Quelques mois auparavant...

Il est minuit passé de cinq minutes. Heure tardive, et je ne suis toujours pas couché. Je me retrouve devant mon ordinateur. Sur ce fameux site. Je confirme en cliquant sur "M'enregistrer". Oui, j'ai vraiment osé le faire. Je n'allais certainement pas me dégonfler pour un pari pareil ! Et puis, qu'avais-je à perdre en m'inscrivant sur ce site ?

"Luzadaal564", c'est ainsi que je me suis appelé. Je n'ai pas été cherché loin ; j'ai juste tapé "Générateur de pseudo" sur Internet, et ai ajouté trois chiffres au hasard. Rien de bien original.

Sexe : J'ai le choix, et je clique sur "Fille". Me faire passer pour une autre, voilà qui pourrait aussi être drôle. Ce n'est que pour un pari débile, en quoi est-ce mal ?

Je fais défiler les profils, sans vraiment y prêter attention. Presque machinalement, je clique sur l'un d'entre eux. "Envoyer un message privé". Je n'ai rien à perdre. C'est juste pour s'amuser ! Seulement pour s'amuser...


Aujourd'hui

Danny a écrit:

J'viens d'arriver à Paris. Y'a genre... 2h. J'ai fait du stop jusqu'ici, j'ai pas une thune pour payer l'hôtel... j'pourrais squatter chez toi ?

Je reste un moment devant mon ordinateur, et relis plusieurs fois ce message. Je sens le sang me monter à la tête. Vient-il réellement de me demander de venir chez moi ? Mais moi, comment pourrais-je refuser ?

Je lui réponds. Et il me répond. Il sera devant la station de métro de la place d'Italie dans une quinzaine de minutes. Une quinzaine de minutes... Voilà qui est si rapide ! J'ai tout juste le temps de ranger tout le bazar par terre.

Luzadaal564 a écrit:

D'accord. J'y serai.

Je rédige mon message avant de fermer mon ordinateur et de sortir en direction de la place d'Italie...


Si l'on m'avait prédit que je vivrai tout cela, je ne l'aurais peut-être pas cru. Des défis à relever, des expériences inédites, j'en ai connu pas mal. Mais celle-ci est sans aucun doute la plus singulière et la plus étrange que je n'ai jamais vécu.

Comment aurais-je pu deviner les conséquences de cette rencontre ? Comment aurais-je pu savoir que tous ces mensonges seraient un jour découverts ?

En un sens, cette conclusion était incontournable. Lui et moi nous parlions depuis des mois. Nous échangions sur nos goûts, nos études, et plein d'autres sujets. Ce qui n'était au début qu'une plaisanterie est devenu quelque chose de plus... véritable ? Il me demanderait bien un jour de me rencontrer. C'était inévitable. N'en ai-je donc pas envie ?

Assis sur les marches devant le centre commercial Italie Deux, je guette la sortie du métro en face de moi. Les passants marchent d'un pas rapide, la plupart avec des sacs de shopping à la main. Certains traversent, d'autres vont faire leurs courses, d'autres encore se rendent au café. Personne ne fait attention au jeune homme que je suis, assis sur ces marches. Et heureusement.
J'observe chaque visage pour reconnaître le sien.

De quelle manière pourrais-je l'aborder ? Moi je le reconnaîtrais, mais lui... non. Il ne saura pas qui je suis. Et sûrement se méfiera-t-il de moi lorsque je m'approcherai et lui adresserai la parole. Il faudra lui faire comprendre que je suis Agathe. Oui, la fille à qui il a envoyé ses messages sur un site de rencontre. La fille avec qui il est devenu ami.
Surpris ? Bien sûr qu'il le sera. Déçu ? ... Peut-être. Après tout, je lui ai menti sur ce point. Pourquoi lui en voudrais-je ?

Un homme se place à droite des escaliers menant au métro et reste un moment immobile. Il tourne la tête à gauche, à droite, et puis la baisse pour regarder sa montre. Il doit avoir une vingtaine d'années, pas plus ni moins. Il semble perdu. Il sort son portable, tout en jetant par moments de rapides coups d’œil autour de lui.

C'est lui. C'est Danny. J'en suis persuadé.

J'ai observé assez de fois sa photo de profil pour le reconnaître en vrai. Il semble peut-être plus jeune sur la photo, mais je reconnais son visage, ses cheveux...

C'est lui.

