connards bourrés au lieu de rester chez moi à tenter de faire mon deuil.

Je soupirais de plus belle en l'entendant tomber un peu plus dans le cliché de la royauté.

- Il faudrait remettre à jour vos informations sur la couronne. Cela fait bien longtemps que nous ne sommes plus liés par un mariage arrangé dés notre naissance. Mon frère se marie par amour. Il en sera de même pour moi.

Et c'était pour cette raison que je ne me marierais pas. Je continuerais de garder ma réputation de briseur de coeurs. On me prêtait des relations avec tout un tas de filles, du moment que je parlais plus de cinq minutes avec l'une d'entre elles lors d'un gala quelconque. Puis comme ils ne nous voyaient plus ensemble, ils partaient du principe qu'on avait rompu et que j'avais fait une nouvelle malheureuse.

Mais j'étais gay. Je ne pourrais tomber amoureux que d'un homme. Et comme je ne pourrais jamais en épouser un... je continuerais de "briser" des coeurs de jeunes femmes.

- Je vais laisser, non pas que cette merveilleuse conversation me déplaise. Mais j'ai à faire ailleurs.

Je le saluais d'un geste de tête avant de me détourner pour retrouver mon garde du corps. Qu'on fuit et vite...

Detestable. C’était le seul mot qui venait en tête à Chad quand il voyait ce prince de pacotilles. Bon, c’est vrai, l’alcool le faisait un peu déraper. Et alors ? Il ne disait que ce qu’il pensait vraiment dans le fond. Rien d’étonnant, il était certain qu’il y avait bien d’autres gens dans la salle qui pensait exactement la même chose de ce prince arrogant et suffisant. Chad, volontiers belligérant, aurait pu rester là des heures à régler ses comptes avec lui. Il n’est pas du genre violent pour autant, au contraire. Il aime simplement les débats animés et les disputes de cour de récré. C’était comme ça, du plus loin qu’il s’en souvienne il avait toujours eu une belle repartie. Ce soir, c’était le prince qui en faisait les frais. D’ailleurs, ce dernier lui faisait tout un blabla sur le fait que son frère se marie par amour. Mais oui. Bien sûr. L’amour. Chad fit semblant de bailler, plus provocant que jamais. Une réplique cinglante lui venait en tête mais c’est à ce moment-là que le prince le congédia. Sans rire ?! Il partait maintenant ? Quel petit joueur. Chad était déçu, comme le serait un gosse devant un pull qui gratte le soir de Noël. « Evidemment, mon Seigneur… » commença-t-il en faisant exprès de lui donner le mauvais titre pour le titiller. « Votre emploi du temps doit être bien chargé. Au plaisir alors ! » qu’il acheva avec un sourire hypocrite avant de se volatiliser pour se trouver un autre verre à boire.

J'étais parti. J'avais retrouvé le calme de ma chambre d'hôtel. J'avais senti la pression redescendre doucement, maintenant que j'étais loin de tous les regards. Et elle m'avait manqué... C'était dans ces moments là que son manque se faisait le plus cruellement ressentir. J'aurais pu lui envoyer un message, me plaindre auprès d'elle des invités au repas d'anniversaire, de cet américain bourré qui m'avait renversé son verre dessus. Nous aurions ri ensemble, critiquant ces américains qui n'avaient décidément aucun savoir vivre. Mais j'étais seul... elle n'était plus là.

Les mois se succédèrent. La douleur se fit petit à petit moins présente. Elle était toujours là, attendant la moindre occasion pour se manifester. Puis il m'arrivait parfois de ne plus penser à elle pendant quelques jours, voir plus d'une semaine et quand je m'en rendais compte la culpabilité était toujours là. Je m'en voulais de l'oublier, d'avancer, de vivre malgré son absence.