Je me lève, traverse la route et me dirige vers lui. C'est difficile de ne pas paraître nerveux. Mais je ferai de mon mieux. Mes mains dans les poches de mon jean, je me rapproche de lui, et me rapproche encore un peu, encore...

Je me trouve maintenant devant lui. Ses yeux sont toujours rivés sur son téléphone. Peut-être est-il en train de m'envoyer un message ? Je n'attends pas qu'il relève la tête pour lui adresser la parole. Avant que je ne perde le courage de parler.

« Salut Danny ! Ravi de faire ta connaissance. En vrai. »

Désormais, je ne peux plus faire marche arrière...

Dan avait tout plaqué sans réfléchir. Il avait pris un sac avec quelques fringues, avait quitté la maison familiale sans laisser un mot et avait sauté dans le premier train. Sauf que Dan, il était un peu fauché. Et qu’il n’avait pas pu payer le train. Alors il avait passé son voyage à éviter les contrôleurs quitte à se cacher une ou deux fois dans les toilettes. Mais il était arrivé à bon port, sans se faire choper, et marchait donc dans la gare sans but. Il était arrivé à Paris. A vrai dire, c’était la première destination qui lui était venue en tête. Parce qu’il y avait Agathe. Agathe, c’était cette fille qu’il avait rencontrée sur un site de rencontres. Oh, il n’avait jamais voulu s’inscrire dessus, mais après une rupture difficile, ses amis lui avaient forcé la main pour qu’il passe à autre chose. Et il était passé à autre chose grâce à elle. C’était… c’était un peu comme son double. Ils avaient développé une complicité telle que Danny avait commencé à ressentir des choses. Bien sûr il n’avait rien dit pour ne pas l’effrayer. Après tout, en plusieurs mois à se parler elle n’avait jamais montré la moindre photo, ni voulu le moindre appel. Il en avait donc déduit qu’elle ne voulait pas être brusquée - au lieu d’en déduire que tout n’était qu’un mensonge, oui… Il voulait croire à cette fille pas comme les autres. Il voulait croire à leurs échanges de secret, à leur complicité. A celle qui lui avait permis d’aller mieux, de guérir plusieurs plaies à la fois.

Alors arrivé à Paris, il lui avait envoyé un message. Il ne savait pas si elle allait donner suite car plusieurs fois elle avait repoussé une rencontre, mais enfin, alors qu’il semblait en détresse, Agathe accepta de l’aider. Ils se donnèrent rendez-vous à une station de métro mais comme Dan ne connaissait pas bien le métro parisien, il s’égara un peu. Il trouva finalement le lieu indiqué et attendit contre un mur, après s’être faufilé entre la masse de gens. Il avait son portable à la main pour guetter le moindre message. Agathe avait un avantage, elle avait une photo de lui, et même plusieurs. Pour lui ce serait une découverte totale, mais il était certain qu’il ne serait pas déçu.

Ca, c’était avant qu’un garçon ne vienne l’accoster. D’abord surpris, il eut du mal à faire le rapprochement. « Salut Danny ! Ravi de faire ta connaissance. En vrai. » Dan eut un mouvement de recul. Il ne connaissait pas cette personne. Et un cheminement se fit dans sa tête : c’était peut-être le frère d’Agathe, peut-être qu’elle avait parlé de lui et que c’était pour ça qu’il était content de le rencontrer. Il finit alors par lui serrer la main. « Enchanté… C’est Agathe qui t’a dit de venir me chercher ? » Impossible de s’imaginer qu’Agathe et ce type étaient les mêmes personnes. Impossible.

« Enchanté… C’est Agathe qui t’a dit de venir me chercher ? »

Bien évidemment ! Comment pouvait-il deviner que j'étais cette Agathe ? Il ne le pouvait pas. Cela doit être inconcevable pour lui. Malgré cela, je ne peux m'empêcher de ressentir cette espèce de déception. Cette poignée de mains est si froide, si distante. Quand je pense à toutes ces discussions plus ou moins intimes que nous avons entretenues pendant tant de mois, cette rencontre est bien loin de ce que je m'imaginais, en effet. Mais à quoi m'attendais-je ? Il ne sait pas que je suis cette personne avec qui il a correspondu.

Je me sens mal. Très mal. Pourquoi Danny n'est-il pas un de ces gars ordinaires, avec qui on parle de tout sans se soucier de rien ? Pourquoi a-t-il fallu que cet échange devienne plus sérieux, plus intime ? Et surtout, pourquoi m'être attaché à ce mensonge ? J'aurais très bien pu lui dévoiler ma véritable identité ; lui l'a bien fait. Mais il n'en a rien été. Et je n'ai aucune réponse à proposer à toutes ces questions.

« Euh... en fait je... »

Je m'arrête brusquement. Je ne sais pas quoi dire. Et je redoute sa réaction. Je reste un moment devant lui, tentant de sortir un mot mais n'y parvenant pas. Je dois être bien ridicule.

Pour une première rencontre, on ne peut pas dire que ce soit une réussite.

Je finis par répondre, mais ma voix n'est pas normale, elle donne l'impression que ce n'est pas moi qui parle.

« Ouais, c'est ça. C'est Agathe... »

Au point où j'en suis, pourquoi ne pas m'enfoncer davantage ? Mais bien sûr ! Maintenant, je passe véritablement pour un lâche. Un lâche qui craint d'avouer la vérité. Oui, je suis sûrement un lâche, mais réciproquement, je sais que si je lui annonce que je suis Agathe, là tout de suite, je perdrai sans aucun doute l'un des amis les plus proches que je n'ai jamais eu. Et il n'en est pas question.

Je trouverais bien l'occasion pour lui avouer, ou bien le lui ferai-je comprendre indirectement...

« Mais ne restons pas là. On peut déjà aller dans mo... à l'appartement d'Agathe. C'est à 5 minutes à pied d'ici. »

Attendant à peine sa réponse, je tourne les talons en direction de l'appartement d'Agathe.

Le type qui était venu à sa rencontre semblait mal à l’aise. Gêné. Mais pour autant, Danny n’arrivait pas à imaginer une seule seconde que c’était Agathe, face à lui. Comment aurait-il pu y penser ? « Ca marche, je te suis. » Il sourit doucement, davantage par politesse que par envie. Lui aussi il était mal à l’aise. Il reprit son petit sac sur l’épaule et suivit donc le jeune homme dans les rues de Paris. Plus ils approchaient et plus il appréhendait. Il avait un peu peur de rencontrer Agathe, parce qu’il ressentait des choses pour elle. Mais il savait qu’une rencontre sur internet pouvait apporter bien des surprises - malheureusement pas celles auxquelles il pouvait s’attendre. Elle ne serait peut-être pas à son goût. Il ne serait peut-être pas au sien. Mais au fond, le physique, il s’en fichait bien. Elle n’avait jamais voulu envoyer de photo et c’était son choix. Certains de ses amis, à qui il avait parlé d’Agathe, disaient qu’elle était sûrement moche et qu’elle n’assumait pas. Mais ce n’était rien, c’était de son coeur qu’il tombait amoureux. De sa personnalité. Et c’était la première fois que ça lui arrivait, qu’il passait au-delà du physique. De toute façon, il n’avait rien dit de ses sentiments. Ils allaient se voir en tant qu’amis et après, on verrait. Il avait bien d’autres préoccupations, de toute façon… Comme sa bagarre avec son père qui l’avait poussé à se tailler. D’ailleurs, il en gardait des séquelles, et une arcade sourcilière qui avait un peu morflé.

Les voilà chez Agathe. Ca ne ressemblait pas vraiment à un appartement de fille, mais est-ce que ça existait vraiment un appartement de fille ? Il posa son sac dans l’entrée, sa veste sur le porte manteau. Et il regarda le garçon, dont il ne savait d’ailleurs pas le prénom. Ce dernier l’invita à s’installer sur le canapé et pendant qu’il allait chercher à boire dans la cuisine, il se posa sur le canapé et sortit son portable pour appeler Agathe. Il fut surpris d’entendre sonner juste dans l’appartement alors qu’elle ne semblait pas ici. Au moins, c’était vraiment son appartement et pas celui d’un psychopathe. Il se releva et rejoignit le garçon dans la cuisine. « Son téléphone sonne dans les parages ? Elle rentre bientôt ? » Qui sortait sans son téléphone de nos jours ?