Ce jour là était un de ces jours. J'étais là, remontant l'allée de l'abbaye de Westminster aux côtés de mon frère, légèrement en retrait par rapport à lui. La foule nous fixait tandis que nous prenions place tout près de l'autel. Je ne voyais pas les gens. Ils n'étaient que des visages flous. Je savais qu'il y avait tout un tas de célébrités, de dirigeants des quatre coins du monde, des membres d'autres familles royales. Un mariage princier, c'était toujours un événement après tout. Je savais qu'ils étaient là mais je ne les voyais pas. Je parlais discrètement à Phillip que je sentais tendu.

- Ca va aller... Elle va être merveilleuse.

"Oui... oui je sais. Elle a beaucoup répété."

Je lui souris doucement avant de parler à nouveau.

- Tu sais ce que Lizzie dirait.

"Oui, qu'elle serait magnifique mais jamais autant qu'elle l'aurait été le jour de son mariage."

- C'est ça.

Nous eûmes un petit sourire complice lui et moi, nous retenant de dire dans un moment aussi solennel. C'était un des rares moments de complicité qu'on avait lui et moi. Ils étaient bien trop rares, encore plus depuis que Lizzie n'était plus là. Parler d'elle, c'était comme si on la faisait un peu être présente, comme si elle vivait ce mariage avec nous.

Je soufflais enfin un moment plus tard, quand la cérémonie se termina, qu'on quitta tous le balcon après avoir salué la foule. Je me retrouvais à errer parmi les invités, saluant les personnes que je connaissais déjà, me forçant malgré tout à parler à tout le monde. J'arrivais finalement devant l'américain. Je le regardais avec un petit sourire en coin.

- Monsieur Miller, quel plaisir de vous revoir. D'autant plus que vous me semblez un peu plus sobre que lors de notre dernière rencontre.

Chad avait passé le reste de sa soirée à picoler et le lendemain avait été très compliqué. Il ne se souvenait que très vaguement de ce qu’il avait raconté au prince. Tout ce qu’il savait, c’est qu’il le trouvait absolument détestable et qu’il s’était montré arrogant. Le reste était vraiment flou. Vive l’alcool.
Plusieurs mois s’étaient écoulés ensuite sans qu’il n’ait besoin de penser au prince et ce jusqu’au mariage de son frère. Son père ne pouvant faire le déplacement, il avait envoyé son fiston à sa place. Et seul en plus ! Quelle torture. Quoi qu'il en soit, il allait sortir son sourire le plus américain et faire bonne figure. Pas question de se réfugier dans l’alcool ce jour-là et pas question non plus de faire une vague. C’était déjà d’un ennui mortel. Il avait profité de la cérémonie pour examiner le prince Andrew de loin. C’était une hallucination ou ce mec était plutôt mignon ? Manquerait plus que ça, ça lui donnait envie de vomir. Finalement, il avait tout loupé des échanges de voeux. Il faut dire que les mariages, ce n’était pas vraiment son truc. Il était trop jeune pour y penser, il n’avait de loin pas profité de tout ce que la vie avait à lui offrir. Et la vie aujourd’hui lui offrait un moment bien gênant à naviguer seul au milieu de toute une foule de gens tous plus influents les uns que les autres. Chad faisait bonne figure mais il commençait à se sentir de trop. Et puis le prince Andrew était apparu juste sous son nez et lui avait balancé sa plus belle remarque suivi d’un petit sourire en coin affligeant. Il se trouvait drôle en plus, Chad s’était fait violence pour ne pas riposter. « Prince Andrew. » Ok, il était trop bourré pour se rappeler comment il fallait le saluer et puisqu’il ne voulait pas commettre d’impairs, il avait décidé de se limiter à cette simple formule. « Tout le plaisir est pour moi. » Foutaises. L'ironie est perceptible dans sa voix. « Alors, ça fait quoi d'être le prochain prince à devoir se marier ? J'imagine que vous avez une foule dé prétendantes. » qu’il affirma dans un sourire amusé, plus parce qu'il avait remarqué que le sujet lui déplaisait que par réel intérêt.