Nous traversons les rues dans le silence le plus complet, sans échanger le moindre mot. Je ne sais pas quoi dire. Et lui non plus. Tant mieux. Je crains que ma voix ne déraille à nouveau si je tente de parler.
Il marche derrière moi, mais je peux ressentir la tension qui monte progressivement entre nous. Lui doit sûrement appréhender la découverte de l'appartement de son amie. Tandis que moi, je redoute sa réaction. Je me pose toujours la même question. Que pensera-t-il lorsqu'il découvrira que je suis Agathe, et surtout, que je lui ai menti pendant tout ce temps ? Cette question m'obsède et me vole toute pensée rationnelle. Je m'imagine toujours mille scénarios, tous plus terribles les uns que les autres. Mais chacun d'entre eux me ramène à son visage, crispé par la déception et le dégoût. Horrible image.

D'habitude, le trajet du métro jusqu'à chez moi est rapide, mais cette fois-ci, il me paraît interminable. Comme si le temps s'écoulait de plus en plus lentement, dans l'unique but de m'embêter...

Nous arrivons finalement dans mon appartement. Non, pardon. Dans l'appartement d'Agathe. Il n'est pas très grand ni beaucoup meublé. Lorsque l'on entre, un porte-manteau se trouve à droite et une banquette-lit se tient à gauche, en face d'une petite table ronde et de la cuisine. Et en face de l'entrée, il y a la salle de bains. Néanmoins je ne me plains pas. Ni de la taille ni de l'équipement. Je trouve que je m'en sors bien.

J'ouvre la porte et laisse entrer Danny. Je referme la porte, toujours sans lui accorder un regard. Puis je me tourne finalement vers lui, et lui dis nerveusement :
« Fais comme chez toi. Tu peux t'asseoir sur la banquette si tu veux. »

Et, sans attendre sa réponse, je me précipitai presque jusqu'à la cuisine, pour chercher de quoi boire. Heureusement que j'ai fait mes courses hier ! Un peu plus et je n'avais rien à lui proposer que de l'eau du robinet. Je sors un jus d'orange et un jus de pomme - ainsi il aura le choix.

Soudain, la sonnerie de mon portable retentit. Qui peut bien m'appeler ? Ah... C'est peut-être Hugo qui me demande où en est le projet ? Ces derniers temps, je le trouve bien insistant. Bien sûr que ça avance, mais je ne suis pas non plus dessus H24 ! Il faudrait qu'il comprenne ça...

Je ramène les jus de fruits et m'apprête à répondre au téléphone quand Danny me demande :
« Son téléphone sonne dans les parages ? Elle rentre bientôt ? »

Je m'arrête net. Et je fais le rapprochement. C'est donc lui qui vient de m'appeler ?! Il voulait sûrement appeler Agathe pour lui demander quand elle rentrerait...

« Euh ouais, elle... elle a dû oublier son portable... », je bredouille en tentant tant bien que mal de paraître naturel.

Si elle rentre bientôt ? Euh... oui ? Non ? Que lui répondre ? Je ne vais pas lui dire tout de suite. Ce n'est pas le bon moment. Je dois attendre encore un peu.

« Certainement. Elle est partie chez des amis, je ne sais pas exactement à quelle heure elle doit rentrer. »

Jusqu'à quand pourrais-je tenir le coup ? Jusqu'à quand serais-je capable de lui mentir ? Jusqu'où je pourrais aller... ?

Je lui montre les deux bouteilles de jus de fruit, espérant attirer son attention sur autre chose.

« Qu'est-ce que tu préfères ? Jus de pomme ou jus d'orange ? »

Il y avait quelque chose de bizarre dans toute cette histoire. Ce gars en lui-même était bizarre. Dans sa façon de le regarder, dans sa façon d’agir. Si bien qu’il se demandait s’il avait bien fait de demander l’aide d’Agathe. Parce que clairement, il commençait à penser que cet inconnu était peut-être un psychopathe qui allait le découper - et qui avait peut-être déjà découpé Agathe dans un coin de la barraque. D’un autre côté, il n’était pas non plus très impressionnant physiquement le garçon alors Dan pourrait sûrement le maîtriser si ça se passait mal. Mais le gabarit n’importait pas si on sortait une arme à feu ou un couteau bien placé… Merde, arrête de penser que c’est un putain de psychopathe et détends-toi. T’as assez de problème comme ça. Oui, il avait eu quelques problèmes qui avaient précipité son départ. La baston avec son père. Des mots, des gestes de trop. Une envie de se barrer qu’on ne pouvait lui enlever car il était majeur et qu’il savait ce qu’il faisait - plus ou moins. « Jus de pomme, merci. » Et quand le verre arriva devant lui, il hésita. Est-ce qu’il devait vraiment boire ça ? Est-ce qu’il fallait ? Et s’il y avait un truc dedans ? Bon… Quitte à avoir pris tous ces risques pour Agathe, autant continuer. Il but quelques gorgées et fut soulagé de ne rien ressentir de bizarre.
Mais plus le temps passait, et moins il n’y avait d’Agathe. Ni l’un ni l’autre ne parlait. Il avait quand même appris que le garçon s’appelait Gaétan et qu’il était visiblement très proche d’elle. Il se sentit un peu jaloux. Mais surtout inquiet. Elle n’était toujours pas là. Elle ne voulait pas le voir ? Il finit par s’impatienter complètement alors que vingt heures approchaient. « Bon c’est quoi le truc, là ? J’ai besoin d’un toit où dormir mais j’suis pas venu ici par hasard, je voulais voir Agathe. Il fallait que je lui parle. Alors dis-moi où elle est et j’irais la rejoindre. » Tant pis s’il se perdait sur le chemin !

A sa demande, je lui sers du jus de pomme et pose le verre devant lui. Il semble hésiter. Peut-être croit-il que j'ai glissé quelque chose dans la boisson ? Bien que ce comportement soit rationnel - qui accepterait sans hésiter un verre d'un inconnu ? -, je ressentis un léger pincement au cœur. Il n'a pas confiance en moi. Mais en même temps, il ne sait toujours pas que c'est, cette Agathe, avec qui il a parlé pendant des heures, depuis des mois. Il croit que je suis une connaissance.
Malgré tout, il finit par boire quelques gorgées, non sans esquisser de légères grimaces qui ne m'échappèrent pas. Mais je fis mine de n'avoir rien remarqué. Au terme de quelques instants d'hésitation, je finis par m'asseoir à ses côtés, sur la banquette.

Le silence s'installe, personne n'ose dire un mot. Nous sommes tous les deux dans l'attente. Lui dans l'attente de la présumée Agathe, et moi dans l'attente d'une solution pour me sortir de ce pétrin. Je me présentai néanmoins, lui disant mon nom et ce que je faisais. Je lui ai dit que j'étais aussi étudiant en journalisme, et qu'Agathe et moi étions dans la même école. Mais je peinais à parler. Son regard à la fois insistant et distant me déstabilisait. Il devait certainement se demander où était son amie, celle qu'il était venu voir. Celle qu'il s'attendait à rencontrer.

Et là, ce que je redoutais arriva. Danny s'impatienta et s'exclama, aux alentours des 20h h :
« Bon c’est quoi le truc, là ? J’ai besoin d’un toit où dormir mais j’suis pas venu ici par hasard, je voulais voir Agathe. Il fallait que je lui parle. Alors dis-moi où elle est et j’irais la rejoindre. »

Je regardai successivement le sol et Danny, tout en restant silencieux. Je me sentais mal à l'aise, honteux, et je ne savais pas quoi répondre. Tout lui révéler maintenant le mettrait encore plus en colère. Mais si je m'enfonce dans mon mensonge, il va vouloir partir et retrouver cette Agathe qui n'existe pas et qu'il ne trouvera jamais. Dans tous les cas, l'issue semble être la même : Danny qui quitte l'appartement, furieux. Et c'est bien la dernière chose que je souhaite.

Je reste silencieux, mais cela ne semble pas apaiser la situation ; au contraire. Il faut que je sorte quelque chose. N'importe quoi, pour le rassurer et l'inciter à rester. Ne serait-ce encore que quelques instants...

« Je... je comprends que ce soit long, mais elle... Elle ne devrait pas tarder... Elle m'a dit qu'elle rentrerait vers 20 h 30... », je réussis à bredouiller de manière confuse.

Le mensonge pour fuir la vérité, pour l'atténuer, pour me protéger. Mais plus pour longtemps. Danny découvrira tôt ou tard la vérité, et en sera sûrement d'autant plus vexé si je tarde à lui avouer. Il faut que je le lui dise...

Je sens les battements de mon cœur me frapper les tempes. J'ai l'impression que ma tête va exploser d'une seconde à l'autre. Cette situation est intenable. Insupportable.

« Ecoute Danny, je... je peux tout t'expliquer... »

Je m'arrête dans ma lancée. Mon courage -s'il a déjà existé- me quitte progressivement. Comment lui avouer que pendant des mois, je lui ai menti, ou du moins caché la vérité, et que j'ai continué de lui mentir depuis qu'il est arrivé à Paris ?

« Agathe est... »